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L’Indomptable vibra légèrement quand ses propulseurs de manœuvre s’allumèrent à T quarante et un, le faisant basculer sur un nouveau vecteur en même temps que ses unités de propulsion principales continuaient d’accélérer. Toute la formation de l’Alliance se scinda en trois groupes, chacun s’écartant des deux autres tandis que la masse des vaisseaux se déployait en cône autour de leur trajectoire d’origine, un peu comme l’eau gicle d’une lance. Les vecteurs de chaque vaisseau se modifiaient à tout instant, de sorte que les assaillants devraient deviner où allait passer le bâtiment qu’ils visaient, ce qui leur compliquerait encore la tâche.

Les Danseurs restaient à proximité de l’Invulnérable, attirant à leur tour le danger, et, pendant les dernières secondes qui précédèrent l’interception, Geary vit les trajectoires des vingt-trois estafettes s’incurver vers le bas, les vaisseaux lousaraignes et la lourde masse du supercuirassé bof. En dépit des quatre cuirassés humains qui le remorquaient, l’énorme bâtiment capturé aux Vachours semblait modifier sa trajectoire et sa vélocité à une allure d’escargot.

Geary disposait de huit cuirassés se déplaçant en même temps que l’Invulnérable : quatre attelés au supercuirassé et quatre autres chargés de l’escorter. Une fraction de seconde avant le fracas du contact, Geary remarqua que le mouvement d’un de ses cuirassés s’était légèrement déporté. La trajectoire de l’Orion avait dévié de manière inattendue.

Il n’était plus temps de demander au commandant Shen ce qu’il fabriquait, ni même d’essayer de comprendre en quoi cette manœuvre de l’Orion était déplacée.

Même lorsque des vaisseaux limitent leur vitesse d’engagement à 0,2 c, ils se croisent beaucoup trop vite pour que les sens humains puissent l’enregistrer. Geary vit les vingt-trois estafettes arriver pratiquement sur la partie de sa formation contenant l’Invulnérable, les transports d’assaut, les auxiliaires et les Danseurs, puis distingua quatre de ces vaisseaux syndics qui avaient manqué leur cible et qu’avait également ratés le déluge de feu déclenché par les systèmes automatisés des bâtiments de l’Alliance, capables de réagir bien plus vite qu’un être vivant.

« Que s’est-il passé, par l’enfer ? » demanda-t-il. Quelque chose clochait horriblement. Il manquait une unité dans la formation de l’Alliance.

La réponse s’afficha sur son écran.

L’Orion.

C’est à peine si Geary remarqua que les quatre dernières estafettes s’efforçaient de rebrousser chemin pour une autre estocade, et s’il éprouva du soulagement en constatant que des missiles spectres les prenaient en chasse et les éliminaient.

Son écran lui repassait au ralenti l’instant du contact : quelques tirs faisant mouche, certaines estafettes disparaissaient dans un nuage informe de poussière et d’énergie alors que d’autres poursuivaient leur course, visant manifestement les Danseurs à présent, lesquels Danseurs, maudits soient-ils, semblaient quasiment immobiles à côté de l’Invulnérable ; les autres estafettes ciblaient les transports d’assaut et les auxiliaires. Les Danseurs esquivaient leurs assaillantes à la toute dernière seconde. Le Titan, le Typhon et le Mistral, quant à eux, semblaient presque s’aligner par rapport à l’ennemi et donnaient l’impression d’incurver leur trajectoire trop lentement pour éviter les estafettes qui les visaient, tandis que chaque vaisseau de l’Alliance vomissait mitraille et faisceaux de particules de ses lances de l’enfer dans un ultime geste défensif. L’Orion tanguait légèrement sur sa trajectoire et se relevait un tantinet, juste assez pour que cinq estafettes rescapées, qui fondaient sur le Titan et les deux autres transports d’assaut, le frappent tant de plein fouet que par des ricochets.

Un cuirassé lui-même ne saurait résister à de si nombreux impacts infligés par une telle masse à une telle vélocité. L’énergie libérée fut assez formidable pour réduire l’Orion et les cinq estafettes en un nuage de gaz et de poussière.

L’Orion avait disparu, en même temps que le commandant Shen et tout son équipage.

« Tous les appareils ennemis anéantis, rapporta le lieutenant Castries d’une voix plus atterrée que triomphante. L’Orion a été détruit. Les autres vaisseaux de la flotte sont indemnes.

— Maudits soient-ils ! » murmura Geary. Il comprenait à présent la haine que vouait Desjani aux Syndics, les raisons qui avaient poussé la flotte de l’Alliance à exercer des représailles répétées pour venger de telles exactions et à perdre en chemin le sens de l’honneur et de la morale ; comment la soif de vengeance avait pu, au finale, triompher de l’éthique.

« Ils prétendront plus tard qu’ils n’étaient pas au courant, ragea Desjani d’une voix sourde et féroce. Les Syndics d’ici, je veux dire. Qu’ils ne savaient absolument pas à qui appartenaient ces estafettes. Vous pouvez en être sûr.

— Oui. » Et rien ne pourrait l’infirmer. Les estafettes et leur équipage d’un homme avaient été pulvérisés. Les morts ne parlent pas.

Il aspirait à châtier les Syndics de ce système stellaire, tous autant qu’ils étaient, pas seulement les donneurs d’ordres mais aussi ceux qui laissaient faire sans réagir, ceux qui soutenaient leurs dirigeants par leur passivité, leur inaction ou leur consentement.

Non. Ne fais rien pour aggraver encore la situation.

Mais l’Orion n’était plus là, victime d’une attaque qui ne pouvait se traduire que par sa destruction.

« Amiral. » La voix de Rione lui parvint au travers du brouillard de sa rage. Elle lui fit un drôle d’effet, comme si ses émotions à elle aussi bouillonnaient juste derrière le masque rigide de sa face. « Je voulais vous demander si le portail de l’hypernet n’aurait pas été endommagé par un combat qui s’est déroulé à proximité. Ce serait une grosse perte pour ce système stellaire si son portail s’effondrait suite à cette bataille aussi brutale que superflue. »

Geary mit quelques secondes à comprendre, puis il sentit comme une froide résolution combattre en lui sa colère enfiévrée. Il appuya sur une touche. « Capitaine Smyth ? »

Le Tanuki n’était distant que de quelques secondes-lumière, de sorte que la réponse lui parvint très vite. « Oui, amiral ? s’enquit Smyth d’une voix feutrée.

— Je crains que le portail de l’hypernet n’ait souffert de dommages dus à des tirs égarés ou à des débris de ces estafettes. J’aimerais qu’on l’inspecte soigneusement pour s’assurer qu’on ne lui a infligé aucun dégât susceptible de provoquer son effondrement. Bien que son dispositif de sauvegarde interdise en principe l’émission d’une onde de choc dévastatrice consécutive, ce phénomène pourrait toutefois grever dans un avenir prévisible tout le commerce passant par ce système stellaire. »

Smyth fit la moue. « L’affrontement ne s’est pas déroulé assez près, amiral… » Il hésita une seconde puis la compréhension se fit jour dans son regard et il hocha la tête. « Mais le portail aurait effectivement pu souffrir de certains dommages. Invisibles à moins de s’en trouver assez près. Et catastrophiques. Il serait pour le moins… malencontreux que le portail de ce système s’effondre.

— En effet, capitaine Smyth. Voulez-vous bien vous en occuper ?

— À vos ordres, amiral. Certains fragments de l’Orion auraient pu en effet entrer en collision avec ses torons. Ce serait pour le moins ironique, n’est-ce pas ?