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—     Oui, j'ai reconnu le visage du catatonique. Oui, je n'ai rien dit et j'ai retardé le test au Rivotril. Parce que je ne voulais pas le guérir, il ne le méritait pas. Il avait tué une gamine. Comme Justine Dumetz avait tué ma famille. Et il avait échappé à la justice.

Il regarde son verre, les yeux hagards. Julie frissonne, le ton de Luc est devenu si dur.

—                   Vous auriez dû faire passer votre travail avant vos sentiments. Ce patient méritait votre soutien, votre aide, autant qu'un autre.

—                  Non ! Non, il ne le méritait pas ! Regardez son sourire sur les articles de journaux !

Julie s'assied à ses côtés, elle lui pose une main sur l'épaule.

—                    Luc... Vous comprenez bien qu'il va falloir révéler ces informations à la police ? Burleaux se cache dans la nature, il est peut-être dangereux. Et il n'y a pas que cela. Vous vous rappelez, les taches sur la couverture ? C'était bien du sang, du sang menstruel.

—    Qu'est-ce que vous racontez ?

—                   Et il appartenait à l'une de vos patientes, Alice Dehaene.

Le verre échappe des mains de Luc. Il se lève, titubant. Il n'est pas loin de l'évanouissement.

—                   Vos découvertes, vous... vous en avez parlé à quelqu'un ?

Julie regarde le verre renversé, puis relève les yeux vers le visage du psychiatre.

—                   Que se passe-t-il, Luc ? Quel est le rapport entre Burleaux et Dehaene ?

Luc se précipite vers le hall.

—                   Restez ici, je reviens très vite. Ne bougez pas, d'accord ?

Il disparaît à l'étage. Il grimpe à l'échelle, passe par la trappe, se dirige vers un coin du grenier. La gorge nouée, il soulève la laine de verre et ramasse un objet enrobé dans un torchon qu'il déballe. Son Ardennlame Rambo. Au bord des larmes, il le cache sous sa veste et redescend dans le salon.

Julie se frotte les mains pour tenter de se réchauffer.

—     Luc, vous me faites peur. Que se passe-t-il ?

Le psychiatre s'approche d'elle d'un pas décidé. Il lui serre violemment le poignet et l'entraîne dans le hall puis dans le garage.

—     Luc !

Elle se tient là, en face de lui, terrorisée.

—     Je vous en prie, parlez-moi !

Luc plonge la main sous sa veste. Des cris résonnent dans sa tête. Il revoit les yeux de biche de Justine Dumetz, couchée dans les feuilles, et le crâne de Burleaux s'ouvrir sous son coup de barre en fer. Jusqu'où faudra-t-il aller ? Combien de morts, encore, pour qu'il échappe à son passé ?

Il se précipite sur Julie et la repousse vers la porte du garage, qu'il ouvre.

—     Fichez le camp d'ici, Julie. Tout de suite.

—     Luc ? Mais...

—     Dégagez !

Il a hurlé. Il claque la porte derrière elle. Perdue, seule, Julie hésite, pose la main sur la poignée pour le rejoindre, puis fait brusquement demi-tour. Elle disparaît dans l'obscurité, en pleurs.

Anéanti, Luc retourne dans son salon.

Il sait maintenant que la vérité ne va pas tarder à éclater.

Et qu'il n'aura pas le courage de l'affronter.

49.

Alexandre sort sa petite balle rouge. Elle se disloque. Le scotch se décolle, le papier se ternit. Il lèche Vadhésif du bout de la langue, tente de réparer cette copie miniature du ballon de son fils, sans succès.

Le petit trou dans le mur, sur sa gauche, lui remet en mémoire le souvenir lointain de sa pauvre voisine, libérée à présent. Libération... Il prend aujourd'hui toute la mesure de ce mot.

Désormais, lorsque Alexandre entend des pas ou le grincement d'une porte, il part se recroqueviller dans un coin et se plaque les mains sur les oreilles.

