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Il ne supporte plus le regard de cette malheureuse, et ça se met à gémir dans sa tête. Perdu, sans savoir comment réagir, il se recule et, à son tour, disparaît dans l'ombre, haletant, la flasque dans une main, le couteau dans l'autre.

Justine Dumetz relève doucement la tête, se retourne. Personne. Du poignet, elle frotte le sang qui coule de son nez, reprend une position soumise, attend, encore, que la voix ordonne.

Les pas reviennent, la terre remue, tout près.

—     Tu te lèves, et tu cours. Sauve-toi, maintenant. Là, droit devant toi. Je te libère. Va rejoindre les tiens.

Sans réfléchir davantage, Dumetz se redresse et se met à courir. Les branches sur les joues, les échardes dans les talons, les trous, les racines, peu importe.

Ivre d'oxygène, elle dépasse un arbre, un autre, puis encore un autre jusqu'à ce que son souffle devienne plus difficile, jusqu'à ce qu'elle ressente le manque d'air dans ses poumons. Elle s'arrête, essaie de respirer, sans succès. Un gargouillis s'échappe alors de sa gorge. Ça devient chaud sur sa poitrine. Chaud et presque agréable. Le sol se met à tourner, se rapproche, même. Dans sa chute, Dumetz porte les deux mains sur sa trachée ouverte. Lentement la vie la quitte, et ses yeux se ferment sur la lame d'un couteau.

Le calvaire cesse, enfin.

Luc Graham se tient debout derrière elle, les jambes tremblantes. Un bruit résonne dans son dos. Il se

retourne, Vhomme à la cagoule déplie une grande bâche en plastique.

—     Je ne voulais pas la tuer, je...

—                    Je vous avais dit de ne pas ôter son bâillon. Rentrez chez vous à présent. Faites disparaître ce couteau et toutes les traces de nos rencontres.

Le tortionnaire tire le corps de Dumetz, le photographie sous une dizaine d'angles différents et l'enroule dans le plastique.

—                     Ne vous inquiétez pas, ça va passer les tremblements. Après vous verrez, vous vous sentirez bien. Bien, et heureux... Enfin, vous êtes mieux placé que moi pour le savoir, hein ? Tenez, un mouchoir. Et n 'oubliez pas : je vous tiens autant que vous me tenez.

D'une main faiblarde, Luc prend le mouchoir.

—     Bon Dieu... Mais qui êtes-vous donc ?

—      Un type comme les autres.

—                   Et pourquoi moi ? Pourquoi vous m'avez choisi, moi ?

L'homme désigne le poignet gauche de Luc.

—                    Parce que vous êtes déjà mort. Et que vous n 'avez plus rien à perdre.

Il s'éloigne avec le corps.

Graham reste d'abord figé, incapable de bouger, et trouve enfin la force de disparaître dans l'obscurité de la forêt.

Les ténèbres viennent de l'envahir.

Et elles ne le quitteront plus jamais.

Tout comme cette phrase incompréhensible que la meurtrière de sa famille a prononcée : « Ça fait quel bruit, une voile blanche qui claque dans le vent ? »

45.

Julie Roqueval s'avance vers le centre de la salle à manger. Sa vue met quelque temps à s'adapter à la lumière et à distinguer plus précisément la silhouette qui se dresse en contre-jour dans le hall d'entrée.

—     Excusez-moi. La porte était ouverte et je...

L'ombre se détache du mur.

—     Ouverte ? Je ne crois pas.

Un silence.

—     Et vous êtes ?

—     Julie Roqueval. Assistance sociale en psychiatrie.

Dorothée s'approche nerveusement.

—     Que faites-vous ici, chez nous ?

Ton tranchant, sans équivoque. Les deux femmes se tiennent désormais face à face.

—                   Je suis venue rencontrer Alice Dehaene. C'est peut- être vous ?

Dorothée s'approche du fauteuil roulant, le contourne et se positionne dans le champ de vision de sa mère.

—      Salut, maman.

Elle l'embrasse sur la joue. Il y a dans ce geste quelque chose de forcé, que Julie ne parvient pas à définir. Dorothée se redresse, puis jette un œil par la fenêtre, les mains croisées dans le dos.

—                   Alice est ma sœur et elle n'habite plus ici depuis plus d'un an.

Elle se retourne brusquement.

—     Que lui voulez-vous ?

Julie se mord l'intérieur des joues, en colère contre elle-même. Le listing fourni par le laborantin est obsolète, évidemment, on ne doit pas transfuser du sang Bombay tous les jours. L'un des innombrables dysfonctionnements de l'administration hospitalière.

—                   J'ai quelques questions à lui poser, en rapport avec un dossier dont je m'occupe. Et c'est assez personnel. Vous auriez sa nouvelle adresse ?

Dorothée, le buste bien droit, le dos légèrement creusé, la toise d'un air orgueilleux.

—     Ma sœur a des soucis ?

—     Pas directement, non.

—     Comment ça, pas directement ?

—     Pas directement, c'est tout.

Dorothée attrape une feuille dans un tiroir, griffonne dessus et la tend sèchement à son interlocutrice.

—                    Voilà. Vous auriez ouvert un annuaire, vous l'auriez eue, cette adresse. Et maintenant, partez.

Julie ne bouge pas, elle désigne Blandine d'un geste du menton.

—     C'est vous qui vous occupez de votre mère ?

—                   Ça dépend. Moi, mon père, Mirabelle... Maman partage son temps entre ici et... ailleurs.

—     Votre père, c'est bien Claude Dehaene ?

—     Effectivement.

—     Et où se trouve-t-il ?

—                   Je l'ignore, sa camionnette n'est pas là. C'est lui que vous voulez voir ou Alice ?

Julie, énervée par l'attitude prétentieuse de la jeune femme, change soudain de ton.

—                  Les deux. Votre mère était seule, ici. Elle devrait avoir quelqu'un auprès d'elle en permanence.

Dorothée se dirige derrière le fauteuil et l'oriente de nouveau vers la vitre.

—                   C'était la vue favorite de maman, du temps où elle pouvait encore parler. Elle s'asseyait là de longues heures dans un rocking-chair, à lire des livres à l'eau de rose. Elle chantonnait aussi.

Les paroles de cette femme sont des formules toutes faites qui sonnent faux. Comment pourrait-on aimer une vue face à un cimetière militaire ?

—                    Votre mère est en Locked-in Syndrom, c'est exact ?

—     Oui, c'est ça.

—     Accident vasculaire cérébral ?

—    Accident tout court, c'est bien assez.

—                   Qui puis-je appeler si je veux avoir des renseignements à son sujet ? Le centre thérapeutique de Berck- sur-Mer ?

Dorothée fronce les sourcils.

—                   Pourquoi voudriez-vous des renseignements ? Vous croyez qu'on a besoin d'une assistante sociale, ici ?