Выбрать главу

Les derniers spasmes de l’agonie du portail atteignaient un pic. Les distorsions de l’espace se réduisirent très vite, alors même que les niveaux d’énergie au sein du portail prenaient un tour effroyablement violent, puis les dernières décharges se heurtèrent et s’annulèrent les unes les autres, et, brusquement, il n’en resta plus que quelques débris matériels éparpillés, dérivant dans l’espace.

Sept

« Le principal CECH syndic de ce système stellaire a exprimé toute la peine que lui inspirait notre perte, rapporta Rione d’une voix plate, et il a également affirmé n’avoir aucune idée du commanditaire des estafettes qui nous ont attaqués et qui, selon lui, auraient toutes été vendues par le gouvernement syndic. Si je le presse de nous révéler l’identité de l’acheteur, il me répondra certainement d’un air indigné et scandalisé que la compagnie qui a fait l’acquisition de ces vaisseaux est une société écran dont les dirigeants lui restent inconnus.

— Guère surprenant », déclara Geary en s’efforçant d’adopter un ton impavide. À la requête de Rione, ils tenaient cette conversation privée dans une salle de conférence. « Dans quel délai après l’attaque ce message nous a-t-il été transmis ?

— Ils nous l’ont adressé vingt minutes après que l’image de la fin de l’agression a dû leur parvenir, répondit Rione. Délai suffisant pour que nous puissions en déduire qu’ils ne pouvaient en aucun cas savoir qu’elle se produirait dès notre irruption dans le système. Ils n’ont nié jusque-là aucune implication dans l’attaque de l’Invulnérable.

— Hormis la destruction des estafettes furtives, il n’y en a eu aucune indication jusque-là, fit observer Geary. Nier leur participation à un événement qu’ils n’auraient pas vu paraîtrait louche.

— Que leur répondre ? » s’enquit Rione, assise juste en face de lui, en posant un coude sur la table.

Geary fixa l’écran des étoiles qui flottait entre eux deux et où Sobek occupait le centre, tandis que la trajectoire de la première flotte décrivait un arc gracieux vers cette étoile. À plusieurs heures-lumière de la flotte, la principale planète habitée du système orbitait autour de Sobek ; le monde même qu’habitaient les CECH qui, s’ils n’y avaient pas assisté, avaient à tout le moins eu connaissance de l’agression qui avait causé la perte de l’Orion ainsi que celle de nombreux soldats de l’Alliance à bord de l’Invulnérable.

« Rien, répondit finalement Geary. Qu’ils se demandent ce qui va s’ensuivre. »

Rione fit la moue puis secoua la tête. « Nous pourrions leur rappeler que nous avons fait des prisonniers, que nous allons les ramener dans l’espace de l’Alliance et qu’ils pourraient servir de preuve.

— De preuve de quoi ? Les prisonniers ne diront strictement rien qui pourrait corroborer l’implication officielle de ces Syndics dans cette agression. Nos médecins affirment que tenter de leur tirer les vers du nez pourrait les tuer.

— Nous le savons. Pas les Syndics. Ils savent ce qu’ils ont fait subir à ces soldats, mais pas si nous n’aurions pas trouvé de nouvelles techniques permettant de triompher des blocages mentaux.

— Hmmmm. » Cela risquait en effet de rendre certains CECH extrêmement fébriles. Et peut-être aussi d’épargner à l’avenir ce même conditionnement à d’autres soldats si les Syndics se persuadaient que leurs blocages ne les empêcheraient pas de parler. « Si vous réussissez à l’insinuer, n’hésitez surtout pas. Mais ne leur révélez aucun détail sur l’agression de l’Invulnérable.

— Me prendriez-vous pour une dilettante, amiral ? » Elle fixa à son tour l’écran des étoiles. « Nous devrions peut-être aussi leur annoncer qu’en dépit de tous nos efforts nous n’avons pas réussi à sauver leur portail de l’hypernet.

— Avez-vous lu le rapport que le capitaine Smyth nous a concocté à leur intention ?

— Ce n’est pas Smyth qui l’a écrit. J’aimerais assez en connaître l’auteur.

