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Depuis l’orbite, les planètes présentent une multitude de personnalités différentes. Les antiques clichés relatifs aux mondes habités exigent ainsi le bleu et le blanc pour la Vieille Terre, avec pour les continents des taches de différentes couleurs. Geary avait aussi entendu parler de la planète rouge voisine, et il avait vu lui-même d’innombrables mondes dont l’aspect variait à l’infini, depuis les nuages polychromes des géantes gazeuses jusqu’à la roche nue d’astéroïdes torrides.

Le seul monde habitable de Simur semblait peint par un artiste dont la palette se limiterait aux nuances de l’ocre. Les petites mers elles-mêmes évoquaient des taches de rouille boueuse. L’enfilade de dunes de sable d’un pôle Nord aride était d’un terra cotta plus clair. Près de l’équateur, on distinguait sans doute quelques îlots de verdure là où des fermes se cramponnaient à l’étroite zone tempérée. Les quelques rares cités, tout juste assez grandes pour mériter le nom de villes, se trouvaient aussi dans cette zone. Quant au camp de prisonniers, il se dressait à mi-chemin du pôle Sud, et les balafres formées par les constructions qui l’entouraient dessinaient au centre d’une vaste plaine déserte comme une résille aux multiples nuances de brun, de beige et de kaki. Au pôle Sud glacé, la terre était de la couleur chocolat foncé d’une épaisse gadoue visqueuse striée de bandes de glace sale, presque noire.

« Quel trou ! marmotta Desjani d’une voix reflétant sans doute les sentiments de toute la flotte.

— Finissons-en et filons, convint Geary. Général Carabali, débutez l’opération. À toutes les unités de la flotte, tenez-vous prêtes à engager le combat avec les vaisseaux qui menaceraient les navettes ou le camp de prisonniers. » Au moins le délai dans les communications était-il trop bref pour rester perceptible, compte tenu de la formation compacte de la flotte.

Les quatre groupes de vaisseaux syndics n’étaient qu’à moins d’une minute-lumière de distance, assez proches pour qu’on s’en inquiétât mais pas assez pour retarder l’intervention. Les gardes avaient fui le camp à bord des quelques véhicules disponibles, laissant certes leurs détenus sans surveillance mais toujours emprisonnés au milieu de la vaste étendue désertique qui l’entourait.

Le paysage défilait à l’aplomb de la flotte quand on lança les navettes, qui fondirent en vagues sur le camp.

Les nerfs tendus à rompre, Geary fixait son écran ; il s’attendait à une mauvaise surprise, à l’apparition d’une menace imprévue. Les premières vagues de navettes venaient d’entrer dans l’atmosphère et les contours du camp devenaient graduellement distincts à la surface à mesure que la flotte, depuis l’orbite, le survolait de plus près.

L’alarme à haute priorité qui claironna à ses oreilles provenait d’une source inattendue. Pourquoi le Tanuki appellerait-il… ?

Geary appuya sur ACCEPTER, en même temps que son inquiétude redoublait.

Au lieu du capitaine Smyth, ce fut le lieutenant Jamenson qui lui apparut ; ses cheveux verts formaient un contraste saisissant avec son visage blême. « Amiral ! Il faut avorter l’opération ! C’est la mère de tous les pièges qui nous guette là-dessous ! »

Elle n’attendit pas sa réponse et poursuivit sa diatribe en parlant si vite qu’on la comprenait à peine. « Je viens seulement de rassembler les morceaux. Je suis désolée… Je… Deux unités du génie sont répertoriées dans les transmissions syndics. Elles se trouvaient récemment dans ce système stellaire et j’ai reconnu leurs identifiants. Elles correspondent à ce que l’Alliance désigne sous le nom de “briseurs de planètes”, soit des ingénieurs utilisant des explosifs puissants et superpuissants pour certaines tâches spécialisées. Deux d’entre elles, amiral. Et ce camp est la seule construction récente d’importance sur ce monde.

» Il y avait sur place un grand nombre d’excavatrices et beaucoup de matériel de forage. J’ai reconnu les codes de l’équipement syndic. On a creusé quelques gros trous et procédé très récemment à des forages.

» Et on a également identifié de très étranges équipements sur les manifestes des cargaisons, dans les documents de déchargement, les demandes de transfert et même lors de certaines conversations privées. Prises individuellement, ces pièces d’équipement n’ont qu’un usage très restreint, mais, ensemble, elles rappellent beaucoup certain projet de recherche de l’Alliance vieux de cinq décennies. Son nom de code… peu importe… on l’avait surnommé le Tromblon continental. Enterrez un tas de très puissantes bombes nucléaires et servez-vous de l’énergie qu’elles dégagent en explosant pour alimenter un immense champ de projecteurs tubulaires de faisceaux de particules à usage unique. Le projet visait à transformer une zone d’une centaine de kilomètres carrés en un dense champ de faisceaux de particules capable d’anéantir toute flotte d’invasion qui survolerait la région. »

Jamenson inspira profondément puis reprit : « Mais il a été abandonné parce que l’arme ainsi conçue aurait effectivement détruit la planète qu’elle était censée défendre. L’impact sismique d’explosions aussi puissantes, la quantité de matériaux précipités dans l’atmosphère, la forte contamination radioactive, tout aurait concouru à la rendre pratiquement inhabitable. Sans compter que la cible devait absolument la survoler, ce qu’il était difficile de garantir.

» En outre, plusieurs signes indiquent que des officiers supérieurs des forces de sécurité auraient quitté la planète au cours des derniers jours. Avec leur famille. Pour un prétendu rassemblement dans une luxueuse station balnéaire de la plus grande lune de cette planète, dont l’orbite, au demeurant, ne la ramène jamais à l’aplomb de la région qu’occupe ce camp. »

Geary se demanda fugacement s’il était aussi blême que Jamenson. Iger lui avait bien transmis des rapports sur le personnel de haut rang qui avait récemment quitté la planète, mais c’était là un comportement assez banal chez les dirigeants syndics qu’un danger menaçait et il ne s’en était pas alarmé. Aucun des quatre groupes de vaisseaux syndics n’avait pris position au-dessus du camp, il s’en rendait compte à présent. Leurs passes de tir répétées et leur proximité avaient conduit la flotte à adopter une formation défensive compacte, offrant une cible idéale à un large champ de faisceaux de particules lorsqu’elle passerait au-dessus du camp de prisonniers pour fournir, depuis l’orbite, appui et protection aux navettes des fusiliers à leur atterrissage.

Au centre d’une zone farcie de bombes nucléaires.

C’est à peine s’il s’aperçut que sa main venait d’enfoncer la touche d’urgence du canal d’annonce générale. « À toutes les unités, ici l’amiral Geary. Avortez l’opération de débarquement. Exécution immédiate. Je répète, avortez l’opération de débarquement. Toutes les navettes doivent regagner leur vaisseau mère le plus tôt possible. »

Puis-je altérer la trajectoire de la flotte avant le retour des navettes ? Quel temps me reste-t-il ? Je vois ce fichu camp. Constatant que nous faisons machine arrière, les Syndics ne vont-ils pas activer ce Tromblon continental afin d’éliminer autant de navettes que possible, ou bien attendront-ils de voir si nous revenons ?

Ils doivent se persuader que nous allons revenir.

« Émissaire Rione, contactez sur-le-champ les autorités syndics et apprenez-leur que nous avons repoussé l’heure du débarquement et de la récupération de nos prisonniers en raison de… problèmes de contamination. Nous avons acquis la conviction qu’une épidémie inconnue sévit parmi eux et nous devons revérifier les résultats des tests avant de procéder au débarquement. »