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Geary dut marquer une pause pour réfléchir. Il ne pouvait guère consacrer trop de temps à songer aux conséquences d’une explosion du troisième engin nucléaire des Syndics, si du moins ils en possédaient réellement un, car le seul fait de les envisager avait de bonnes chances de lui ôter tout son courage. Il leur en voulait toujours, néanmoins, et il était résolu à ne pas les laisser l’emporter, d’aucune manière, après l’attaque sournoise qu’ils avaient menée à Sobek. Mais il savait aussi que cette attitude n’était certainement pas la plus propice à arrêter une décision.

L’Invulnérable restait d’une valeur inestimable pour l’humanité tout entière, même si l’on ne tenait pas compte du prix que son arraisonnement avait coûté à la flotte lors de cette bataille contre les Bofs. Oserait-il risquer l’anéantissement de tout l’enseignement qu’elle pourrait en tirer ?

D’un autre côté, oserait-il y renoncer ? À supposer que l’Invulnérable recelât quelque part en ses entrailles le secret du système de défense planétaire des Bofs ? Et que les Syndics s’en emparent ? Ces mêmes CECH prêts à ordonner des attaques suicides et à menacer de destruction cette mine de connaissances qu’était le supercuirassé ?

« Entrez dès que vous serez prêts, répondit Geary. Si vous réussissiez à faire d’autres prisonniers, ce serait parfait, car j’aimerais que des survivants puissent attribuer cette opération aux Mondes syndiqués, mais l’objectif principal reste leur défaite rapide afin qu’ils n’aient pas le temps de faire détoner cet engin nucléaire, s’ils le détiennent réellement. » Conscient que toute réponse ne serait qu’une hypothèse, il ne se donna pas la peine de demander à Dietz quelles seraient ses chances de succès.

Le major salua. « Cinq minutes, amiral. Le plan d’assaut est déjà prêt. Nous frapperons de toutes parts simultanément.

— Parfait. » Geary s’efforça de nouveau d’envisager le tableau dans son ensemble et de réprimer les images mentales de ce qui risquait incessamment de se produire s’il avait pris la mauvaise décision. « Toujours le silence radio ? demanda-t-il à Desjani.

— Ouais. J’ai ordonné un bombardement de saturation de la principale planète habitée. Nous l’avons lancé il y a dix minutes, mais il ne l’atteindra que dans une demi-journée, de sorte qu’il n’y a encore rien à voir. »

Geary la foudroya du regard. « Ce n’est pas drôle. Peut-on savoir pourquoi tout le monde s’est brusquement mis à faire de mauvaises plaisanteries ? »

Elle soutint son regard. « Parce que tout le monde a la frousse.

— Oh. » Il ne trouva rien à répondre.

« Leurs méthodes sont inusitées, expliqua-t-elle. Nous ignorons comment ça va tourner. Nous ne savons pas si les sacrifices qui nous ont été imposés pour prendre possession de l’Invulnérable ne vont pas être anéantis d’un seul coup par la fusion d’une petite étoile à l’intérieur du supercuirassé. Nous voulons rentrer chez nous, et nous ne savons pas non plus ce que ces fichus Syndics nous ont préparé. D’accord ?

— D’accord ! » Il eut un geste d’excuse. « J’étais trop débordé pour songer à tout cela.

— Trop occupé à commander ? Vous ne manquez pas d’air. » Elle eut un bref sourire. « Nous serions bien plus terrifiés si vous n’étiez pas aux commandes.

— Nos soldats vont éliminer les Syndics encore en vie à bord de l’Invulnérable dans… quatre minutes.

— Devons-nous en éloigner les destroyers ? Plusieurs de la formation de recherche s’en trouvent encore très proches. »

Geary dut peser le pour et le contre : risque de destruction des destroyers s’il les laissait en position ou bien impact pernicieux sur le moral de l’équipage de l’Invulnérable s’il se rendait compte que leur amiral envisageait le pire. Si les spatiaux étaient d’ores et déjà terrifiés, voir leur supérieur s’inquiéter d’une possible explosion du supercuirassé ne les rassurerait certainement pas. « Non. Les fusiliers se chargeront de cette menace. » En outre, quatre cuirassés sont littéralement attelés à l’Invulnérable. Nous n’avons plus le temps de les dételer.