— Pourquoi ? »

Rione le dévisagea. « Parce que ses talents pourraient se révéler très utiles. »

Les lèvres de Geary se retroussèrent fugacement pour dessiner un sourire parfaitement factice. « L’identité de cette personne reste pour l’instant mon secret.

— Comme vous voudrez. »

Rione avait renoncé trop aisément. Geary pressentait qu’elle ferait des pieds et des mains pour découvrir le lieutenant Jamenson. « Autre chose ?

— Une dernière, amiral. » Elle tourna vers lui un regard indéchiffrable. « Quel effet cela vous a-t-il fait ?

— Quoi donc ?

— La destruction du portail de l’hypernet. Qu’avez-vous éprouvé ?

— En voilà une question ! » Il éludait.

« Vous avez franchi une ligne, amiral. Nous le savons tous les deux. Vous avez ordonné la destruction de ce portail alors que vous n’en aviez pas le droit légalement. Son effondrement enverra sans doute un message clair aux Syndics quant aux conséquences d’un affrontement avec la flotte, mais il vous faut absolument garder à l’esprit que les seules limites à votre pouvoir sont celles que vous vous imposez. »

Il faillit se mettre à vociférer, à lui hurler d’aller au diable, que de braves gens étaient morts, hommes et femmes, que les Syndics de Sobek devraient déjà lui être reconnaissants de n’avoir pas lâché un bombardement orbital qui aurait détruit toutes leurs villes, cités et installations. Au lieu de cela, il se résigna à compter mentalement jusqu’à dix avant d’essayer une nouvelle fois de détourner sa colère. « Si je me souviens bien, on m’en a soufflé l’idée.

— “On”, en effet, reconnut-elle sans s’émouvoir. Est-ce une ligne de défense ou une rationalisation ? Oui, c’est moi qui l’ai fait, mais on me l’avait suggéré. Vous pouvez faire mieux.

— Pourquoi m’y avoir incité si vous vous souciez à ce point du précédent qu’établit pour moi cet effondrement ? insista Geary.

— Parce que j’ai ressenti l’étendue de votre colère. De celle de tout le monde dans la flotte. Je ne pouvais que deviner comment vous réagiriez à la perte du cuirassé. Le portail vous offrait un moyen de riposter de manière à nuire gravement aux Syndics mais sans vous livrer ouvertement à des représailles susceptibles de susciter de nouveaux problèmes. »

Geary continuait de fixer l’écran des étoiles en s’efforçant de trouver le moyen d’esquiver une réponse directe. Mais il restait conscient que la mise en garde de Rione était justifiée. C’est bien pour cela que tu refuses de lui répondre, d’admettre qu’elle a raison. Tu l’aurais peut-être fait si elle n’avait pas insinué que l’effondrement du portail était une manière de vengeance. Mais les représailles massives sont précisément ce que nous sommes censés éviter. C’est une tactique syndic que nos ancêtres n’auraient probablement pas approuvée.

Je ne peux pas l’oublier. J’ai moi-même repoussé les frontières que je m’étais imposées pour rendre ma conduite acceptable. Je dois maintenant les garder en l’état car, si elles bougeaient encore, Black Jack s’autoriserait alors des exactions que jamais je n’aurais tolérées naguère.

Il finit par relever les yeux pour soutenir le regard de Rione en hochant la tête. « Je comprends. Je vois ce que vous voulez dire et je suis conscient des dangers potentiels. Je garderai vos paroles à l’esprit.

— Parfait. » Impossible de dire si elle était contente qu’il acceptât son avertissement. « J’enverrai un message à notre CECH de Sobek pour protester officiellement contre cette agression et lui expliquer que nous n’avons pas pu, hélas, sauver le portail de l’hypernet, trop endommagé par les combats. Il saura que ce n’est pas la vérité, mais il ne pourra rien y faire. Le rapport du capitaine Smyth le fera bouillir de rage car il n’en tirera rigoureusement rien. Son système stellaire est relativement prospère, mais il ne dispose que d’un seul point de saut. Une sorte de cul-de-sac spatial. Il regrettera amèrement son portail.