Dans un effort devenu surhumain, il tend son bras devant lui, ferme, ouvre le poing, éprouve ses muscles tétanisés. La douleur irradie de partout. Bientôt, à continuer ainsi, il ne sera plus capable de rien. Ni de se lever, ni de se nourrir, ni même de penser.

Il considère la lettre, là-bas, entre deux barreaux, ce morceau de papier qu 'il n 'ose arracher par peur des représailles.

Alexandre inspire fort. Il va signer.

Mais certainement pas pour offrir sa mort sur un plateau. Ça non.

Les lèvres pincées, l'homme au crâne rasé plaque ses mains à plat sur le sol, joint ses pieds et fléchit les bras. Une pompe, deux... Son nez s 'écrase par terre. Il tente de recommencer, sans succès. À quatre pattes, il retourne en direction des restes de son repas et récolte de la pointe de la langue les petits morceaux de viande encore accrochés sur les os. Chaque gramme de protéine, c'est une chance de plus. Un boulet de charbon dans la chaudière.

Parce que cette lettre ne signifie pas l'arrêt de sa vie. Mais le dernier moyen de franchir les barreaux. De sortir d'ici, avant la déchéance complète.

Il rampe jusqu'à la lettre, l'ouvre et la laisse ouverte de l'autre côté des barreaux.

Voilà, il vient de hisser son drapeau blanc.

Ne reste plus qu'un bref délai avant la fin. Un soupçon d'existence, où il va essayer de se reconstruire en cachette.

Pour surprendre son prédateur.

 

50.

Bray-Dunes est une ville morte, hors saison. En octobre, son pouls bat au ralenti. Mer argentée, digue déserte, grilles des commerces baissées. Alice se tient devant une gigantesque bâtisse divisée en trois cabinets médicaux, à quelques rues du centre-ville. Dentiste, podologue et psychiatre se partagent ces murs. Luc Graham occupe la partie droite du rez-de-chaussée, deux pièces exactement, où se tiennent sa salle d'attente ainsi que le cabinet de consultation proprement dit. Il est plus de 17 heures...

Alice s'avance dans un renfoncement sur le côté du bâtiment et repère un volet. Elle force un peu et parvient à le soulever. Désobéir, se faire prendre... Elle n'y arrivera jamais. Elle se retourne, respire fort. Son corps se rétracte. Bien trop dangereux. Ses doigts se crispent sur son pantalon. Elle s'apprête à repartir, mais se souvient du ton impératif de Dorothée... « Tu liras ce journal, il le faut à présent. »

Luttant contre elle-même, dévorée par l'envie de savoir, d'accéder enfin à une partie de la vérité, Alice se décide à franchir le pas. Elle pose son gilet sur la vitre et frappe avec son poing, de toutes ses forces.

Bruit de verre brisé. Prenant garde à ne pas se couper, elle glisse le bras dans le trou et baisse la poignée de la fenêtre.

En moins de vingt secondes, elle se faufile à l'intérieur du cabinet, rabaisse légèrement le volet, de manière à laisser filtrer la lumière du jour. L'odeur de tabac froid flotte dans l'air, toujours aussi entêtante. La moquette rouge... Le fauteuil en cuir, dans l'angle... Le petit univers rassurant où elle a passé tant de temps... Alice se sent bien ici, en sécurité. Ses pensées gambadent, s'envolent. Luc Graham...

Avec appréhension, elle observe la pièce, où traînent de gros ouvrages sur la psychiatrie, quelques revues, une imposante armoire. En premier lieu, Alice fait glisser le tiroir du bureau. Des feuilles, des stylos, des trombones, un vieux magnétophone. Elle le referme. Angoissée, elle fouille partout, se raccroche aux paroles de sa jumelle pour continuer. L'armoire présente un tas de dossiers classés par ordre alphabétique. Lettre « D »... « Dehaene », elle y est. Ses doigts se rétractent sur un grand cahier d'écolier écorné.