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— Alors pourquoi l’a-t-elle fait ? »

Elle haussa les épaules. Tout le monde la regardait, guettant sa réponse, mais elle n’en semblait pas consciente. « À ce que j’ai cru comprendre, c’était une manœuvre politicienne. Désespérée sans doute, mais dont d’aucuns estimaient qu’elle en valait la peine, parce qu’elle risquait d’apporter à l’Alliance un appui extérieur contre les Syndics et, en même temps, de remonter le moral de sa population. Sol reste un système à part pour l’humanité. L’Alliance proclamait qu’elle y construisait un portail qui profiterait économiquement à ce système et faciliterait à tous les hommes la visite de notre Foyer. Pur altruisme. Le véritable but du portail, même si l’on n’en disait rien, c’était de lier symboliquement Sol à l’Alliance et réciproquement. Les Syndics restaient hors jeu, puisque nous nous interposions entre Sol et eux.

— Sol a dû donner son approbation à la poursuite de sa construction, fit remarquer Charban.

— Vous ne comprenez pas. Sol reste divisé. Des dizaines de gouvernements souverains, héritage de l’ancien temps, se partagent ce système stellaire et la Vieille Terre elle-même. Ils s’entendent sans doute bien maintenant, après avoir guerroyé jusqu’à l’épuisement pendant des siècles, mais, aujourd’hui encore, ils doivent se quereller à propos de la construction de ce portail et du quitus qu’ils doivent donner à l’Alliance. Les autorités de la Vieille Terre s’expriment par la voix d’une organisation bâtie sur les cendres des dernières guerres et destinée à prévenir l’envoi d’expéditions militaires par une autre nation du Système solaire. » Rione s’interrompit brusquement, l’air abasourdie, puis se gifla le front si fort que le bruit de sa claque résonna dans toute la passerelle. « Quelle idiote je fais ! Nous aurions dû le prévoir !

— Quoi donc ? » demanda Sakaï. Tout le monde fixait Rione.

« C’est nous qui avons causé ceci ! répondit-elle. Nous avons fait du portail de l’hypernet que nous avons construit une sorte de symbole. Un symbole qui pour d’autres est une provocation, mais qui ne nous rapporte pas grand-chose. Pourquoi ces vaisseaux d’outre-Sol sont-ils ici ? Pourquoi prétendent-ils protéger le Système solaire et la Vieille Terre ? Parce que l’Alliance y a planté l’emblème d’une revendication territoriale qu’aucun système voisin ne saurait ignorer. Ces gens sont là parce que nous avons érigé ce portail, alors que nous aurions dû nous douter que Sol serait incapable d’interdire à d’autres de nous imiter et d’agir, soi-disant dans le seul intérêt du Système solaire, de manière tout aussi unilatérale.

— Je crois que vous avez mis dans le mille, déclara Sakaï en hochant la tête au terme d’une longue minute de silence.

— Alors il s’agit peut-être d’une méprise, avança la sénatrice Suva.

— J’en serais heureux, affirma Geary. Cela dit, il faudrait aussi convaincre ces gens d’outre-Sol de la prendre à la rigolade.

— Ils ne voudront rien savoir de nos justifications ! déclara Rione. À leurs yeux, nous avons planté notre drapeau sur Sol. Ils chercheront à affirmer leur autorité en réfutant notre revendication. Même s’ils n’ont pas été soudoyés, ils contesteront notre présence ici. Si, en revanche, ils ont été stipendiés dans le but de nous empêcher de sortir en vie de ce système, cela ne devrait que renforcer leur détermination à tenir l’Alliance à l’écart. Pour autant que nous le sachions, ceux qui les ont avertis de notre venue leur auront certainement affirmé aussi que nous comptions établir ici une base militaire permanente. »

Costa fit la grimace. « J’aimerais assez les envoyer paître, mais ils sont bien trop nombreux.

— Il va falloir réfléchir à une ligne d’action appropriée, convint Sakaï. Pour la sauvegarde des intérêts de l’Alliance, le salut de notre mission et celui de tous les occupants de ce vaisseau.

