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Il passe de la course à la marche, de la marche au pas ralenti. Luc pose ses mains à plat sur son capot encore tiède. Il inspire fort, et rapidement. Se calmer. Se calmer, à tout prix.

Fuir maintenant revient à laisser une carte de visite.

Il regarde les cimes des pins frissonner, il sent la bonne odeur d'herbe et de terre, mêlée à celle du sang. Dehors, rien n'a changé, la nature s'érige identique à elle-même, glorieuse. Dedans, par contre...

Qui peut soupçonner le carnage, en ces terres isolées ? Personne.

Oui, personne. Et personne alentour. Juste la campagne, les champs, l'infini de l'horizon. Pourquoi cela changerait-il ? Pourquoi quelqu'un débarquerait-il là, maintenant ? Pourquoi se précipiter ? Luc voulait se débarrasser du catatonique. C'est fait. Reste maintenant à finir le travail. Aussi proprement que possible. Ce qui est mort est mort.

Il retourne dans la propriété, descend au sous-sol. Des bâches... Des bidons de désherbant, de white- spirit, d'essence. Il ôte ses chaussures, sa blouse, et enfile un bleu de travail, des bottes en caoutchouc, des gants de jardinage. Et même une casquette poussiéreuse. Il se rince le visage et les mains avec un jerricane d'eau.

Puis il se met soudain à espérer. Ça pourrait fonctionner.

Habillé en ouvrier, il remonte à l'étage. Sa carotide puise, sa respiration s'accélère. Très vite, Luc déploie la bâche au milieu de la pièce et y dépose le tisonnier. Puis il tire le corps du catatonique et l'enroule dans le plastique, qu'il entoure ensuite avec du chatterton. Luc tremble. Il a envie de vomir.

La descente dans les escaliers se révèle chaotique, la bâche érafle les murs, décroche au passage le portrait de Laurence Blanchard, qui dévale les marches et se brise en miettes. Sur la photo, elle sourit.

Arrivé à son 4x4, Luc charge le corps dans son coffre, dans lequel il jette également le bleu de travail et les bottes.

Il retrouve un peu de sa lucidité et se met à réfléchir. Le corps du catatonique enfermé dans sa voiture, que reste-t-il de la présence de Burleaux, désormais ? Le véhicule volé, évidemment. Et les traces sur le lieu du crime. Des cheveux, de l'ADN. Bien plus qu'il n'en faut pour les limiers de la scientifique.

Il pourrait embarquer aussi Laurence Blanchard, la faire disparaître, mais mieux vaut séparer les corps, au cas où les flics les retrouveraient. Aucun rapport ne doit être établi entre Laurence Blanchard et Alexandre Burleaux.

Une meilleure idée lui traverse l'esprit. Au point où il en est, autant voir les choses en grand. Une maison entièrement en bois, ça doit bien brûler.

Mais d'abord, la voiture volée par Burleaux. Le canal, à environ trois ou quatre kilomètres... Pas le choix, il faut s'y coller.

Cinq minutes plus tard, au volant du véhicule, Luc atteint le canal. Il s'éloigne des habitations, rejoint une zone forestière où l'eau est bien plus opaque, plus profonde. Pas un chien alentour. Il baisse toutes les vitres, sort de la voiture et, portière ouverte, la pousse dans le canal. La minute pendant laquelle le véhicule sombre lui paraît la plus longue de sa vie.

Le pare-chocs arrière disparaît dans un bouillon de bulles. Encore quelques clapotis à la surface de l'eau. Puis plus rien.

Retour au bercail à présent. Plus de trois bornes à pied, qu'il parcourt à l'adrénaline, où il se convainc que s'il va au bout, on ne le coincera jamais. Parce qu'il n'existe pas de réel mobile à la mort des Blanchard. Ou plutôt, la vérité est si improbable, si hallucinante, que personne ne pourra jamais la deviner.

Sur le chemin, Luc en profite pour appeler l'hôpital et prévenir qu'il a crevé du côté de Lille-Sud. On lui dit que le catatonique n'a toujours pas été retrouvé. Pas de risques...

