L’escouade fit halte avant l’angle de la coursive où s’ouvrait le principal sas donnant sur le compartiment factice. Son chef passa le bout du doigt derrière le coin ; la caméra fixée à son index lui fournit une image claire du passage perpendiculaire.
Rien, apparemment. Le sas était ouvert. On ne voyait personne.
« Pourquoi ont-ils laissé cette écoutille ouverte, sergent ? demanda un fusilier.
— Pour qu’on l’emprunte, affirma le sergent. Une vieille ruse. On laisse un accès libre à l’objectif que l’ennemi cherche à investir en espérant qu’il s’y engouffrera sans se poser de questions. Le nombre de ceux qui tombent dans le panneau vous surprendrait.
— Qu’est-ce qu’on fait, sergent ?
— Major ?
— Il faut qu’on entre là-dedans le plus vite possible, sergent Cortez, répondit Dietz. Si les Syndics ont emporté des armes nucléaires, l’une d’elles se trouve probablement à l’intérieur. Il faut les déborder sans délai.
— Entendu, major. On va se servir de grenades à rebonds pour les éblouir et neutraliser leurs cuirasses furtives, les gars. Équipes un et deux, préparez vos grenades. Réglez-les sur “poussière”.
— Poussière, sergent ? Pas éclats ?
— Vous m’avez entendu. Vous avez besoin d’un dernier coup d’œil, les gars ?
— Ouais, sergent. »
Le sous-off passa de nouveau l’index derrière l’angle et laissa l’image s’afficher plus longuement sur la visière du casque de ses hommes.
Qu’est-ce qu’une grenade à rebonds ? Geary tourna le regard sur un des côtés de l’écran du fusilier et repéra un inventaire de l’armement. Il cliqua sur l’icône correspondante et obtint une image et une description : une grenade revêtue d’une chemise extrêmement élastique, assez épaisse pour que son explosif se comporte à la manière d’un jouet SuperBall.
« C’est vu ? s’enquit le sergent en retirant le doigt armé d’une caméra.
— Ouais, sergent. Fastoche. J’ai marqué des buts plus durs en dormant.
— Tâchez de ne pas foirer. À mon signal, tirez l’un après l’autre dans cet ordre : Denny, Lesperance, Gurganus, Taitano, Caya, Kilcullen. C’est compris ? »
Six des fusiliers répondirent affirmativement.
« Les autres, préparez-vous à foncer dans le tas. Prêts ? Tirez, tirez, tirez, tirez, tirez, tirez. »
Chacun des fusiliers cités balança sa grenade en fonction de sa place dans la séquence de tir. En vue plongeante, Geary vit les grenades rebondir sur la cloison opposée puis ricocher encore sur celle qui lui faisait face pour emprunter la coursive perpendiculaire avant de s’engouffrer dans le sas béant du compartiment factice. Il se rendit alors compte que les tirs avaient été légèrement espacés pour interdire aux grenades de se heurter l’une l’autre et de bâcler ainsi leurs rebonds. En l’espèce, chacune explosant après son entrée dans le compartiment, on eut droit à six tirs couplés parfaits.
« Giclez ! » hurla Cortez.
Geary vit les fantassins se précipiter, tourner l’angle et foncer vers le sas ouvert d’où s’évadaient à présent des nuages de poussière.
Les contours diffus, indistincts de silhouettes humaines en cuirasse de combat apparaissaient à présent dans la poussière, détourées et révélées par elle en dépit de leur capacité furtive. Brusquement conscientes qu’elles étaient désormais au moins partiellement visibles, ces sentinelles ouvrirent le feu et réussirent à abattre un des fusiliers avant d’être frappées à leur tour par une douzaine de tirs.