— Rien ne devra être entrepris tant que les représentants du gouvernement à bord de ce bâtiment n’auront pas arrêté une décision, déclara Suva en fixant Geary. Nos vies sont également en jeu. »

À ces mots, Geary sentit se raidir le personnel de la flotte présent sur la passerelle. Mais, avant qu’il eût pu ouvrir la bouche, Rione se chargeait de répondre à Suva, certes courtoisement mais non sans une certaine gravité. « Vous avez raison, sénateur. Il faut très sérieusement peser le pour et le contre. Nous devons décider d’une politique susceptible de répondre à ces circonstances imprévues, et le plus tôt sera le mieux.

— Vous n’avez pas voix au chapitre, répliqua dédaigneusement Suva.

— En fait, si. Le sénateur Navarro m’a donné procuration avant notre départ.

— Il…

— Mais je n’ai pas l’intention de l’utiliser dans la précipitation. Nous devons en débattre. Ainsi que de l’identité de ceux qui ont cherché à faire échouer notre mission et à provoquer la destruction de ce vaisseau. Et de notre meilleure ligne d’action. Mais en privé.

— Je ne…

— Bien sûr qu’il faut en discuter en privé, la coupa Suva en balayant la passerelle des yeux avant de reporter délibérément le regard sur Costa. Sénateur Sakaï ?

— Bien entendu.

— Amiral Geary, avant que nous ne revenions avec d’autres instructions, vous devrez vous en tenir strictement à celles que le gouvernement vous a déjà données.

— Oui ! lui fit écho Suva. Tenez-vous-en strictement aux instructions du gouvernement, amiral.

— Comptez sur moi », répondit Geary en s’efforçant de réprimer un sourire. Rione, quant à elle, était impavide. Et, si Rione en était capable, lui aussi.

Charban suivit des yeux les trois sénateurs qui quittaient la passerelle puis se tourna vers Geary, l’air lugubre. « N’étant moi-même élu à aucun poste ni ne disposant d’un pouvoir que m’aurait confié un élu, je n’ai pas à intervenir dans ce débat. Je me bornerai donc à transmettre aux Danseurs le message dont nous parlions un peu plus tôt, à moins que vous ne croyiez nécessaire d’en modifier la teneur.

— Faites donc, général. » Geary montra les bâtiments extraterrestres sur son écran. « Il reste indispensable de leur conseiller de se tenir à l’écart de ces vaisseaux d’outre-Sol. Mais tâchez de leur préciser que, à la lumière du message que nous avons reçu, il s’agit d’une sorte de quiproquo qu’il nous faut éclaircir, et qu’il serait donc périlleux de s’en approcher tant que l’affaire ne sera pas élucidée.

— Je ferai de mon mieux, amiral », répondit Charban. Il claqua les talons, salua avec un sourire désabusé et quitta à son tour la passerelle.

Geary se tourna vers Desjani, laquelle fixait toujours son écran, les mâchoires crispées. « Quel est le problème ? »

Elle le dévisagea, le regard noir. « Ils vous ont lié les mains. Vous ne vous en êtes donc pas aperçu ?

— Que non pas. On m’a exhorté à me plier aux instructions antérieures. Rione a fait en sorte de bien le souligner avant de sortir avec les sénateurs. »

La compréhension apparut dans les yeux de Tanya. « Et vos instructions antérieures vous autorisent à agir à votre guise en des circonstances imprévues ?

— Exactement.

— Bon sang ! » Elle semblait encore plus retournée à présent. « Je déteste quand cette femme fait ça !

— Fait quoi ?

— Des trucs comme ça… Complaisants ! Ça m’incite toujours à me demander ce qu’elle complote. » Tanya se rejeta en arrière, la mine soudain songeuse. « Que comptez-vous faire ?

— Je pourrais parlementer avec eux.

— Ça n’a pas marché avec les Énigmas ni avec les Bofs. Et rarement avec les Syndics. Et, autant je ne tiens pas à tomber d’accord avec ce qu’ont dit ces politiciens, autant je trouve louche que ces vaisseaux aient su que l’Indomptable arrivait et qui se trouvait à son bord. S’ils étaient prévenus et qu’ils ont pris ces mesures, ils n’écouteront même pas ce que vous leur direz.