Une demi-heure heure plus tard, il arrive à la maison en longeant les champs. Les automobilistes qu'il a croisés n'ont vu qu'un homme avec une casquette errant le long de la route. Peut-être l'identifiera-t-on comme le meurtrier de Laurence Blanchard. L'homme à la casquette. Un tueur itinérant de la pire espèce, à la Francis Heaulme. Les flics auront probablement ses empreintes de pas. Du quarante-quatre. Ils seront bien avancés.

« L'homme à la casquette ». Ou « le tueur à la casquette », ça sonne mieux.

À présent, rentrer des bûches. Beaucoup de bûches. Les habitations en bois sont traitées pour ne pas brûler facilement... et il faut aider à l'allumage.

Luc dispose au moins cinq cents kilos de bûches, dans la chambre, le hall, l'escalier, le salon. Assurément, lorsqu'elles trouveront le corps, les équipes de police devineront qu'un assassinat a été commis, notamment à cause des fractures sur la boîte crânienne.

Mais des empreintes, des traces de peau, de cheveux, il ne restera plus rien. On fera peut-être, au hasard d'une enquête de voisinage, le rapprochement avec « le tueur à la casquette ». Tant mieux.

Luc descend au sous-sol et récupère une pelle et les bidons d'essence à tondeuse.

Revenu au rez-de-chaussée, il ouvre les fenêtres, puis verse l'essence sur le sol. Il sort son briquet de sa poche et fait jaillir une flamme. En quelques secondes seulement, le feu se met à danser.

La pelle à la main, il regagne sa voiture et démarre. Il ne croise personne sur les quatre premiers kilomètres. Impossible qu'on repère sa plaque, donc. Est-ce cela, la chance du débutant ?

Il passe au-dessus du pont et quitte Amiens. Une belle ville, Amiens, mais il doute d'y revenir un jour.

Il sait que ses futures nuits risquent d'être très difficiles. Mais il a déjà vécu cela. Il a connu pire.

Il va s'en tirer.

Mais il y a encore un dernier problème à régler : le cadavre du gendarme, dans son coffre.

Une heure plus tard, il s'enfonce dans la forêt d'Ermenonville et se gare devant l'un des innombrables sentiers. Comme n'importe quel touriste, il sort, les mains dans les poches, et disparaît sous les frondaisons. Très vite, il dévie du sentier et repère un endroit qui lui paraît satisfaisant. Terre molle, nombreux arbustes et ronces alentour. Parfait.

Ne reste plus qu'à attendre la fin du jour pour creuser.

Assis contre un arbre, Luc a tout le temps pour se rappeler son passé.

Cette fameuse nuit, qui a tout fait basculer...

44.

Un bruit de moteur. Justine Dumetz reprend peu à peu conscience et remue ses poignets dans son dos, la corde lui taillade la chair. Elle tente de regarder autour d'elle mais un bandeau lui masque les yeux. Elle étouffe un râle dans son bâillon. Elle croyait s'en sortir. Elle croyait avoir trompé la société, elle pensait être passée au travers des condamnations, après avoir détruit. Mais l'homme à la cagoule était là.

Il veillait. Et maintenant, il la conduit vers la mort.

Si Dumetz n'arrive plus à imaginer la couleur du soleil, elle voit encore parfaitement les deux petits cercueils. Par journaux interposés, elle perçoit le désespoir dans les yeux de Luc Graham. La fin des existences, la destruction des mondes. Au fond d'elle- même, elle sait. Elle paie ses crimes passés. Elle mérite sa peine.

Elle avait téléphoné au volant, ce jour-là. Elle a menti à la justice.

Dumetz se recroqueville autant qu'elle peut. Une porte coulisse dans un long bruit métallique, puis elle sent la pression d'une poigne ferme sur son bras.

— Allez F, lève-toi.

Elle obéit, évidemment. On l'aide à descendre, ses articulations, son dos lui brûlent. Les mains liées dans le dos, elle se jette par terre et plonge son visage dans la terre.

—    Allons F, un peu de tenue.

Toujours la voix étoujfée de l'homme à la cagoule.