— Je l’espère bien, fit Geary. J’espère même qu’il ne se passera pas une minute sans que ces Syndics ne lèvent les yeux au ciel et ne se rappellent que leur portail n’existe plus et que ce qui reste des Mondes syndiqués n’a plus les moyens de le remplacer. Et qu’en l’apprenant nombre d’autres systèmes stellaires encore loyaux au gouvernement syndic vont envisager de revoir leurs allégeances.
— Ne placez pas vos espoirs trop haut. » Rione le scruta en secouant sévèrement la tête. « Souvenez-vous de ce que vous avez rappelé à la flotte. Destructions et massacres suffisent rarement à soumettre les gens à notre volonté. Ils risquent davantage d’y réagir de manière bien plus traditionnelle en refusant contre toute raison de plier ou de rompre. Peut-être avons-nous renforcé la mainmise des Mondes syndiqués sur ce système stellaire en détruisant son portail. » Elle s’interrompit le temps de laisser Geary s’imprégner de cette dernière hypothèse puis, voyant qu’il ne s’apprêtait pas à la contester, poursuivit : « Par ailleurs, j’annoncerai aux autorités syndics que nous détenons… cinq… oui, disons cinq de leurs sujets.
— Nous n’avons capturé que deux Syndics à bord de l’Invulnérable, fit observer Geary.
— Broutilles. Deux prisonniers ne suffiraient pas à leur donner des sueurs froides. En revanche, cinq est un chiffre assez gros pour qu’ils se fassent du mouron. Cinq individus dépourvus de toute identification mais qui commencent à répondre positivement au traitement et à fournir des réponses à nos questions.
— Merci, lâcha Geary. J’aime autant vous avoir de mon côté.
— Ne commettez pas cette erreur, amiral, le prévint-elle, l’air parfaitement sincère. Je ne suis pas de votre côté, mais de celui de l’Alliance. Cela au moins n’a jamais changé. Une dernière chose : je vais prévenir notre CECH que l’Alliance tiendra les Mondes syndiqués pour responsables de toute autre agression perpétrée au moyen de vaisseaux ou de matériel syndics, quelle que soit l’identité de leur utilisateur.
— Y êtes-vous habilitée ? demanda Geary. Cela revient à les menacer de guerre en cas de nouvelle attaque. »
Rione ouvrit les mains en souriant. « Je reste officiellement la porte-parole du gouvernement jusqu’à notre retour dans l’Alliance. Il pourra toujours réfuter et condamner mes menaces, mais, jusque-là, les Syndics devront les prendre au sérieux. » Elle le scruta, l’œil inquisiteur, en inclinant la tête comme pour mieux l’étudier. « Quelque chose d’autre vous tracasserait, amiral ?
— Oui, en effet. » Il serra le poing et le fixa. « Sans rapport avec votre rappel selon lequel j’aurais enfreint mes propres règles sur la capacité des représailles à modifier le comportement de l’adversaire.
— Ne voyez en l’effondrement de ce portail qu’un moyen de vous venger de la destruction de l’Orion, ni plus ni moins, et n’en attendez aucun autre profit. Vous êtes humain, Black Jack. Prenez cette leçon à cœur et allez de l’avant.
— D’accord. Mais vous n’écarterez pas aussi aisément mon autre sujet d’inquiétude. Même si les Syndics prennent votre menace au sérieux, elle devra d’abord parvenir aux oreilles intéressées, et il faudra un certain temps pour que des vaisseaux la colportent jusqu’au gouvernement syndic de Prime. Puis il faudra qu’elle en revienne à son tour. En raison de ce délai, qui devrait se mesurer en mois, tout ce qu’ils ont d’ores et déjà tramé se sera réalisé, que leurs dirigeants s’en inquiètent ou s’en amusent le jour où ils en auront finalement vent.
— C’est vrai, reconnut Rione. Peut-être ces menaces ne sont-elles finalement que ma propre forme de représailles, dont je devrais savoir qu’elle a bien peu de chances d’opérer mais qui a au moins le mérite de me réconforter.
— Non, elles restent une bonne idée, sauf qu’elles n’auront d’effet qu’à long terme, de sorte qu’elles ne nous seront d’aucun secours dans l’immédiat mais qu’elles risquent de modifier les projets des Syndics pour les mois qui viennent. Et, si jamais Sobek avait prévu de nous tendre un autre traquenard, il reste une petite chance pour que les autorités locales décident de revenir dessus en prétextant de votre menace. »
Elle hocha la tête comme si une autre idée venait de lui venir, puis reprit, sautant du coq à l’âne : « Ce crochet par Sobek nous fait perdre du temps, n’est-ce pas ? Dans quelle mesure ?
— Pas tant que ça », répondit-il, conscient qu’elle songeait surtout à son mari, toujours sous sédatifs et bouclé dans le lazaret de l’Indomptable. « Le trajet est légèrement plus long que si nous étions passés par Indras comme prévu, mais seulement d’une dizaine de jours, avant que nous ne rencontrions des obstacles plus sérieux à Simur ou Padronis. Atalia se trouve si près du territoire de l’Alliance que je serais très étonné que les Syndics nous y aient préparé une embuscade sans se faire repérer, si du moins ce système a accepté de coopérer avec eux.
— Dix jours, ça peut être très long, amiral », lâcha Rione à l’une des très rares occasions où elle admettait ouvertement les tensions pesant sur sa personne.
Pas bien sûr de trouver les mots justes – si du moins ils existaient –, Geary répondit d’un simple hochement de tête, non sans songer à tous les obstacles que la flotte risquait encore de rencontrer sur la route du retour avant d’atteindre Varandal.
Au cours des quelques heures qui suivirent, Geary fut bombardé de messages en provenance des autorités syndics de Sobek, s’informant de la cause précise de l’effondrement du portail de l’hypernet, de la raison pour laquelle, s’ils visaient seulement le point de saut pour Simur, les vaisseaux de l’Alliance plongeaient vers le cœur du système, exigeant la relaxe de tout citoyen des Mondes syndiqués que la flotte détenait encore, ou bien, en témoignant d’un culot à couper le souffle, le paiement d’un octroi pour avoir emprunté le portail de l’hypernet.
Geary se trouvait sur la passerelle de l’Indomptable quand Rione lui fit part de cette dernière exigence. Avant de lui répondre, il s’assura que le champ d’intimité qui l’entourait était bien activé et interdisait aux officiers présents de l’entendre. « Émissaire Rione, veuillez faire savoir aux autorités syndics qu’elles peuvent aller au diable, lequel leur versera certainement leur dû.
— Dois-je reformuler cela de manière plus diplomatique ? demanda-t-elle.
— Si ça vous chante. Peu me chaut de les offenser. S’agissant de la question des prisonniers, que faut-il répondre ? »
Elle écarta les mains comme pour s’excuser. « Les individus qui sont sous notre garde ne peuvent nous fournir aucune preuve de leur citoyenneté syndic. Nous devons les regarder comme apatrides tant que les autorités d’ici ne les auront pas revendiqués et n’auront pas accepté d’endosser la responsabilité des agissements de leurs citoyens.
— Ça marche pour moi. » Il s’interrompit pour scruter son écran. « Le lieutenant Iger et ses gens n’ont découvert aucun indice concluant de la présence de prisonniers de guerre appartenant à l’Alliance à Sobek. Ce n’est pas plus mal. Si d’aventure il s’en trouvait, les Syndics chercheraient probablement à les échanger contre ceux de leurs citoyens que nous détenons.