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—     Quelles photos, bon sang ?

Un soupir.

—                    En tout cas, n'ayez crainte, je ne vous torturerai pas. L'usage de la force, de la torture physique est une technique misérable, qui ne mène à rien.

—     Qui êtes-vous ?

L9ombre ne bouge pas, le ton reste incroyablement calme.

—                   Contentez-vous d'obéir. Votre souffrance en sera moindre.

La forme s'éloigne, laissant la lumière allumée. Collé aux barreaux, le prisonnier se met à vociférer et à l9insulter. Alors à gauche, plus en profondeur, s'élèvent des cris sinistres. Des hurlements, qui semblent venir de loin. Deux, puis trois, simultanément. D'autres humains, piégés dans le ventre de la Terre.

Alexandre aperçoit des lueurs blafardes et lointaines, sur la gauche. D'autres cellules qu'on a éclairées comme la sienne...

—                   Qui êtes-vous ? Répondez ! Répondez ! Qu 'est-ce qu 'il nous veut ?

Les cris cessent. Le silence. Infernal. Et la coupure de l'air glacial, sur chaque centimètre carré de peau.

Seigneur, combien sont-ils ?

Péniblement, les yeux irrités d'Alexandre perçoivent une enveloppe, glissée entre les barreaux. Méfiant, il s'en empare et retourne près de la rigole pour l'ouvrir, le dos tourné à l'entrée.

À l'intérieur, une lettre et un stylo.

Alexandre déplie le papier, il ignore si ses doigts tremblent de froid ou de peur.

Jamais il n'a lu une horreur pareille. Cela défie l'entendement.

Ce type est le pire des malades qui doivent exister sur Terre.

Alexandre jette le stylo contre un mur.

— Je signerai jamais ça, espèce de taré ! Va te faire foutre !

 

26.

Enfermé dans sa chambre, Luc Graham se redresse soudain, au milieu de la nuit.

Il sait. Il sait où il a vu le patient catatonique.

Il fonce vers l'étage de sa maison en allumant toutes les lumières. La peur de voir ressurgir l'homme cagoulé, derrière chaque porte, lui serre la gorge.

Armé d'un crochet, le psychiatre ouvre la trappe du grenier et tire sur la lanière reliée à une échelle télesco- pique. Elle descend d'un coup et manque de lui fracasser le crâne. Jamais réparée. Bon sang, il avait oublié.

Luc grimpe avec sa lampe torche, chaque marche franchie l'éloigné du présent et le plonge des années en arrière. Il hésite, ralentit, mais continue. Il finit par se hisser sur les bras, avant d'atterrir sur une épaisse couche de laine de verre. Ce simple effort l'a essoufflé. La cigarette, le manque de sport, de tout. Il courait sur la plage trois fois par semaine, avant.

Avant...

Sous la toiture, le vent siffle, la lumière de la lampe s'invite ici comme à l'intérieur d'un cercueil qu'on rouvre après de longues années. Il va pleuvoir, encore.

Lentement, Luc se redresse, ses jambes tremblent et peinent à stabiliser le reste de son corps. Non pas qu'il ait le vertige... Non, ce sont tous ces visages, qui se mélangent et l'obsèdent. Et le spectre de cet homme en cagoule...

Tout paraît mort. Pendant de si longues années, la poussière a envahi l'ancienne vaisselle, les valises pleines à craquer de guirlandes de Noël, les vieux lustres inutilisables précieusement conservés par Anne. Une véritable fourmi, Anne. « Les enfants s'en serviront, un jour ou l'autre. »

Un jour ou l'autre...

Luc baisse sa torche. Avancer dans un grenier, c'est remonter le fil de l'existence. N'importe qui peut y lire l'histoire d'une famille.

Ses pieds butent aussi dans des bouteilles vides. Après le drame, il picolait même ici, au grenier. Whisky, vodka, tout y passait. Il en reste même une de gin, à moitié pleine.

Luc reprend sa pénible progression vers les caisses, coincées sous deux grosses poutres. Il regarde devant lui, évitant le côté gauche, parce qu'il se souvient de la présence des jouets. Des sacs et des sacs remplis de poupées, de déguisements de carnaval, de voitures Majorette, de Power Rangers et de Big Jim... À mesure qu'il s'enfonce, les têtes se tournent vers lui, les prunelles de plastique se révèlent, les index le désignent et les bouches se mettent à crier. Luc suffoque, il se plie en deux. Le temps s'arrête, uniquement pour lui laisser le loisir de souffrir.

Quand revient la lumière, quand ses semelles touchent le sol du couloir de l'étage, Luc ignore combien de temps il a passé là-haut, mais les aiguilles de l'horloge ont tourné. Une heure du matin.

À l'aide du crochet, il rabat la trappe dans un claquement sec.

Luc serre entre les bras un lourd carton, et quatre autres reposent à ses pieds.

Les récipients de ses obsessions et de ses cauchemars. Des journaux, dont les pages ne parlent que d'accidents routiers.

Il redescend dans le salon.

Pour la première fois depuis presque quatre ans, il ingurgite un verre de gin, si vite que le liquide coule sur son menton. Il faut au moins cette dynamite pour affronter le contenu des cartons.

Année 2005, au hasard. Il attrape une épaisse pile de journaux de diverses régions - Auvergne, Franche- Comté, Pays de la Loire... -, de formats et de mises en page différents.

Luc se sent prêt pour sa recherche. Il inspire et attaque sa fouille fastidieuse. Il ignore quand, où... Mais il sait que le catatonique se replie quelque part, dans ces milliers de feuilles. Rapidement, il regroupe certaines éditions de La Voix du Nord de 2005, vingt- deux au total.

Il mouille le bout de ses doigts avec la langue et se met à les feuilleter. Ville d'Hesdin, janvier 2005. À la une, la photo d'une voiture, pliée aussi facilement que du papier crépon. Le titre, dévastateur : « Quatre jeunes tués sur la nationale meurtrière ». Un long article, en première page, avec de nombreux témoignages. On y parle d'alcool, de vitesse, d'imprudence. Luc referme le journal et le place derrière lui. Négatif.

Le docteur accélère ses recherches. Des titres, des photos. « Accidents, inculpation, carnage, carambolage, autoroute, route, communale, tué, mort, jugement, prison... » Encore, toujours, des accidents routiers. Quel que soit le journal. Quelle que soit la date.

Rien dans les éditions de La Voix du Nord de 2005, ni dans celles des autres années. Chaque fois, en noir et blanc ou en couleur, des visages de témoins, de responsables, d'accidentés, mais pas le visage du patient Ail. Luc se frotte les paupières. Se serait-il trompé ? N'a-t-il jamais vu le catatonique ? Non. S'il est remonté dans le grenier, s'il ose braver ses cauchemars, c'est qu'il y a une raison, c'est que, quelque part au fond de lui-même, son cerveau l'a reconnu.

Doigts humides, froissement de papier. Des cartons se vident, des villes, des mois, des années défilent. Rien toujours rien.

Quand, soudain...

Journal Ouest-France, édition du 8 mai 2004.

Emballement du rythme cardiaque. Tempes bouillonnantes. Tiraillements oculaires.

Luc oriente plus encore la double page vers l'ampoule. Une photo. Un homme, légèrement de trois quarts par rapport à l'objectif. Les yeux. La bouche. C'est lui. Luc mettrait sa main à couper que l'individu sur la photo et celui de la chambre Al 1 ne font qu'un.