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— Quelle sorte de cérémonie ? » Elle se mit à lire. « Tu es sérieux ? C’est… Très bien, on peut… Non, pas ça. Mais le reste est jouable. Absurde mais faisable. Nos ancêtres avaient davantage d’humour que je ne leur en prêtais, on dirait. Nos très dignes sénateurs et nos plus modestes envoyés vont-ils y participer ?

— C’est à chacun de voir.

— Autrement dit, je dois les inviter.

— Oui. Tu dois les inviter. »

« Qu’une chose soit bien claire, avait annoncé Desjani à ses officiers et sous-officiers de sa voix de commandement profonde et puissante. Ça doit rester de l’ordre de la fête. Nous avons tous traversé de longues et dures années durant lesquelles le plaisir se limitait à de brefs séjours échevelés sur une planète inconnue ou une station orbitale, entre deux campagnes ou deux batailles, et se traduisait souvent pour l’équipage par autant de plaies et bosses que s’il avait livré un combat. Ce sera différent cette fois. Veillez donc, tous autant que vous êtes, à ce que ça reste bon enfant. Si d’aventure ça menace de mal tourner ou de dégénérer, vous devrez intervenir pour mettre le holà. J’arpenterai les coursives de l’Indomptable pendant cette “récréation”, et j’en attends autant de tous ceux qui ne participeront pas à la cérémonie. Y a-t-il des questions ? Non ? Alors disposez. Prenez du bon temps et assurez-vous que tout le monde en prenne. » Elle s’était enfin départie de son visage sévère pour sourire à son auditoire. « C’est un ordre. »

Un certain nombre des coursives principales avaient été converties en chicanes destinées à infliger de fausses blessures et de vraies mais légères humiliations. Dans l’une d’elles, les matelots responsables de la majeure partie de l’entretien et de la maintenance du bâtiment avaient bidouillé des dispositifs chargés de vaporiser des tatouages factices à base de pigments s’effaçant en quelques minutes. Alors que Geary la parcourait, le plastron de son uniforme blasonné d’un large slogan QUE FERAIT BLACK JACK ? au lettrage ornementé, il remarqua que les tatouages, près de lui, étaient beaucoup plus anodins et bien moins suggestifs que ceux qu’il avait remarqués un peu plus tôt en émergeant de la coursive.

Dans une autre, les gars du chiffre avaient installé un labyrinthe dont on ne pouvait s’échapper qu’en en décryptant la disposition.

Ailleurs, les gens des cuisines distribuaient d’antiques barres énergétiques que la flotte avait récupérées dans une installation abandonnée alors qu’elle battait en retraite en combattant pour fuir le système stellaire central syndic. Ceux qui, par le passé, s’étaient plaints le plus fougueusement de la cuisine du bord étaient contraints d’en avaler quelques bouchées avant d’être autorisés à poursuivre leur chemin.

Une autre chicane barrait la coursive menant à la soute des navettes. Les armes brandies par les fusiliers et les matelots qui bordaient cette coursive allaient du lapin en peluche au ballon, en passant par le poulet en caoutchouc et le gros stobor duveteux. Geary les longea le sourire aux lèvres, tandis que les vétérans d’innombrables batailles le flagellaient en rigolant de leurs armes aussi burlesques qu’inoffensives.

Le clou du spectacle se trouvait dans la soute des navettes, le plus large compartiment d’un seul tenant du vaisseau, où les « indignes » cherchant à entrer dans la confrérie des Voyageurs devaient montrer patte blanche aux « dieux » du Système solaire.

Le chef Gioninni, dans le rôle du roi Jupiter, était assis sur un trône impressionnant bricolé à partir d’un siège de survie aux fortes accélérations. Il arborait une longue fausse barbe broussailleuse et s’était d’une façon ou d’une autre procuré un vrai trident, une arme antique à trois pointes barbelées et au manche long de deux mètres. Il portait également une couronne rutilante plaquée or, découpée par un des ateliers d’usinage de l’Indomptable ; l’or, quant à lui, avait dû servir à la réparation d’appareils électroniques. Geary résolut de veiller à ce qu’il retourne dans les réserves du vaisseau et ne soit pas détourné pour un usage personnel, puis il se rendit compte que Desjani avait certainement dû déjà s’en assurer.

