« Amiral, une délégation du Grand Conseil de l’Alliance vient d’arriver à Varandal et tient à vous retrouver le plus tôt possible à Ambaru.
— Très bien. Merci. » Il coupa la communication et se leva. « Un important…
— J’aimerais connaître votre réponse, amiral. » Desjani restait courtoise mais inflexible.
Il pinça les lèvres puis opina. « Je me suis montré irrespectueux et bien peu professionnel, admit-il. Veuillez m’en excuser. »
Tanya lui retourna son hochement de tête. « Oui. Irrespectueux. Si vous tenez absolument à me rembarrer, faites-le en privé. En public, traitez-moi avec le respect que je mérite. Vous savez déjà que c’est vrai, tant pour moi que pour chacun de vos subordonnés.
— Oui. On ne devrait pas avoir à me le rappeler.
— Alors nous nous comprenons. » Desjani désigna l’écoutille d’un coup de menton.
Geary la gagna puis se retourna vers Tanya. « Vous me laissez m’en tirer sans trop de mal.
— Oh ? Croyez-vous ? Nous n’avons abordé votre geste que dans le cadre de nos relations professionnelles, amiral. La prochaine fois que nous serons seuls, hors de mon vaisseau et dans des circonstances plus privées, nous en discuterons dans le cadre de nos relations personnelles. »
Peut-être ne devrais-je pas me montrer trop pressé de me retrouver avec Tanya hors de l’Indomptable.
Oh, et puis zut ! Tu as déconné. Affronte ça en homme. « Après vous, commandant. Nous avons du pain sur la planche.
— Et comment ! acquiesça-t-elle alors qu’ils quittaient la passerelle. Comptez-vous dire aux représentants du Grand Conseil qu’un groupe de vaisseaux va bientôt quitter la flotte pour gagner le portail de l’hypernet et rentrer chez eux ? »
Geary y réfléchit un instant avant de secouer la tête. « S’ils l’apprenaient, ils risqueraient de s’y opposer. Gardons la surprise pour plus tard. »
Le Grand Conseil lui envoyait de nouveau une délégation au lieu de le convoquer à Unité. Était-ce de bon ou de mauvais augure ?
Treize
« Deux autres personnes devaient se rendre à Ambaru, alors je me suis arrangée pour qu’elles prennent la même que nous, déclara Desjani pendant qu’ils attendaient de monter à bord de la navette qui allait s’amarrer à l’Indomptable.
— J’aurais préféré que vous me posiez la question avant, grommela Geary. Je ne vais pas à cette réunion de gaieté de cœur. Je ne sais même pas quels sénateurs seront là pour représenter le Grand Conseil.
— Peu importe, affirma Rione en les rejoignant. Certains d’entre eux vous feront confiance, d’autres se méfieront de vous et tout se résoudra à un écheveau d’intrigues et de complots. Puis-je me joindre à vous ? Je viens de recevoir une invitation assez pressante. »
Ce que Desjani s’apprêtait à répondre lui resta dans la gorge car une équipe médicale entra sur ces entrefaites dans la soute, avec un brancard sur lequel gisait le capitaine Benan. L’époux de Rione était inconscient, mais l’affichage numérique de la civière le disait physiquement en bonne santé encore que sous sédation.
« Une invitation à la réunion du Grand Conseil pour moi, précisa Rione, et, pour mon mari, une invitation à subir d’urgence un traitement médical spécialisé. » Seuls quelques trémolos dans sa voix, lorsqu’elle faisait allusion à son époux, trahissaient son émotion.
« Ce que nous avions demandé ? s’enquit Geary.
— Absolument, confirma Rione. On va le guérir de ce mal. » Aucun des deux ne ferait ouvertement allusion au blocage mental que l’Alliance elle-même avait implanté dans l’esprit de Benan pour préserver le secret d’un programme de recherche proscrit. « Ça ne réparera pas les dommages déjà commis, mais ça permettra au moins d’enfin les soigner. »
Un des infirmiers qui poussaient la civière prit la parole sur le ton de l’excuse. « Va falloir qu’on aille directement de la soute d’Ambaru à celle d’une autre navette qui nous conduira à la surface, m’dame. Si vous voulez lui dire quelques mots avant d’être séparée de lui pendant un certain temps, on peut le réveiller brièvement.