« Occupez-vous de la situation de nos fantassins, le pressa Desjani. Je garde l’œil sur la flotte. »

Il lui adressa un regard stupéfait. « Minute. Agissez-vous en tant que vice-amiral ?

— Bah ! Vous venez seulement de vous en rendre compte, amiral ?

— Personne n’élève d’objection ?

— Pourquoi en élèverait-on ? » Desjani le laissa mariner un instant en quête d’une réponse adéquate, puis elle reprit : « Badaya, Tulev, Duellos et Armus n’y voient aucun inconvénient et, du moment qu’eux sont d’accord, personne ne s’en plaindra. » Elle s’interrompit de nouveau. « Jane Geary non plus, d’ailleurs, de sorte que tous les Geary me soutiennent. J’ai l’impression d’être de la famille.

— Hon-hon. Eh bien… euh… continuez.

— À vos ordres, amiral. » Desjani consulta l’heure. « Plus que deux minutes avant l’intervention de la piétaille.

— Merci. » Il se concentra de nouveau sur les fusiliers, repéra les chefs d’unité qui se trouvaient les plus près de la bastide syndic et en choisit un au hasard.

Il lui fallut quelques secondes pour s’orienter et se repérer dans l’image que lui transmettait la visière du casque du lieutenant. Il finit par se rendre compte que son peloton surplombait les compartiments investis par les Syndics. Deux ingénieurs achevaient de disposer une bande destinée à ouvrir une brèche dans la coque au centre de celui qu’occupaient les fusiliers : la bande encadrait une large zone du pont. Flottant en apesanteur et prêt à tirer, le peloton s’alignait tout du long.

Le compte à rebours d’un minuteur s’égrenait, seconde après seconde, sur la visière du casque du lieutenant (une femme). « Une minute, prévint-elle ses hommes. Vous connaissez le topo. Faites des prisonniers si possible, mais empêcher la détonation de l’engin nucléaire reste prioritaire.

— Je ne crois pas qu’ils auront du mal à s’en souvenir, mon lieutenant », fit remarquer le sergent avant de regarder autour de lui. Ses gestes étaient légèrement saccadés. « Finissons-en et tirons-nous de ce vaisseau.

— Ils ne sont pas réels, sergent, fit le lieutenant d’une voix donnant l’impression qu’elle cherchait à s’en convaincre elle-même. N’oubliez pas, vous tous, ajouta-t-elle. Ne touchez à rien. C’est du matériel bof.

— Aucun problème, mon lieutenant, lâcha un caporal au regard fébrile. Je n’ai surtout pas envie de les affoler davantage.

— Dix secondes, les gars ! »

Les ingénieurs avaient battu en retraite, le détonateur à la main, et comptaient les ultimes secondes. « Feu dans le trou ! » lâcha le premier en appuyant sur le bouton. Le second l’avait imité.

Une lueur éblouissante fulgura là où reposait la bande et celle-ci sectionna presque instantanément le pont. La section ainsi obtenue se serait abattue sur celui du dessous si la gravité artificielle avait parlé, mais, en apesanteur, elle resta en place jusqu’à ce que tout le peloton de fusiliers entreprenne de la repousser lourdement de leurs bottes blindées, avant de se laisser tomber avec elle dans le compartiment suivant par le trou ainsi ménagé.

Des tirs commencèrent à retentir, les soldats mitraillant à tout-va à la première indication de la présence de l’ennemi. La section de pont sur laquelle ils se tenaient penchait légèrement de côté, car son extrémité reposait sur le corps d’un Syndic dont les capacités furtives de la cuirasse avaient flanché quand elle s’était abattue sur lui avec le peloton de fusiliers.