— Oh ! Je vois, amiral. Je m’en voudrais de…
— En revanche, je n’ai pas promis au capitaine Smyth que vous n’offririez pas un poste au lieutenant Jamenson. N’hésitez pas à vous en ouvrir à elle.
— Merci, amiral ! » Iger salua hâtivement et se rua hors du compartiment en ne s’arrêtant que le temps de tenir l’écoutille à Rione, qui lui emboîtait le pas.
Desjani attendit qu’elle se fût refermée pour éclater de rire. « Un atout fabuleux ?
— Elle n’y manquera pas, affirma Geary.
— Et je suis bien persuadée que le lieutenant Iger n’a que cela en tête. » Le sourire de Tanya s’effaça de nouveau. « Cette opération risque d’être un fichu sac de nœuds.
— Je sais. »
Onze
« Annoncez aux Syndics que nous allons effectuer deux passages au-dessus de la zone du camp, lança Geary à Rione. Les navettes devront s’appuyer deux allers et retours pour embarquer tous les détenus. »
La trajectoire orbitale de la flotte avait été soigneusement calculée pour que la surface de la planète se déplace légèrement de côté à chacun de ses passages. Au premier, les vaisseaux survoleraient l’ouest de la zone du camp. Sur les écrans des postes de commande syndics, leur orbite projetée établirait avec cent pour cent de certitude que le second les conduirait directement au-dessus du camp.
Des fenêtres virtuelles montrant le capitaine Armus, commandant du Colosse, et le capitaine Jane Geary de l’Intrépide s’ouvraient près du fauteuil de commandement sur la passerelle de l’Indomptable. « Vous avez vos consignes de manœuvre initiales, capitaine Armus. Dès que votre section de la division des cuirassés sera détachée de la formation, vous devrez faire votre possible pour soutenir les fusiliers sur le site du système de détente. Je me moque des dégâts que vous pourrez infliger au paysage environnant. »
Armus opina, aussi solide qu’imperturbable. Cette mission de soutien était parfaitement dans ses cordes.
« Votre propre section de la division des cuirassés devra tenir les quatre groupes de vaisseaux syndics à l’écart des unités d’Armus et des navettes qui viendront récupérer les fusiliers, capitaine Geary, reprit Black Jack. Prévenez les manœuvres ennemies et devancez-les. Ils n’ont pas les moyens de s’opposer à vos vaisseaux et, s’ils s’y aventurent, taillez-les en pièces.
— Ce sera un plaisir, amiral », répondit sa petite-nièce. Si quelqu’un était capable de faire jouer à des cuirassés un rôle défensif actif, c’était bien elle.
Assise de l’autre côté de Geary, Desjani s’efforçait de masquer le mécontentement que lui inspirait celui, mineur, qu’on confiait aux croiseurs de combat.
L’Orion avait été détruit. Acharné, Représailles, Superbe et Splendide étaient attelés à l’Invulnérable, non seulement pour haler le supercuirassé, mais encore pour le défendre. Il ne restait donc plus à Geary que dix-huit cuirassés, dont plusieurs présentaient encore des cicatrices consécutives aux combats contre les Énigmas, les Bofs et les Syndics. Il leur manquait sans doute aussi la maniabilité et la vélocité d’autres vaisseaux de guerre, mais tous étaient massifs, lourdement blindés et hérissés d’armements. Seule une puissance de feu formidablement supérieure pourrait en triompher.
Armus aurait sous ses ordres Colosse, Entame, Amazone, Spartiate, Galant, Intraitable, Glorieux et Magnifique, et Jane Intrépide, Fiable, Conquérant, Écume de Guerre, Vengeance, Revanche, Gardien, Téméraire, Résolution et Redoutable sous les siens.
Les images des deux commandants de cuirassé disparurent et Geary appela Carabali. « Vos gens sont-ils prêts à partir, général ? »
Carabali salua formellement. « Oui, amiral. Vingt-neuf fusiliers et un ingénieur de la flotte. Le capitaine Hopper a reçu un cours accéléré quant à l’emploi de la cuirasse furtive en opérations ainsi qu’en infiltration planétaire et elle a également touché en urgence une habilitation la qualifiant pour cette intervention. »
Prétendre que les éclaireurs de la force de reconnaissance des fusiliers avaient été enthousiasmés par l’adjonction d’un ingénieur de la flotte à leur mission serait gravement sous-estimer la véhémence de leur réaction. Geary aurait juré qu’il entendait leurs chœurs de protestations en dépit du vide interstellaire. Mais les fantassins avaient dû reconnaître qu’aucun des leurs n’avait acquis une fraction de l’expérience et de l’expertise de Hopper en matière de systèmes de détente ni n’était à la hauteur du défi que celui-ci risquait de poser. En outre, elle avait passé haut la main le test des simulateurs.
« Larguez vos gens à l’heure précise », ordonna-t-il.
Il se renversa dans le fauteuil et étudia son écran en s’efforçant de se détendre. Le globe de la planète habitée grossissait lentement. La flotte avait de nouveau réduit sa vélocité de manière drastique afin d’adopter une orbite stable. Les fusiliers disposeraient ainsi d’un peu moins de deux heures – après leur largage et avant que la flotte ne boucle son second passage au-dessus de la version syndic d’un tromblon continental – pour gagner la surface, atteindre leur objectif, l’infiltrer et s’emparer du contrôle du système de détente.
« Tenez-vous prête, Tanya. »
Desjani se démancha le cou pour se tourner vers lui. « À quoi ?
— Si besoin ou si une ouverture s’offre à moi, je compte laisser la bride sur le cou aux divisions de croiseurs de combat pour se lancer aux trousses des vaisseaux syndics qui nous ont harcelés.
— Ce qui ne laissera que les escorteurs et les quatre cuirassés attelés à l’Invulnérable pour protéger transports d’assaut et auxiliaires.
— Selon la situation, répliqua Geary. Et je laisserai aussi l’Adroit à l’intérieur de la formation en guise de défense de dernier recours. Soyez donc prête à foncer si j’en donne l’ordre. »
Desjani eut un sourire de louve. « Je le suis déjà. Vous ne vous en étiez pas encore aperçu ? »
Geary lui retourna son sourire puis appela le capitaine Tulev sur le Léviathan, le capitaine Badaya sur l’Illustre et le capitaine Duellos sur l’Inspiré pour leur faire part des mêmes instructions.
Les quatre groupes de vaisseaux syndics se trouvaient désormais dans un rayon de quelques secondes-lumière ; ils continuaient de narguer la flotte de l’Alliance et de contraindre ses vaisseaux, par leur harcèlement, à rester en formation compacte. Geary sourit en les observant. Vous n’allez plus tarder à devoir garer vos fesses et nous aurons peut-être alors une chance d’en découdre avec vous.
Une sonnerie sourde le prévint que les éclaireurs des fusiliers étaient largués en ce moment même de certains transports d’assaut, au moyen de tubes d’éjection spéciaux qui les propulsaient dans l’atmosphère sans qu’ils eussent besoin de carburant ni d’énergie, lesquels auraient risqué d’alerter les Syndics.
Il examina le globe qui tournait sous la flotte : le pôle Nord à droite et caché et le pôle Sud à gauche et sur le devant. La cité qui abritait le centre de commande syndic et le site du système de détente se trouvait un peu à l’écart, en bas et sur tribord, et le camp de prisonniers venait juste de réapparaître à la gauche de Geary, sur la courbure de la planète. Si l’on pouvait voir en même temps camp de prisonniers et site du système de détente depuis ce poste d’observation très élevé, ils étaient en réalité très éloignés l’un de l’autre.