Carabali hocha la tête sans quitter les images des yeux. « Les bunkers aussi sont neufs. Et automatisés si j’en crois ce que je vois, mais trois postes de garde au moins sont occupés par des sentinelles. Plusieurs niveaux de défense massivement camouflés. Comment avez-vous obtenu ces images ? »
Iger se rengorgea mais il réussit à garder les pieds sur terre et à s’exprimer d’une voix normale. « Nous avons identifié le QG syndic la première fois que nous nous sommes approchés de la planète et nous avons envoyé des drones recueillir des informations plus précises. Nous comptions les récupérer en même temps que les prisonniers de guerre mais, quand on a interrompu l’opération, ils sont restés coincés à la surface et nous avons profité de ce délai pour approfondir nos connaissances.
— Bien joué, fit Carabali. Où sont ces drones à présent ? Toujours en activité ?
— Oui, mon général. » Iger s’efforçait manifestement de ne pas sourire jusqu’aux oreilles. Les huiles de la flotte ne couvraient pas si fréquemment de louanges leurs officiers du renseignement. « Ils volent au hasard, repérables d’en bas, en économisant leur énergie.
— Les Syndics n’ont pas repéré leurs connexions avec nos vaisseaux ? demanda Geary.
— Non, amiral. S’ils disposaient d’un réseau satellitaire correct autour de la planète, ils auraient de bonnes chances de détecter des commandes venant d’en haut, bien que nous nous servions de signaux en rafales hautement directionnels. Mais le leur est vétuste et troué comme une passoire. »
Desjani tapota de l’index sur la table, l’air contrariée. « N’est-ce pas un peu gros ? Pourquoi n’ont-ils pas comblé les failles quand on a apporté les matériaux lourds ?
— Pas à l’ordre du jour, vraisemblablement. Il aurait fallu que quelqu’un prévoie que la couverture allait se fissurer et qu’il consigne par écrit la nécessité de la réparer discrètement, sans que ça saute aux yeux. Quelqu’un aura sûrement repéré ces failles ensuite, mais il aurait alors fallu modifier les consignes en publiant un nouvel ordre d’exécution, ce qui aurait exigé l’aval de toutes les autorités hiérarchiques requises, et…
— Ils l’obtiendront probablement dans un ou deux ans, acheva Geary.
— Au mieux, convint Smyth. S’ils l’obtiennent. La majeure partie du boulot que nous avons sous les yeux est excellemment exécutée. Quelques ratages par-ci par-là, mais ils devaient être terriblement pressés. Ce sont ces failles qui ont incité les drones du lieutenant Iger à se concentrer sur tel ou tel emplacement. Je ne cesse de vous répéter, amiral, que laisser aux ingénieurs le temps de bien faire leur travail est toujours payant.
— Quand j’en aurai moi-même le luxe, lâcha sèchement Geary, je vous l’accorderai. Pouvons-nous y parvenir avec des chances de succès raisonnables ? Combien de fusiliers pouvez-vous envoyer, général ?
— Pareil qu’avant, répondit Carabali. Trente. C’est le nombre de nos cuirasses furtives. Trente hommes peuvent-ils s’en charger ? Au vu de ces images, je répondrais sans doute par l’affirmative, mais j’en débattrai avec mes officiers supérieurs les plus expérimentés dans les opérations de reconnaissance et je verrai bien ce qu’ils m’en diront. »
Desjani fit la moue. « Il nous faudra coordonner le largage de vos fusiliers et les mouvements de nos vaisseaux et navettes afin de tout synchroniser avec la plus extrême précision. Je n’aime guère les plannings trop serrés. Ils ne laissent pas de place aux impondérables, mais nous n’avons pas le choix, j’imagine. Comment récupérer ces fusiliers après avoir remonté les prisonniers ?
— Nos cuirassés devraient pouvoir s’en acquitter, affirma Geary. Général, voyez cela avec vos experts et donnez-moi une réponse, affirmative ou négative, puis apportez-moi un plan de bataille. Émissaire Rione, veuillez recontacter la CECH et lui annoncer que l’administration militaire et le règlement nous empêchent encore d’agir mais que nous comptons bien procéder très bientôt au recouvrement de nos prisonniers. Que vos drones continuent d’observer la zone de très près et de collecter toutes les informations qu’ils pourront sans révéler leur présence, lieutenant Iger. Assurez-vous aussi que le lieutenant Jamenson soit tenue informée de tout nouveau renseignement. Lieutenant Jamenson, ne changez rien. Capitaine Hopper, tout ce que vous pourrez apprendre à nos fantassins concernant la probable configuration de la détente du Tromblon continental leur sera d’un grand secours. Contactez directement le général Carabali mais tenez le capitaine Smyth au courant. »
Le capitaine Hopper soupira. Une lueur fataliste brillait dans ses yeux. « Il va falloir qu’on me largue avec les fusiliers.
— Quoi ? s’exclamèrent Geary, Smyth et Carabali à l’unisson.
— Les incertitudes quant à la configuration de sa détente sont trop nombreuses et les communications risquent d’être coupées par les Syndics quand ils se rendront compte de ce que nous faisons. Il faut que quelqu’un soit là pour l’étudier et tenter de comprendre ce qu’il faut en faire.
— Mes éclaireurs… commença Carabali.
— S’ils se trompent et commettent un impair, nous perdons six mille prisonniers, la coupa Hopper. Ce système de déclenchement devrait être unique et conçu pour résister à toutes les techniques courantes de désamorçage. Tout l’entraînement et l’expérience de vos éclaireurs n’y suffiront pas.
— Saurez-vous atterrir furtivement ? s’enquit Smyth. Avec nos soldats ?
— Il faudra bien. »
Carabali dévisagea Hopper en hochant la tête. « Voyons d’abord si vous en êtes capable. Rendez-vous le plus tôt possible à bord du Mistral, nous verrons comment vous vous débrouillerez avec les simulateurs.
— Elle est plus coriace qu’elle n’en a l’air, avança Smyth.
— Tenez-moi informé, ordonna Geary. Mettons-nous au travail. »
Le lieutenant Iger s’attarda encore un instant après la disparition des images de ses pairs et supérieurs. « À propos du lieutenant Jamenson, amiral…
— Vous inquiéteriez-vous encore de son libre accès au matériel du renseignement ?
— Non, amiral ! Sûrement pas ! Ce serait… C’est un… un atout fabuleux ! Si elle pouvait être transférée au service du renseignement de l’Indomptable, je suis persuadé que nous ferions de l’excellent travail ensemble.
— Je vois. » Desjani et Rione affichèrent en même temps un grand sourire (à l’insu d’Iger mais pas de Geary) jusqu’au moment où elles s’en rendirent compte et reprirent aussitôt leur sérieux. « La chevelure du lieutenant Jamenson ne risquerait-elle pas de vous distraire ?
— Me distraire ? s’étonna Iger. Je… euh… je n’y ai pas prêté attention. Euh… C’est-à-dire… Non, amiral. »
Geary hocha gravement la tête, non sans se féliciter qu’une carrière entière consacrée à côtoyer des matelots lui eût appris à garder un visage de marbre dans une telle situation. « Je vais réfléchir à votre suggestion, lieutenant. Néanmoins, j’ai déjà fermement promis au capitaine Smyth de ne pas débaucher le lieutenant Jamenson de son équipe, et elle effectue en outre pour moi d’importantes recherches à bord du Tanuki.