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— Rien ne l’a laissé entendre jusque-là, affirma Rione.

— Qu’en est-il des navettes furtives que nous avons détruites ? Les CECH y ont-ils fait allusion ? »

Rione se contenta de ribouler des yeux, rare témoignage de mépris de sa part. « Les autorités d’ici font porter la responsabilité de toute cette affaire à des “éléments dévoyés” et des “acteurs inconnus” dont aucun “n’agit sous les ordres des Mondes syndiqués”. Elles se disent, selon leurs propres termes, profondément scandalisées que ce matériel militaire ait pu tomber entre les mains d’éléments criminels, qui nous ont attaqués pour des raisons qui ne regardent qu’eux.

— Dommage qu’on ne puisse pas étrangler une image virtuelle, lâcha Geary.

— C’est une honte, en effet. Je suis un peu déçue qu’ils ne cherchent même pas à nous servir des boniments un peu plus vraisemblables. » Son visage se fit plus grave. « Peut-être attendent-ils de nous voir réagir. Excessivement, je veux dire, de manière à rompre le traité de paix. L’inverse est tout aussi vrai : ils pourraient se dire que Black Jack se gardera de dramatiser, qu’il tempérera ses réactions et leur permettra ainsi de continuer à nous infliger de légers camouflets jusqu’à ce qu’ils finissent, en s’ajoutant, par nous nuire gravement.

— La perte de l’Orion n’avait rien d’un “léger camouflet”. Quelles sont mes options, selon vous ?

— Marcher sur la corde raide, amiral. Riposter plus durement qu’ils ne s’y attendent mais pas assez pour qu’ils crient à l’injustice.

— Comment suis-je censé faire le tri entre “assez” et “pas trop” ? »

Rione sourit. « Je peux vous y aider. Comme pour la perte malencontreuse du portail local.

— Je vois. » Geary arqua un sourcil interrogateur. « Qu’ont-ils dit exactement à propos de ce portail ?

— Ce que vous avez surtout envie de connaître, c’est l’étendue de leur fureur, alors vous serez sans doute ravi d’apprendre qu’ils crient carrément au meurtre et exigent qu’on leur transmette des données expliquant son effondrement et disculpant nos ingénieurs. Demandent des compensations. Expriment la détresse infinie que leur inspire un tel acte d’agression. Ne me fixez pas de cet œil assassin, amiral. Si vous leur montriez un tel visage lors d’une communication, vous ne feriez qu’étayer leurs… euh… scandaleuses prétentions.

— Je dois avouer que le toupet de certains de ces Syndics commence à me porter sur les nerfs », déclara Geary dès qu’il eut recouvré la maîtrise de sa voix.

Rione sourit de nouveau. « J’y suis davantage accoutumée. Je réponds à leurs accusations par l’étonnement et le désarroi. Je réclame des preuves. J’invoque la clause d’arbitrage du traité de paix. Je promets de me pencher sur la question, d’enquêter. Ils savent que je joue la comédie, qu’il n’en sortira rien, que leur portail a définitivement disparu et qu’ils ne pourront jamais apporter la preuve de notre responsabilité dans cette perte, et je peux vous assurer que ça les fait grimper aux rideaux. »

Il lui rendit son sourire. « Vous êtes très forte pour faire grimper les gens aux rideaux, n’est-ce pas ?

— C’est inné chez moi.

— Pourquoi êtes-vous brusquement devenue si obligeante ? La découverte des Bofs et des Danseurs aurait-elle à ce point changé la donne ? »

Elle détourna un instant le regard puis le reporta sur lui. « Ce qui a réellement changé la donne, c’est la découverte de la détérioration de l’état de mon mari. Le traitement qu’on a fait subir au commandant Benan et la raison pour laquelle on le lui a infligé seraient tellement intolérables aux yeux de la majorité de la population de l’Alliance que je dispose à présent d’un énorme moyen de pression. Ceux qui tentaient de me manipuler en me faisant chanter en seront conscients.

