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—                  Un homme suicidaire peut difficilement s'occuper d'une personne si lourdement handicapée. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi l'hôpital ne...

—                   Des gens compétents s'occupent parfaitement de ma mère, des kinés, des ergos, des médecins, mon père a fait réaménager tout l'intérieur de la maison, afin que ma mère ait un maximum de confort, ne le voyez-vous pas ? Vous ne pouvez pas imaginer à quel point il prend soin d'elle. Tout va très bien, depuis de longues, longues années. Partez à présent.

Dorothée tourne le fauteuil roulant.

—                   Regardez maman, vous la trouvez mal en point ? Non ? Vous savez ce que cela représente, s'occuper d'un LIS ? Tous les sacrifices ? Alors, ne venez plus ici nous menacer. Et je vous conseille vraiment de partir avant l'arrivée de mon père.

—    Pourquoi ? Il est du genre violent, votre père ?

Dorothée la fixe sans ciller.

—                   Sur quoi enquêtez-vous ? Pourquoi ma sœur n'a- t-elle jamais parlé de vous à personne ?

Julie soutient son regard.

—                  Pour la simple et bonne raison que votre sœur ne me connaît pas encore.

—                  Tiens donc. Je pourrais porter plainte. Qui me dit que je devrais vous croire ? Que vous ne vouliez pas du mal à ma mère ?

Les joues pâles de Dorothée s'empourprent, son regard n'est plus que colère froide. Julie lâche du lest.

—                   Je travaille entre autres avec l'hôpital Freyrat, un établissement psychiatrique à Lille. Voilà quelques jours, nous avons récupéré un homme à un arrêt de bus, complètement figé et muet. On appelle cela un état de catatonie. Il était nu et enveloppé d'une couverture.

—    Et alors ?

—                  Cette couverture portait des traces de sang menstruel, et après analyse, ce sang appartient à une personne ayant un groupe sanguin ultrarare, le groupe Bombay.

Dorothée vacille. Julie poursuit, elle se sait sur la bonne voie à présent :

—                  Or, il n'y a qu'une femme dans la région avec ce groupe sanguin, et il s'agit de votre sœur.

Dorothée éprouve soudain le besoin de s'appuyer contre le mur.

—                     Quand ? Quand l'avez-vous découvert, cet homme ?

—    Mardi, au matin. Quelque chose vous tracasse ?

Dorothée semble ailleurs, ses pupilles s'agitent rapidement. Elle secoue la tête. Autour, l'obscurité s'installe, les nuages sombres paradent dans le ciel.

—                  Évidemment, ça me tracasse. Votre histoire est tellement... abracadabrante.

—    C'est pourtant la vérité.

Dorothée va et vient. Ses mains se serrent, se desserrent. Toujours cette même raideur, cette démarche hautaine.

—                   Sang Bombay, OK. Et pourquoi la personne habiterait forcément la région ? Ma sœur n'est pas la seule au monde ?

—                   Juste une question de logique. Mais vous avez raison, il n'y a pas de certitude à cent pour cent. Néanmoins, s'il le faut, nous irons jusqu'aux tests ADN.

—    Des tests ADN sur ma sœur ?

—    Oui.

Dorothée marche comme un lion en cage, il y a quelque chose d'explosif dans sa manière de se comporter. Julie a l'habitude de voir des maniaco-dépressifs en phase maniaque, et ils présentent les mêmes caractéristiques, une nervosité à fleur de peau.

D'un coup, Dorothée s'approche de Julie, lui plaque la main dans le dos et l'invite à se diriger vers la cuisine.

—                    Ma mère n'a pas besoin d'entendre tout ça, pourquoi l'inquiéter inutilement ?

—    Oh, je suis désolée, je...

—                   Vous n'y prêtiez pas attention, normal. Ça m'a fait ça aussi, quand j'étais gamine.

Dorothée ouvre un placard et attrape deux verres.

—     Asseyez-vous. Eau ? Jus de fruit ?

—     Un verre d'eau, merci. Cette chaleur...

—                   Mon père est très frileux, le chauffage tourne en permanence.

Elle se dirige vers le réfrigérateur. Julie l'observe d'un œil envieux. Une femme sublime, au corps dansant et aux traits parfaits. Elle la verrait bien comme hôtesse de l'air, ou mannequin.

Dorothée remplit les verres.

—                    Je pense être autant concernée qu'Alice par cette histoire, alors vous pouvez tout me dire. Nous sommes jumelles homozygotes, et nous avons le même groupe sanguin.

Julie manque de s'étrangler.

—     Excu... Excusez-moi ! Je...

—     Je n'étais pas sur votre liste ?

—     Non.

Dorothée lève son regard clair vers un point imaginaire, derrière Julie.

—                   Peut-être parce que je n'allais quasiment jamais chez le docteur Denby.

Julie ne perd pas de vue son objectif : comprendre.

—                    Votre sœur y allait souvent, elle, chez... le médecin ?

—                    Plus jeune, Alice était tout le temps malade. Angines, rhinos, même l'été. Moi, je ne me souviens pas d'avoir fait une seule prise de sang. J'en ai peut- être fait une quand j'étais toute petite, mais... je n'en ai pas le moindre souvenir.

—     En tout cas, vous n'êtes pas dans les registres.

Julie termine son verre d'un trait, avec le sentiment de naviguer en pleine fiction. La Locked-in Syndrom, le sang Bombay, les jumelles désormais... Elle sort une photo du patient catatonique de sa poche.

—                    Voilà l'homme dont je vous parlais, vous le connaissez ?

Dorothée s'empare du cliché, le scrute attentivement.

—     Ja... Jamais vu.

—     Vous avez hésité.

Dorothée se penche à nouveau sur le cliché, les sourcils légèrement froncés.

—                   J'ai hésité, en effet, parce que j'ai eu une drôle d'impression. Mais c'est certain, je ne l'ai jamais vu. C'est censé être qui ?

—                   Nous l'ignorons justement. Je pensais que vous ou votre sœur seriez au courant.

Dorothée secoue la tête.

—                   Non, désolée. Quant à ma sœur, cela m'étonnerait fort qu'elle soit impliquée dans votre histoire. Elle habite Boulogne-sur-Mer et sort rarement de chez elle.

Julie acquiesce mollement en rangeant la photo, puis elle en sort une autre.

—     Et ça, vous connaissez ?

Dorothée jette un œil, l'image la stupéfie.

—                     Non, non... Je... Je n'ai jamais vu cette couverture.

—     Vous êtes bien certaine ?

Dorothée met du temps à répondre. Elle ment, Julie en mettrait sa main au feu.

—     Absolument.

—                   S'il devait y avoir un test ADN, vous vous y soumettriez ?

Pas de réponse.

—     Mademoiselle ?

Dorothée retrouve sa maîtrise et son ton arrogant.

—     Pourquoi ? Vous me prenez pour une menteuse ?

—    Ce n'est pas ce que j'ai dit.

—    Alors vous voulez la date de mes règles peut-être ?

Elle se braque, preuve que Julie a mis dans le mille

avec la photo. Cette femme a reconnu la couverture à rayures bleues, c'est certain.

—                    Écoutez, mademoiselle, je termine ma petite enquête auprès de votre sœur, et ensuite j'aviserai.

Dorothée serre les poings.