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Il cligna des yeux, ébloui par le soleil brillant de midi et le vent fort et froid soufflant sur la lande, chargé de particules de poussière et de saleté qui s’étaient accumulées pour former des crêtes et de petites dunes sculptées par les vents.

Non loin, une tour de pierre sombre érodée s’élevait des décombres d’un édifice plus vaste dont les fenêtres aux vitres brisées fixaient le paysage, aveugles. La navette s’était posée sur une aire à ciel ouvert entourant des ruines. En contemplant le terrain d’atterrissage pendant l’approche, Geary avait remarqué qu’elle formait un grand carré autour de l’immeuble délabré. Çà et là, des dalles de ciment, vestiges d’autoroutes, perçaient sous le terreau balayé par le vent.

D’autres ruines sombres ou de petits monticules marquant l’emplacement d’autres édifices plus petits et aujourd’hui enfouis encerclaient l’esplanade. Tous se rangeaient le long de voies rectilignes, balisant d’anciennes routes ou rues. Des bâtiments s’étaient jadis élevés là, mais des siècles d’abandon s’étaient soldés par leur effondrement : le temps et les éléments avaient érodé l’œuvre de l’humanité.

Il fit quelques pas et constata que la route cimentée avait fait place à des briques. Quelques-unes gisaient sous son pied, encore intactes mais fissurées. Ce tronçon de route avait dû rester enterré pendant un bon moment, pour n’être que très récemment dévoilé par les vents incessants.

Quelques arbres rabougris saillaient de l’herbe jaunie qui dessinait de petites oasis entre les crassiers. Les plus gros troncs étaient partiellement ensevelis, et leurs restes pourrissants semblaient témoigner de la fertilité qui avait été naguère l’apanage de cette terre.

Tanya était venue se placer à côté de lui et elle regardait autour d’elle avec curiosité. « C’est là que les Danseurs voulaient venir ? J’ai déjà vu des planètes bombardées en meilleur état.

— Ça devait être une jolie ville autrefois, fit-il remarquer. Je ne vois aucune trace de destruction. Elle a dû être abandonnée. » Il pointa quelques immeubles du doigt. « On voit encore les signes de réparations. Des gens se sont certainement incrustés ici le plus longtemps possible, même quand le secteur était devenu un désert. »

Un aéronef s’était posé à proximité et ses occupants en étaient descendus pour arpenter cette désolation. « Entre autres fléaux, la Vieille Terre a été jadis victime d’un bombardement orbital, déclara l’un d’eux, le visage attristé. C’est ici que se trouvait Lyons, dans le Kansas. Comme beaucoup de villes semblables, elle n’a pas survécu aux grands changements climatiques, aux guerres et aux nombreuses autres épreuves qu’a endurées ce monde. Les gens sont restés et ont tenté de les garder en vie, elle et plusieurs de ses pareilles, mais, avec le temps, leurs efforts n’ont pas été suffisants. Vous avez sous les yeux ce qu’il est advenu, à cause de la folie de quelques-uns, des rêves du plus grand nombre.

— Seuls les processus naturels viennent perturber ces villes, ajouta un autre Terrien. Ce sont des monuments commémoratifs, des rappels.

— Comme de vivre dans un cimetière », murmura Desjani à l’oreille de Geary.

Une femme sourit puis s’agenouilla pour toucher quelques touffes d’herbe un peu plus verte qui poussaient sur le flanc d’un monticule. « Nous avons finalement réussi à inverser le processus climatique qui entraînait l’assèchement de ce territoire. Parvenir à un accord entre toutes les puissances de la planète ne fut pas une tâche aisée, mais, graduellement, nous avons pu prendre des mesures pour rendre sa stabilité à la planète en évitant les traumatismes qui lui avaient été infligés par le passé. Les pluies reviennent. Elles ramèneront les fleuves, les rivières, les torrents et les lacs, puis les arbres et les animaux des plaines reviendront. Et, plus tard, les gens. Ils se construiront peut-être ici de nouveaux foyers et rebâtiront cette ville, ajouta-t-elle en jetant un regard aigu vers l’homme qui avait parlé de ne pas perturber ces villes. Ce n’est pas un musée, mais une planète vivante.