La couronne de Gioninni était ornée de neuf pointes représentant chacune une des planètes du Système solaire, dont au centre Jupiter elle-même, la plus grande. Il y avait eu de vifs débats quant au nombre des planètes qui devraient figurer sur la couronne, car, apparemment, les ancêtres étaient incapables de décider combien gravitaient autour du Soleil. Le chiffre avait fluctué au fil des siècles, passant de neuf à huit, puis à neuf, à six, avant de revenir à huit puis de nouveau à neuf dans les plus récentes archives officielles. Geary avait finalement jeté son dévolu sur le dernier, et on en était donc resté à neuf.

La reine Callisto (mieux connue sous le nom de chef Tarrini) était assise à la droite du roi Jupiter, coiffée d’une couronne identique à la sienne. Mais, au lieu d’un trident, Callisto tenait un arc d’un modèle antique. Les flèches qui dépassaient de son carquois semblaient tout aussi réelles et dangereuses que le trident qu’agitait Gioninni avec une négligence en grande partie feinte, mais, à la manière dont le chef Tarrini brandissait son arc, on aurait pu se dire qu’elle s’apprêtait à l’abattre comme une massue sur la tête de son roi ou de tout autre individu qui, selon elle, méritait un léger recadrage.

Davy Jones, représenté en l’espèce par l’officier canonnier Orvis, commandant du détachement de fusiliers de l’Indomptable, était assis à la gauche de Jupiter. Lui aussi tenait comme une arme son marteau de justice.

« Jupiter, je peux encore comprendre, déclara Charban, qui se tenait à côté de Geary avec, tatoué sur la poitrine, un SINGE TERRESTRE assorti de l’illustration appropriée, le tout s’estompant d’ailleurs assez vite. C’est la plus grande planète du Système solaire. Callisto, un des plus gros satellites de Jupiter, était à une certaine époque sa plus importante colonie humaine. Leur présence s’impose donc plus ou moins. Mais qui ou quoi ce Davy Jones est-il donc censé représenter ? J’ai cherché à m’informer, mais aucun commandant de vaisseau spatial n’a jamais porté ce nom.

— Davy Jones est un personnage mythique dont les marins de la Terre croyaient qu’il régnait sur le fond des océans, provoquait les catastrophes maritimes et prenait l’âme des noyés, expliqua Geary.

— Je vois. » Charban coula un regard discret vers les trois sénateurs qui venaient de pénétrer prudemment dans la soute et regardaient autour d’eux en affichant diverses expressions. « Ça fait sens.

— Que non pas, se plaignit Suva. Quel rapport y a-t-il entre les océans de la Terre et l’espace ?

— Nous restons des marins, sénatrice, répondit Geary. Nous naviguons sur un océan beaucoup plus vaste, auquel il manque sans doute l’eau et tout le reste, mais c’est le même métier. »

Costa renifla dédaigneusement. « Autant que je me souvienne de mes leçons d’histoire de l’Antiquité, les marins qui croisaient sur les mers de la Terre passaient la moitié de leur temps ivres morts, ce qui explique sans doute ce cirque. Ça ne pouvait avoir de sens que si l’on dérivait toutes voiles dehors. »

Le sénateur Sakaï ne disait rien. Il semblait fort occupé à étudier les siréniens qui se tenaient de part et d’autre des deux monarques et du juge. Mâle et femelle de l’espèce avaient été élus au scrutin démocratique parmi les matelots et fusiliers engagés. Conformément aux anciennes traditions, tous deux portaient un uniforme modifié de manière à lui conférer davantage de séduction. Geary avait entendu parler de célébrations du passé au cours desquelles les altérations apportées de façon un peu trop enthousiaste à ces tenues s’étaient soldées par un usage de plus en plus réduit du tissu, mais Desjani avait bien fait comprendre que celles des sirènes de son vaisseau avaient tout intérêt à se conformer à la conception officielle du mot « séduction » ainsi qu’à la superficie d’étoffe tolérée, pas un millimètre de moins !