Les soldats de l’Alliance ripostaient âprement dans tous les sens, changeaient de direction et s’engouffraient dans le compartiment. En dépit de sa première visite, Geary était quasiment incapable de le reconnaître tant il était saturé de poussière. Il comprit enfin pourquoi les grenades avaient été réglées sur « poussière » : réduite en une fine poudre, leur chemise annihilait l’avantage que leur cuirasse furtive procurait aux Syndics. Leurs silhouettes se dessinaient dans les nuages tourbillonnants. L’image retransmise à Geary par la cuirasse du sergent tressauta soudain sauvagement : l’homme avait été touché, il était plié en deux et titubait le long de la paroi du compartiment.
Geary changea précipitamment de point de vue, jetant son dévolu sur le caporal qui menait à présent l’escouade. Deux autres tirs se firent encore entendre dans le compartiment puis le silence retomba, tandis que les gars de l’escouade le passaient au crible en quête d’ennemis survivants.
« Le sergent est tombé ! Ç’a l’air moche.
— Vois ce que tu peux faire, commanda le caporal Maksomovic. Et Tsing ?
— Mort.
— Merde ! Il reste des Syndics en vie ?
— Pas pour longtemps.
— Bon sang, Caya, si vous en trouvez un encore en état de respirer, toi ou les autres, laissez-le vivre ! On a reçu l’ordre de faire des prisonniers aux fins d’interrogatoire, et vous avez intérêt à obéir !
— D’accord, d’accord, Mack. Hé, celle-là est encore… Laisse tomber ! »
Geary voyait le caporal Maksomovic flotter près d’une silhouette en cuirasse syndic désormais privée de toute capacité furtive. « On peut la “ressusciter” ?
— Pas avec un trou de cette taille dans la peau. C’est à se demander comment elle a pu tenir si longtemps.
— Eh, Mack, je crois avoir trouvé l’arme nucléaire qu’on cherchait.
— N’y touche surtout pas, Uulina ! » L’image se déplaça hâtivement pour se focaliser sur un cylindre trapu dressé dans un des angles du compartiment. Sur l’écran de visière du caporal, son système de combat identifia automatiquement l’arme ennemie et fournit des informations cruciales. « Major, on a un engin nucléaire confirmé. À fusion. »
Le major Dietz semblait tout à la fois soulagé et inquiet. « Armé ?
— Euh… ? Commutateur d’armement. » L’écran de visière du caporal Maksomovic éclaira en surbrillance la partie de l’arme qu’il regardait, lui fournissant ainsi un schéma des positions « on » et « off » du commutateur d’armement. « Non, major. Le commutateur n’a pas été basculé.
— La minuterie ?
— Non, major. Pas de compte à rebours en cours.
— Bien joué. Conservez vous-même cet engin jusqu’à ce qu’on puisse vous passer un ingénieur de l’armement qui vous expliquera comment le désactiver. Et méfiez-vous : les Syndics pourraient tenter de vous le reprendre.
— Oui, major. Major, on a un blessé…
— On a vu. Une autre escouade est en chemin avec deux médecins de la flotte. Ne laissez surtout pas les Syndics récupérer cette arme nucléaire.
— Merci, major. Compris : on garde l’engin à tout prix. Très bien, les gars, reprit le caporal en s’adressant à ses hommes, les équipes paires surveillent le sas ouvert, les équipes impaires l’écoutille fermée. Ne restez pas tassés, ça leur faciliterait la tâche de vous dégommer ! Déployez-vous ! Kilcullen, vois ce que tu peux faire pour le sergent en attendant l’arrivée des toubibs.
— Où tu vas, Mack ?
— Je dois surveiller Duduche la Bombinette. Guettez les Syndics pendant que je la tiens à l’œil. »
Une autre voix se fit entendre. Geary se rendit compte qu’il accédait au canal de commandement des fusiliers. « Comment ça se passe, Vili ? demandait le général Carabali.
— J’ai la situation en main, répondit le major Dietz. Zone de commandement sécurisée et contre-attaque en cours. Nous tenons la salle de contrôle de l’ingénierie factice et nous nous préparons à reprendre la fausse passerelle.