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— Oui. Je n’aime pas jouer en défense, mais nous n’avons pas mieux en l’occurrence. Nous pouvons tout juste espérer parer les coups à mesure qu’on nous les assène. Sauf si un nouveau facteur venait modifier l’équation.

— Un nouveau facteur ? » Geary la dévisagea. « Les Danseurs que nous ramenons avec nous, par exemple ?

— Impossible de prédire l’impact qu’aura cet événement. D’autant que les Danseurs eux-mêmes sont imprévisibles. Ils ont choisi de nous accompagner. J’ignore encore pour quelle raison. Ils nous en feront peut-être part quand nous atteindrons le territoire de l’Alliance. »

Geary reporta le regard sur l’enchevêtrement de câbles, de conduites et de fils qui couraient au plafond. « Quelqu’un ne souhaitait pas mon retour ni celui de la flotte.

— Mais vous rentrez. Avec une flotte qui reste puissante. Pourquoi ce constat semble-t-il ne vous procurer aucune satisfaction ? Me cacheriez-vous quelque chose, Black Jack ?

— Voilà qui nous changerait.

— Effectivement. Mais vous éludez la question.

— Saviez-vous que le gouvernement de l’Alliance est en train de construire une nouvelle flotte ? »

Elle le dévisagea, manifestant ouvertement sa surprise pour la première fois depuis qu’il la connaissait. « D’où tenez-vous cela ? »

Geary ébaucha un sourire, simple rictus dépourvu d’émotion. « J’ai mes sources.

— De quelle taille, cette flotte ? » Si Rione l’avait su, elle le cachait avec brio.

« Vingt cuirassés, vingt croiseurs de combat et un nombre correspondant d’escorteurs. »

Elle le fixa pendant ce qui lui parut une bonne minute avant de reprendre la parole. « Je peux vérifier cette information à notre retour. En avez-vous été prévenu officiellement ?

— Diable non !

— Zut ! Ça pourrait signifier bien des choses, toutes pernicieuses. » Rione secoua la tête. « Que dit le vieux dicton, déjà ? “Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes ne peuvent rien.” Et je n’en suis pas un.

— Moi non plus. Avons-nous une petite chance ? »

Rione marqua une pause puis se fendit à son tour d’un sourire énigmatique. « Bien sûr que oui. Black Jack est avec nous. »

Il cherchait encore sa repartie qu’elle avait déjà filé.

Le lendemain, après s’être enfoncée plus profondément dans un espace interstellaire inexploré jusque-là en combattant à l’aller comme au retour, la flotte de l’Alliance rentrait enfin chez elle.

Varandal.

Geary ressentait comme un immense soulagement. Il était chez lui. Dans l’Alliance. Ses amis et conseillers le préviendraient sans doute contre les nombreux adversaires, tant politiques que militaires, qui devaient comploter contre lui et lui interdisaient de baisser sa garde, ne fût-ce qu’un instant, dans un espace théoriquement « amical », mais, pour l’heure, il se cantonnait fermement au déni et préférait croire que seuls répit et soutien les attendraient, lui et la flotte, à Varandal.

« J’espère qu’on ne va pas nous allumer, marmonna Desjani, lui rendant brusquement plus complexe la tâche de s’illusionner.

— Pourquoi nous tirerait-on dessus ? s’étonna-t-il.

— Parce que vous êtes Black Jack et que vous ne revenez pas pour rien. Parce que nous ramenons le supercuirassé bof. Parce que six Danseurs nous escortent. Parce que Bradamont est passée ici avec six cargos syndics et a donné un coup de pied dans la fourmilière. Parce que ce sont des crétins.

— L’amiral Timbal n’est pas un crétin, lâcha Geary en s’efforçant encore de préserver ses derniers lambeaux de sérénité.

— Même s’il est toujours aux commandes à Varandal ? » Desjani lui décocha un regard en biais. « Préparez-vous à tout et n’importe quoi à notre émergence.

— C’est moi l’amiral, vous savez ?

— Alors permettez-moi d’aviser respectueusement l’amiral que vous êtes de se tenir prêt à tout ce qui pourrait survenir à notre sortie de l’espace du saut ! »

Geary se redressa dans son fauteuil de commandement, soupira et se massa les globes oculaires. Il n’aurait pas la bêtise de rappeler à Tanya qu’elle se faisait l’écho des avertissements que lui avait donnés Rione quelques jours plus tôt. Je n’avais pas songé à tout cela quand j’ai épousé le commandant de mon vaisseau amiral.

« Quoi ?

— Je n’ai rien dit.

— Si, vous… Pas grave. Nous serons bientôt arrivés. » Desjani lui adressa encore un regard de reproche puis se concentra sur son écran.

Geary l’imita et vit une des lueurs de l’espace du saut s’allumer brusquement sur leur passage, du moins en donnait-elle l’impression. Impossible de préciser à quelle distance elle se trouvait, comme d’ailleurs aucun phénomène dans l’espace du saut, mais l’Indomptable lui fit l’effet de plonger droit dedans juste au moment d’émerger.

Les officiers de quart sur la passerelle aspirèrent eux aussi une bouffée d’air entre les dents, lui faisant ainsi comprendre qu’ils avaient éprouvé la même sensation.

Là-dessus réapparurent enfin, bienvenus, la noirceur de l’espace conventionnel et les points brillants des étoiles innombrables, dont celui de la plus proche, Varandal.

Nulle alarme ne retentit lorsque les senseurs de la flotte entreprirent de sonder l’espace environnant et d’enregistrer la situation. Geary s’était entre-temps arraché à la légère confusion mentale que cause l’émergence, son écran s’était remis à jour et affichait l’image rassurante d’une activité humaine de routine dans le système stellaire.

Du moins jusqu’à ce qu’il se mette à tressauter, comme pris de hoquet, et que l’image d’une douzaine de navettes furtives de l’Alliance, près de la station orbitale d’Ambaru, se substitue à la première. « Qu’est-ce qu’elles fichent là ?

— Ambaru doit aussi les voir, marmonna Desjani en vérifiant ses propres données. Elles émettent des signaux. C’est pour ça que nous avons pu les repérer de si loin. »

Il afficha ces données et se rendit compte qu’elle disait vrai. Les navettes furtives émettaient effectivement des signaux qui, normalement, auraient dû passer pour le bruit d’arrière-fond d’un système stellaire. Seuls des senseurs programmés pour chercher des motifs spécifiques dissimulés dans ces parasites auraient dû déceler ces signatures. « Manœuvres ? Pour quoi faire ?

— Eux le savent peut-être, suggéra Tanya en pointant de l’index les images d’un croiseur léger et de deux destroyers de l’Alliance, à trente minutes-lumière du point de saut. « Coupe, Bandoulière et Javelot. Que fabriquent-ils ici ?

— Ils retournent vers l’intérieur du système, répondit Geary en se renfrognant. Et aucun signe de ces cargos syndics.

— Pas de débris non plus, fit remarquer Desjani.

— Entrons nous aussi dans le système. Nous transmettrons un message d’arrivée standard, sans plus, jusqu’à ce que j’aie reçu des nouvelles de Timbal.

— Et s’il n’était plus là ?

— De son remplaçant, alors. »

Cela prit plusieurs heures, évidemment. Coupe et Bandoulière restèrent laconiques quand Geary les appela, et se contentèrent de lui apprendre qu’ils s’étaient livrés à des manœuvres spéciales sur ordre de l’amiral Timbal. Mais les commérages entre vaisseaux et stations orbitales de Varandal avaient été assez pléthoriques pour fournir au lieutenant Iger une image parcellaire des événements, qu’il se hâta de recomposer.