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Son frère était enchaîné contre un mur. Un kanji de paralysie temporaire était tracé sur son front avec du sang et de la cendre. Il avait la tête baissée, le menton contre le gorgerin de l’armure de Nishimura et les yeux clos, mais il ne dormait pas. Hayate fit quelques pas ; il remarqua les yeux qui roulaient sous les paupières baissées. Toru haletait. Parfois, il esquissait une grimace de douleur.

Quelque chose n’allait pas. Hayate en avait la chair de poule. Les gardes fantômes se fiaient à leur instinct, et le sien lui criait de s’enfuir. Mais il n’allait pas renoncer. « Toru ? »

Son frère braqua sur lui un regard halluciné. Sauvage. Le regard d’un dément.

« Il est dans ma tête. Tue-moi avant qu’il ne gagne.

— Quelle est cette torture ? » Hayate était sincèrement curieux. L’unité 731 inventait sans cesse de nouvelles méthodes.

« L’éclaireur est encore vivant ! L’usurpateur m’a contaminé. Il va s’emparer de mon corps et de mon âme. Tue-moi avant qu’il ne puisse se servir de moi. »

Hayate, songeur, se caressa le menton. Toru avait perdu l’esprit. Sa lignée maternelle devait être très déficiente, car, à part lui, aucun des mille fils n’avait l’esprit faible. « Rien ne me plairait plus que de te tuer, mais ce n’est pas mon rôle. Notre père s’est réservé ce droit.

— J’entends leurs plans. Les écoles… » Toru grinça des dents et sa figure se tordit. « Les écoles sont contaminées. Concentrés… pour pouvoir récolter les actifs. Vite, il faut que tu repères et élimines les infiltrés. Autrement, quand ils recevront le signal, ils dévoreront tout et l’ennemi viendra. »

Cet éclat pathétique attristait Hayate. Les brutes étaient fortes, mais la folie de Toru prenait le dessus, comme s’il était en guerre contre lui-même. Des veines saillaient sur son front, de grosses perles de sueur lui couraient le long des joues. Toru se battait, mais contre quoi ? Il hurla de douleur et sa tête retomba. Il avait perdu connaissance et du sang coulait de son oreille.

Ce n’était pas du sang.

Le premier garde fantôme se pencha. Il sentait le souffle de Toru sur sa peau. Ce qui sortait de l’oreille de la brute ressemblait moins à du sang qu’à de l’encre démoniaque. Étrange.

Le liquide, défiant la gravité, fit demi-tour pour disparaître dans le conduit auditif.

Hayate, jurant comme un burakumin sur son tas de fumier, recula d’un bond. Quelle horreur l’unité 731 avait-elle encore inventée ?

Sa curiosité satisfaite, mais au prix d’un malaise profond, Hayate décida qu’il en avait assez vu. Il voyagea et quitta les oubliettes.

Comme beaucoup de cérémonies militaires impériales, ç’avait commencé en fanfare. Les officiers locaux avaient rarement l’honneur de recevoir la visite du haut commandement, et, là, il s’agissait du plus éminent représentant de l’État après l’empereur en personne.

La section impériale de Shanghai, nettoyée pour l’occasion, brillait de mille feux. C’était de toute façon le quartier le plus prospère, le plus moderne : un exemple du raffinement japonais pour les autres cultures représentées dans la ville. Toujours beau, il avait pour la visite du président atteint le stade de la splendeur. Des domestiques avaient taillé les pelouses aux ciseaux. On ne voyait pas une feuille morte, pas un mégot de cigarette.

Drapeaux et bannières faseyaient entre les immeubles et à chaque lampadaire. Les bâtiments, flambant neufs, comptaient entre vingt et quarante étages. Toutes les fenêtres étincelaient ; on n’y aurait pas trouvé une trace de doigts. Si un pigeon chiait sur une corniche, un serviteur s’empressait d’aller frotter à la brosse à dents sous peine de voir sa tête voler, Hayate l’aurait parié. Au centre de la section s’élevait le palais de l’ambassadeur. Bâti quelques années plus tôt, on l’avait copié sur un vieux château. Hayate le trouvait un peu ostentatoire : il s’intégrait donc parfaitement à l’ensemble de la ville. Le défilé se terminerait dans le parc de l’ambassade.