— Nous ne devrions pas nous disputer devant des étrangers, répondit-il, l’air contrarié.

— S’ils ne veulent pas répéter toutes nos erreurs, ils doivent les connaître et savoir comment nous y avons remédié. » Elle se redressa et brossa la poussière de son pantalon. « Cela étant, à ce que j’ai cru comprendre, pas mal d’erreurs ont été commises aussi sur les mondes de nos enfants. Cette guerre interminable entre l’Alliance et les Mondes syndiqués a-t-elle vraiment pris fin ?

— Oui », répondit Geary. En grande partie, précisa-t-il mentalement. « À voir tout cela, à réellement comprendre combien de gens sont morts sur la Vieille Terre, on se demande comment l’homme a pu survivre assez longtemps pour atteindre les étoiles.

— Et réitérer les mêmes folies, ajouta la sénatrice Suva en balayant du regard les environs, le visage tragique.

— Je suis persuadée que nous serions désormais capables d’identifier à la fois ces folies et ceux dont la politique a conduit à les perpétrer », déclara Costa d’une voix acerbe en fixant Suva d’un air entendu.

Celle-ci lui décocha un regard meurtrier. « J’en suis certaine.

— Nous n’avons peut-être pas les réponses à toutes ces questions, lâcha Rione comme si elle s’adressait à la cantonade, mais nous avons beaucoup de certitudes, n’est-ce pas ?

— Devons-nous vraiment importer nos querelles ici ? s’enquit le docteur Nash avant que Suva et Costa eussent eu le temps de répliquer vertement à Rione ou d’à nouveau se déchirer. Vos ancêtres ou les miens ont peut-être vécu ici ou visité ce pays. Leur souvenir ne mérite-t-il pas un peu de respect, plutôt que des disputes ? »

Geary regarda autour de lui et constata que le sénateur Sakaï et Charban l’avaient également rejoint. « Qu’en pensez-vous ? leur demanda-t-il.

— Le Foyer est dans un sale état, n’est-ce pas ? laissa tomber Charban.

— Nous avons eu de la chance, lâcha la Terrienne qui s’était déjà exprimée. Les enseignements que nous avons tirés et la technologie que nous avons développée en faisant de Mars un monde habitable ont joué un très grand rôle dans la réhabilitation et le rétablissement de cette planète que nous avions tellement abîmée. Et tout ce que nous avons appris sur les écosystèmes viables afin de construire des vaisseaux habités capables de convoyer des générations des nôtres vers d’autres étoiles, lors de voyages dans l’espace conventionnel qui duraient plus d’un siècle, nous a, en retour, aidés à réparer nos propres écosystèmes.

— Ironique, n’est-ce pas ? demanda un autre de ses compagnons. Ce n’est qu’en quittant notre Foyer que nous avons trouvé les moyens de le sauver. Vous devriez visiter d’autres régions, voir nos forêts, nos cités. Toute la planète ne ressemble pas à ce que vous avez sous les yeux, et, même ici, la vie aura bientôt recouvert toutes les cicatrices du passé.

— Une planète vivante, insista la femme en décochant de nouveau un regard pénétrant à l’homme qui avait parlé de tout laisser en l’état. Une planète fatiguée, sans doute, mais toujours vivante, et tout le monde ne s’y sent pas épuisé. Ceux que ça démange quittent fréquemment notre monde pour les étoiles, vous savez ? Elles sont notre soupape de sûreté. »

Tant mieux pour vous, se dit Geary. Mais c’est à nous qu’il revient de se charger des desiderata de ces agités quand ils voyagent entre les étoiles.