Geary marqua une pause pour se tourner vers Desjani avant de répondre. Celle-ci venait de proférer une obscénité, un mot dont il aurait juré qu’elle ne pouvait pas le connaître, et elle poursuivait sur sa lancée d’une voix brûlante de rage : « Une diversion ! Ces foutues attaques suicides n’étaient qu’une diversion ! Pendant que nous y ripostions, des navettes furtives ont réussi à intercepter l’Invulnérable et leurs troupes d’abordage se sont faufilées à son bord !
— Oui. L’Orion est bel et bien mort à cause d’une diversion. » Geary aurait dû voir rouge, mais il s’était comme glacé intérieurement. « Les navettes furtives des Syndics doivent toujours se trouver non loin de l’Invulnérable. » Il y avait une manœuvre prévue à cet effet, une opération préétablie qu’il lui suffisait de mettre en branle. « Modèle Recherche et Destruction Sigma. » Il enfonça une touche de son unité de com. « À tous les croiseurs légers et destroyers de la première flotte, modèle Recherche et Destruction Sigma. Exécution immédiate. Cadre de référence de la recherche : proximité de l’Invulnérable. Objet : toute navette furtive syndic. Destruction immédiate dès détection.
— Modèle Recherche et Destruction Sigma ? » Desjani chercha dans sa base de données. « Jamais fait ça, moi. De quand date ce programme ?
— Il remonte à plus d’un siècle, répondit Geary. Mais il est actif dans les systèmes de manœuvre de tous les bâtiments de la flotte. Il suffit de l’entrer et les systèmes automatisés placeront les vaisseaux voulus aux positions requises, en fonction du nombre de ceux dont la formation a besoin pour remplir cette mission.
— Ça fait beaucoup », lâcha Desjani avec un sourire mauvais, sans quitter son écran des yeux.
Tous les destroyers et croiseurs légers de la première flotte, soit environ deux cents vaisseaux, étaient en train de basculer en une formation serrée de recherche, concentrée sur la région de l’espace proche de l’Invulnérable et de la trajectoire qu’il avait adoptée. Repérer des navettes furtives pouvait se révéler d’une incroyable difficulté, surtout si elles s’abstenaient de manœuvrer. Mais, avec tous ces bâtiments à l’affût dont les relevés seraient automatiquement combinés, comparés et collationnés par les systèmes de combat de la flotte, la plus pointue des technologies furtives aurait le plus grand mal à cacher les anomalies qu’ils décèleraient.
Si seulement j’avais eu le temps de déclencher ce programme de recherche avant que les Syndics n’abordent l’Invulnérable, songea amèrement Geary. Mais c’était précisément l’objectif de l’attaque suicide : nous contraindre à y réagir, nous obnubiler et nous empêcher d’envisager d’autres menaces.
« Ils sont dans la principale salle de contrôle factice, rapporta l’amiral Lagemann. Les senseurs de Lamarr du sas principal annoncent qu’ils sont déjoués. Et… le mulet persan présent sur place a cessé d’émettre. »
Un leurre mort. Geary dut refouler un absurde élan de chagrin à l’annonce de la « mort » du brave et fidèle petit leurre des fusiliers. « Qu’en est-il de la fausse passerelle ? »
L’image du major Dietz venait également d’apparaître à côté de Geary, en cuirasse de combat intégrale. « L’équipe d’abordage syndic a dû coordonner ses frappes pour atteindre simultanément ces deux cibles, mais elle a dû se heurter à des retards en raison de son ignorance de la disposition des lieux à bord du supercuirassé. Elle aura le plus grand mal à nous trouver et, si elle y parvient, elle tombera sur des soldats prêts à l’accueillir.
— Amiral Lagemann, on ne peut pas laisser aux Syndics le contrôle de l’Invulnérable, déclara Geary.
— Ils ne le prendront pas, affirma le major Dietz. Je laisse une entière compagnie, renforcée par des matelots, pour garder cette zone. » Il réussit à ne pas se montrer sarcastique à la perspective de spatiaux en armes fournissant aux fusiliers un renfort efficace. « J’emmène l’autre compagnie, scindée en plusieurs escouades, à l’assaut des deux compartiments leurres investis par les Syndics. S’ils ont embarqué des armes nucléaires à bord de l’Invulnérable, ils les auront très certainement laissées sous bonne garde dans ces compartiments. Nous ne pouvons pas débusquer des gens en cuirasse furtive, surtout dans un espace aussi vaste et avec si peu de fusiliers, mais nous pouvons en revanche rendre la vie très difficile à leurs gardes et éventuellement nous emparer de ces armes.
— Avez-vous eu confirmation de la présence d’armes nucléaires syndics à bord de l’Invulnérable ? demanda Geary.
— Non, amiral. Ça reste une hypothèse, fondée sur une estimation des intentions probables de l’ennemi. Mais je recommande fermement de partir du principe que l’équipe d’abordage syndic possède au moins un engin nucléaire.
— Vos estimations se sont révélées extrêmement précieuses jusque-là, major Dietz. J’approuve votre recommandation. Amiral Lagemann, général Carabali, nous postulerons donc que les Syndics ont embarqué des armes nucléaires à bord de l’Invulnérable. »
Le canal du général Carabali venait de s’ouvrir et elle répondit par un hochement de tête aux derniers mots de Geary. « Nous partirons de ce principe, amiral. Demande permission d’envoyer des renforts à bord de l’Invulnérable.
— Quels effectifs et dans quel délai ? s’enquit Geary.
— Tous ceux du Tsunami, répondit-elle. Soit près de huit cents fantassins. Et dès qu’il pourra se ranger le long du supercuirassé. J’aimerais aussi amener le Typhon à proximité de l’Invulnérable au cas où sa défense exigerait également la présence des fusiliers de ce second transport d’assaut.
— Permission accordée. Dépêchez dès que possible ces fantassins sur l’Invulnérable.
— Compris, amiral. On s’en occupe. »
Geary se tourna vers le major Dietz. « Vous avez capté ? Vous avez bon nombre d’amis en chemin.
— Oui, amiral. » Dietz semblait étudier certain des écrans obscurs qui l’entouraient. « Un autre senseur de Lamarr vient tout juste d’être débranché dans une coursive. Ils nous cherchent. Je vais faire sortir mes soudards et leur faciliter les retrouvailles. Deux escouades piqueront vers la salle de contrôle factice et deux autres vers la fausse passerelle. Notre contre-attaque distraira aussi les Syndics et leur interdira de se rendre compte qu’un tas d’autres fusiliers vont monter à bord. » Il entreprit de s’éloigner puis s’arrêta en affichant une expression intriguée. « Une fusillade ? Amiral, des senseurs nous rapportent qu’on tire dans un secteur où ne se trouve aucun des nôtres.
— Ils tirent sur des ombres ? suggéra Lagemann.
— Des ombres ? Ce sont sûrement des forces spéciales syndics. Voire de ces fanatiques des forces de sécurité qu’il m’est arrivé de combattre. Des vipères. Des gars fichtrement coriaces et très bien entraînés. Ils ne tireraient sûrement pas sur des ombres… » L’expression de Dietz s’altéra. « En cuirasse furtive, la tactique conventionnelle est d’agir isolément ou, au maximum, par groupes de deux ou trois. Même s’ils avaient infiltré un bataillon entier à bord, ils ne convergeraient pas sur un objectif en groupes plus nombreux. Ils ne sont forts que d’une compagnie tout au plus.