Et ce défilé était impressionnant. Cinq cents soldats marchant au pas. Il n’y avait pas de chars, mais pour une seule et bonne raison : leurs chenilles auraient abîmé le pavé, gâché la vue, et le bruit des moteurs aurait troublé le calme. En revanche, deux gakutensoku défilaient. Leurs carcasses métalliques – et la superscience des engrenages – arrachaient à la foule des cris d’admiration. Ensuite, cent redoutables gardes de fer et, au milieu de ces uniformes impeccables, le président lui-même, monté sur un étalon blanc.

Tous les citoyens impériaux de Shanghai étaient là. Les trottoirs étaient bondés. Le petit peuple et les non-humains avaient été évacués pour la journée. Les seuls étrangers admis à contempler le président étaient les hauts diplomates chinois, français, britanniques, russes et américains. Des milliers de gens s’inclinaient profondément pour ne se redresser qu’une fois le président passé.

Hayate observait le spectacle depuis une fenêtre du centre de commandement militaire, au quatrième étage du palais. Il avait l’esprit ailleurs. Les paroles de son frère lui trottaient dans la tête. Non… Admettre cela impliquerait qu’il doutait.

Plusieurs officiers et gardes de fer, près de lui, écoutaient les rapports de subalternes et distribuaient des ordres. Le lieutenant-gouverneur de la section impériale était responsable de la cérémonie. « Tout d’abord, le président remettra les médailles. Il souhaite faire un discours. Dès qu’il aura fini, le traître et les prisonniers du Grimnoir seront conduits dans la cour pour que la foule les conspue. Les bourreaux sont-ils prêts ? Parfait. Tant pis si leurs lames sont émoussées. Plus ça criera, mieux ça vaudra… Bien, bien. Ensuite, le président affrontera le traître en duel et, quand il l’aura achevé, décapitera les prisonniers. Ensuite nous servirons le dîner. A-t-on remplacé tous les tatamis ? Parfait. »

Hayate, que les affaires de cour agaçaient vite, s’absorba dans l’examen de la foule. Ses hommes s’étaient mêlés à la plèbe, prêts à éliminer un éventuel ennemi. Personne ne prêtait grande attention au garde fantôme, qui, contrairement à un garde de fer, savait rester dans l’ombre. Discret dans l’animation du centre de commandement, on ne le remarquait pas plus qu’une chaise très dangereuse.

Mais, tout en s’appliquant à paraître sans intérêt, il réfléchissait à la substance jaillie de l’oreille de Toru.

Un soldat se précipita vers le chef de la garde de fer et salua. « Pardonnez mon interruption, maître Goto, nous avons un contact aérien sur la côte.

— Quoi donc ?

— Dirigeable non identifié. Multicoque et très rapide, en train d’atteindre une altitude élevée. À cinquante kilomètres au sud, cap sur nous. La marine s’apprête à l’intercepter. »

Le garde de fer grogna. « Elle réglera le problème. Tenez-moi au courant. »

Quelques minutes plus tard, un autre subalterne nerveux fit son apparition, alla directement trouver le chef de la police secrète et lui murmura son rapport : ce devait être si embarrassant que la Tokubetsu Koto Keisatsu risquait de perdre la face. Hayate, avec son ouïe magiquement améliorée, n’eut pas besoin de tendre l’oreille.

« Je suis désolé, mon commandant. Une émeute a éclaté.

— Vous en êtes certain ?

— Oui, mon commandant.

— Où ?

— Ça a commencé dans le vieux quartier chinois, mais ça a tout de suite gagné trois autres sections. Nous ne sommes pas sûrs de ce qui l’a déclenchée, mais les émeutiers attaquent nos officiers, et la police chinoise ne s’en sort pas mieux. On a abattu des pilleurs, ce qui n’a fait qu’aggraver la situation.