« Amiral Geary, nous venons de recevoir une transmission d’une femme qui se prétend la commandante de l’équipe d’abordage. Elle affirme détenir un engin nucléaire et exige que nous mettions un terme aux opérations et que nous évacuions l’Invulnérable, faute de quoi elle le fera exploser. »
Six
« Qu’est-ce que vous disiez, déjà ? demanda Desjani. Quelque chose à propos de l’Invulnérable ?
— Oubliez. » Geary s’accorda une pause pour raffermir sa voix avant de répondre à Lagemann. « Où est-elle ? Savons-nous au moins où se trouve cette commandante avec son engin nucléaire ? »
Ce fut le major Dietz qui répondit d’une voix morne. « Dans cette zone selon notre plus fiable estimation, déclara-t-il en indiquant un secteur situé vers le centre du supercuirassé et légèrement en arrière. Vous pouvez constater que nos forces interdisent toute progression le long de ces lignes et qu’à mesure que les patrouilles nous confirment que des zones sont dégagées elles établissent des barrages sur de nouvelles positions. Nous ne rencontrons plus de Syndics se déplaçant isolément ou par petits groupes, de sorte qu’il nous semble raisonnable de postuler que leur commandante a compris que les rassembler était le seul moyen de leur interdire de paniquer. »
Dietz surligna un ensemble de compartiments. « Nous pensons qu’ils se trouvent dans ce secteur. C’est de là que provenait la transmission, et ce bloc de cinq compartiments constitue une position de défense compacte, dont l’accès par en dessus ou en dessous est relativement restreint.
— Quand le saurons-nous exactement ?
— J’ai ordonné aux patrouilles de progresser plus vite et de converger vers la position présumée des Syndics. Dès que nous les aurons localisés, je pourrai envoyer des éclaireurs pour tenter de les dénombrer et de déterminer s’ils détiennent effectivement un engin nucléaire.
— Dix minutes ? insista Geary.
— Une demi-heure », rectifia le major Dietz, manifestement résolu à camper sur ses positions.
Geary inhala une longue et lente goulée d’air tout en réfléchissant aux choix qui s’offraient à lui. « Connectez les émissaires Rione et Charban avec cette commandante syndic. À charge pour eux de faire durer négociations et pourparlers le plus longtemps possible. » Techniquement parlant, il n’était pas habilité à donner des ordres à Rione ni à Charban dans la mesure où, en leur qualité de représentants du gouvernement de l’Alliance, ils n’étaient pas placés sous son autorité ; mais ni l’une ni l’autre n’avaient soulevé cette question jusque-là et, compte tenu de la situation, Geary doutait qu’ils le fissent maintenant. « Laissons croire à cette commandante syndic que nous sommes sur le point de céder à ses exigences, le temps que vous localisiez sa position exacte, que vous la cerniez et que vous tentiez de déterminer si elle bluffe lorsqu’elle affirme détenir un troisième engin nucléaire. »
Il s’efforça de s’arracher à la tourmente qui faisait rage à bord de l’Invulnérable et se massa les yeux avec lassitude. « À quoi ressemble le tableau général, Tanya ?
— Il n’y a rien de nouveau, autant que nous le sachions, répondit-elle. Nous avons repéré et détruit onze navettes furtives. Nous n’avons rien détecté depuis un bon moment, de sorte que nous pourrions bien les avoir toutes anéanties. Que se passe-t-il à bord de l’Invulnérable ?
— Nous avons trouvé deux engins nucléaires, mais il pourrait bien y en avoir un troisième et la commandante syndic menace de le faire sauter. » Il bascula sur le canal du général Carabali. « La destruction d’onze navettes syndics est confirmée jusque-là. Est-ce que cela vous aide à évaluer le nombre des assaillants montés à bord ?
— Cela nous donne au moins un plafond, répondit Carabali. Mais les navettes n’étaient pas nécessairement bondées. Une opération de cette espèce exige d’habitude une certaine marge dans la capacité des transports, au cas où certains connaîtraient des problèmes. Malheureusement, ça ne nous apprend rien sur le nombre des engins nucléaires que les Syndics ont pu embarquer.
— Selon vous, s’il leur reste réellement un engin nucléaire, seront-ils disposés à l’activer alors qu’ils se trouvent encore dans la zone de déflagration ? »
Carabali fronça les sourcils. « Ce sont des gens des forces spéciales syndics, amiral. Pas des fanatiques de leur service de sécurité intérieure.
— Le major Dietz pensait qu’il pourrait s’agir de fanatiques.
— C’était une hypothèse assez raisonnable, mais, à ce que j’ai pu voir de leur matériel et de leurs procédures, ce sont des soldats. Les forces spéciales syndics sont extrêmement fiables et bien entraînées, mais je ne me souviens d’aucune occasion où elles auraient mené des attaques suicides pendant la guerre.
— Vous ne croyez donc pas que leur commandante mettrait sa menace à exécution ?
— Je n’en sais rien, amiral. Ça ne ressemblerait pas aux forces spéciales syndics, mais ce n’est pas non plus exclu. Les Syndics semblent se rabattre sur ces opérations suicides par pur désespoir. Que la… euh… l’atmosphère à bord de l’Invulnérable soit extrêmement perturbante est un facteur supplémentaire dont l’influence possible sur les décisions qu’ils vont prendre, même en groupes nombreux, m’échappe complètement.
— Veillez à leur permettre de se rendre. »
Carabali hocha la tête, mais elle ne semblait guère optimiste. « Ils ne peuvent pas présumer qu’ils seront traités en prisonniers de guerre s’ils se rendent, amiral.
— Je n’ai jamais permis…
— C’est vrai, amiral. Mais, jusque-là, ces prisonniers étaient toujours, sans le moindre doute, des militaires syndics. Ils portaient l’uniforme, appartenaient à telle ou telle unité, présentaient tous les moyens officiels d’identification. En l’occurrence, la femme à qui nous parlons et qui se prétend à la tête de ce groupe ne nous précise pas son grade. Ceux que nous avons abattus ou capturés, pour deux d’entre eux au moins, ne portaient aucun insigne militaire, aucune identification. Ils sont certes équipés du matériel des forces spéciales, mais toutes les informations relatives à l’origine de ce matériel ont été grattées ou limées. Mêmes les puces implantées dans leur organisme et contenant des renseignements, médicaux ou autres, en ont été retirées. Rien ne les rattache au corps militaire syndic ni ne permet de leur attribuer un statut officiel. »
Geary dévisagea Carabali. « Chercheraient-ils à se faire passer pour des pirates ou quelque chose comme ça ?
— Pour des personnes privées participant à une entreprise privée, répondit Carabali d’une voix plate. C’est tout ce que nous avons réussi à obtenir du seul prisonnier en état de parler.
— Croyez-vous qu’ils s’en tiendront à cette version si cela signifie qu’ils risquent la peine de mort pour actes de terrorisme ?
— Difficile à dire, amiral. Nous avançons là en territoire inconnu. Auparavant, c’étaient des Syndics et nous étions en guerre, de sorte que nous les traitions en combattants. Pour le meilleur ou pour le pire. Maintenant que nous sommes officiellement en paix, les responsables syndics bénéficient techniquement de protections dont ne disposent pas les personnes privées. Toutefois, s’ils prétendaient à un quelconque statut officiel, ils ne portent rien sur eux qui permettrait de le justifier, et l’on peut raisonnablement affirmer, à mon avis, que les CECH de ce système nieront avoir eu connaissance de leur existence et de leurs agissements, de sorte que nous pourrions les exécuter tous, légitimement, officiellement et honorablement, quelles que soient leurs protestations. »