— Si vous rendez ce scandale public, cela pourrait tuer votre mari. »

Rione hocha tranquillement la tête. « C’est ce qu’ils feraient à ma place, de toute façon, et ils m’en jugeront donc capable. Méfiez-vous des gens persuadés de leur bon droit, amiral. Ils se croient tout permis pour arriver à leurs fins.

— Comme les CECH de ce système stellaire ? » demanda Geary, non sans percevoir l’amertume dont était empreinte sa propre voix. Si seulement il y avait eu un moyen de leur faire payer personnellement la perte de l’Orion…

Rione secoua la tête. « Je serais très surprise que leurs actes leur aient été dictés par l’idéalisme ou par la morale, amiral. Ces gens ne s’inquiétaient que de leur profit personnel. Peut-être étaient-ils aussi animés par des mobiles tels que la vengeance parce qu’ils ont perdu un être cher pendant la guerre, mais mes conversations avec les anciens CECH de Midway m’ont fourni quelques éclaircissements sur la mentalité syndic. Leur service de sécurité interne formait sans doute de véritables zélateurs, mais les autres n’obéissaient qu’à l’égoïsme ou la peur.

— Comment un tel système peut-il perdurer ?

— Peur et égoïsme.

— Ma question était sérieuse. »

Rione lui adressa un regard condescendant. « Et ma réponse l’était tout autant. Peur et égoïsme fonctionnent un certain temps, jusqu’à ce que l’égoïsme, si aucune allégeance supérieure ne vient le restreindre, ne devienne plus destructeur que ne peut le tolérer le système, et que la peur de vivre sous sa férule ne l’emporte sur celle de se rebeller contre lui. Les Mondes syndiqués ne tombent pas seulement en quenouille à cause des tensions imposées par la guerre, ni même parce qu’ils l’ont perdue en même temps qu’une grande partie de leur potentiel militaire, mais aussi parce qu’ils ne peuvent plus agiter la crainte de l’Alliance afin d’obtenir l’adhésion des populations et des systèmes stellaires.

— Je vois, fit Geary tout en réfléchissant. L’Alliance affronte elle-même quelques-unes de ces tensions parce que la peur des Syndics contribuait à maintenir sa cohésion.

— Un ennemi extérieur est toujours pain bénit pour les politiciens, déclara Rione d’une voix sèche. Il leur permet d’excuser et de justifier bon nombre de leurs exactions. Mais ça ne signifie pas pour autant que l’ennemi extérieur est toujours une chimère. Quel est ce vieux dicton, déjà ? Ce n’est pas parce qu’on est paranoïaque que nul ne cherche à vous nuire.

— Et les Syndics s’y efforcent encore de leur mieux. » Geary hocha la tête : une idée venait de lui traverser l’esprit. « Je me suis souvent demandé quel but ils visaient. Pourquoi nous agresser ainsi ? Ils savent qu’ils partent perdants. Mais vous venez à l’instant de me fournir la réponse, me semble-t-il.

— Ne suis-je pas merveilleuse ? Bon, si vous n’avez plus besoin de mes conseils avisés, je vais de ce pas rédiger ma réponse à leurs dernières demandes. »

Geary regagna la passerelle et s’installa dans son fauteuil de commandement en s’efforçant, pour la centième fois au moins, d’ignorer l’absence de l’Orion dans sa formation. Après tous ces mois passés à observer le cuirassé – cette malheureuse casserole piètrement commandée accrochée au cul de la flotte, puis, plus récemment, parce que le commandant Shen avait opéré un miracle en la transformant assez radicalement pour en faire un véritable atout –, il se surprenait à le chercher sans cesse des yeux pour ne plus jamais le trouver.

Il coula vers Desjani un regard en biais. Elle effectuait stoïquement sa tâche, le visage impavide, mais il savait que Shen avait été un ami intime. Encore un camarade dont le nom viendrait s’ajouter à la liste de ceux qui, gravés sur la plaque qu’elle gardait dans sa cabine, avaient trouvé la mort et qu’elle était résolue à ne jamais oublier. « Oui, amiral ? » s’enquit-elle subitement. Elle ne s’était pas tournée vers lui, n’avait pas eu l’air de remarquer son regard, mais elle en avait eu conscience.