— Je… » Rione se tourna un instant vers Geary et Desjani. « Oui. Je ne voudrais pas qu’il se réveille dans cet institut sans en avoir été averti. »
L’infirmier s’affaira pendant quelques secondes, puis son collègue et lui s’éloignèrent pour laisser à Rione un peu d’intimité. Geary et Desjani allaient faire de même quand elle les arrêta d’un geste.
« Paol », souffla-t-elle en s’agenouillant près du brancard.
Benan ouvrit les yeux et regarda autour de lui, l’air interdit. « Vic ?
— On va te retirer ton blocage mental. Je te retrouverai là où on te conduit après avoir réglé une autre affaire. Tout va bien se passer. »
Benan lui sourit avec une douceur surprenante, du moins pour ceux qui avaient assisté à ses accès de fureur induits par le blocage. « Pas entièrement foutu, hein ? fit-il d’une voix sourde et rauque. Pas encore. Retour de l’enfer et pas très opérationnel, mais, toi, tu crois que je peux encore servir et que je mérite d’être réparé. » Il cligna des paupières. « Tu seras là ?
— Dès que je le pourrai », promit-elle.
Le capitaine Benan se convulsa et le moniteur du brancard émit une tonalité basse. Les infirmiers se précipitèrent. « Ça se bouscule dans sa tête, m’dame. Faut qu’on le calme sinon il va perdre la boule. »
L’infirmier procéda à quelques réglages et, deux secondes plus tard, Benan refermait les yeux et sombrait de nouveau dans l’inconscience.
La navette s’était posée et avait déplié sa rampe d’accès. Geary désigna Rione, les infirmiers et le brancard de la main. « Embarquez les premiers. »
Desjani suivit des yeux le petit groupe, le visage crispé de colère. « Personne ne devrait avoir à subir cela.
— Tu parles du blocage ?
— Ouais. Sur un des nôtres. Combien veux-tu parier que le règlement interdisait à celui qui a ordonné de le lui implanter d’infliger à des prisonniers syndics le traitement qu’on a administré à un officier de la flotte ?
— Je ne prends pas ce pari.
— J’ai parfois de la peine pour cette femme, admit Desjani. Des fois, elle passerait presque pour humaine.
— Des fois, répéta Geary. Mais ne va surtout pas lui dire que tu t’en es aperçue. »
Desjani et lui gravirent à leur tour la rampe d’accès et rejoignirent ceux qui les avaient précédés à bord de la navette. Les appréhensions de Geary s’évanouirent dès qu’il se rendit compte que la compagnie qu’on lui imposait n’était autre que celle du docteur Schwartz et de l’amiral Lagemann. « Vous nous quittez tous les deux ? » s’enquit-il en prenant place et en se sanglant dans son fauteuil.
Lagemann eut un sourire torve. « J’ai été relevé de mon commandement. Ce bon Invulnérable a été officiellement reclassé “artefact”.
— Il m’avait semblé que les techniciens du gouvernement devaient en prendre possession la semaine dernière ?
— C’est exact. » Lagemann lui fit un clin d’œil. « Nous leur avons suggéré de prendre le temps de s’accoutumer au supercuirassé, mais ils ont balayé nos inquiétudes “superstitieuses” d’un revers de la main, se sont rués à son bord pour nous en éjecter et s’en emparer, puis ils ont regagné leurs navettes plus vite qu’ils ne les avaient quittées. Après une bonne semaine passée à se demander comment ils allaient s’y prendre avec les fantômes bofs, ils en ont finalement assumé pleinement la garde hier au soir. Les derniers matelots et fusiliers l’ont quitté ce matin en même temps que moi.