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Les deux sirènes portaient à la hanche gauche un de ces outils polyvalents connus sous le nom de couteaux suisses et, à la hanche droite, un rouleau de ruban adhésif. Un symbolisme que les Danseurs eux-mêmes n’auraient aucun mal à appréhender s’ils en étaient témoins, songea Geary. Mais ces extraterrestres, en revanche, seraient sans aucun doute incapables d’expliquer que les sirènes symbolisaient non seulement une aide providentielle lorsque tout autre devait être écartée faute de se trouver assez proche, mais encore les tentations qui pouvaient vous valoir des ennuis quand on était loin de chez soi.

Un malheureux matelot venait tout juste d’expliquer maladroitement comment ces dispositifs légendaires qu’on appelle les balises de courrier étaient censément positionnés pour servir de relais de transmission entre les étoiles. Sur un geste brusque du roi Jupiter, accompagné d’un impérieux moulinet de la reine Callisto, Davy Jones ordonna au matelot d’aller se placer dans un angle éloigné pour psalmodier, à l’intention de ses camarades, un long chant satirique et passablement périlleux intitulé Les Lois de la flotte, avant de revenir faire une nouvelle tentative.

Un rugissement accueillit chaleureusement le capitaine Desjani à son entrée dans la soute. Tanya passa devant les matelots et les fusiliers qui l’acclamaient et se planta devant le chef Gioninni en lui décochant un coup de sabord préventif.

Mais Gioninni se contenta de sourire. « Capitaine Desjani ! Votre réputation vous précède ! »

Le chef Tarrini hocha la tête. « La reine Callisto n’a rien à reprocher au capitaine Desjani.

— Davy Jones la juge apte à pénétrer dans votre royaume », ajouta le sergent Orvis.

Le sourire de Gioninni s’effaça et il toisa Tanya d’un œil sévère. « Capitaine Desjani, vous êtes condamnée par cette cour à commander le croiseur de combat Impitoyable, sans doute le meilleur vaisseau de cette flotte, mais dont l’équipage, hélas, se compose de la plus belle bande de bras cassés, déclassés, débraillés, racailles et fripouilles qui aient jamais navigué entre les étoiles ! Saurez-vous en faire de vrais matelots, commandant ? »

En dépit des rires qui saluèrent la tirade du roi Jupiter, la réponse de Desjani se fit clairement entendre. « C’est chose faite !

— Alors entrez dans mon royaume, le Système solaire, capitaine Desjani. Vous êtes désormais un membre à part entière de l’antique et vénéré ordre des Voyageurs ! »

Au milieu des applaudissements renouvelés, Tanya dépassa Geary en lui adressant un salut et un clin d’œil. Il lui retourna le salut puis se tourna vers Charban et les sénateurs. « Vous pouvez vous aussi vous présenter au roi et à la reine. »

Charban carra théâtralement les épaules puis se dirigea vers la famille royale tandis que Costa et Suva hésitaient. Au bout de quelques secondes, Sakaï secoua la tête. « C’est une cérémonie réservée aux militaires, amiral. Nous ne devrions pas nous en mêler.

— C’est un événement qui intéresse tous ceux qui voyagent dans l’espace, rectifia Geary.

— Nous ne sommes pas… comme vous, déclara la sénatrice Suva d’une voix teintée de regret.

— Vous en êtes sûre ? » demanda Geary.

Les trois sénateurs le dévisagèrent, l’air de ne s’être encore jamais posé la question.

Ils atteignirent Sol le lendemain.

Toute trace des joyeuses festivités s’était dissipée à l’exception du lapin en peluche qu’une batterie de lances de l’enfer avait adopté en guise de mascotte. Mais ces armes, comme toutes celles de l’Indomptable, avaient été débranchées pour l’arrivée. Les boucliers étaient à plein régime, car c’était là une nécessité secondaire, une protection contre les radiations et autres écueils de la navigation, sinon le croiseur de combat était dans une configuration aussi pacifique et peu agressive que possible.

« Ça ne me plaît pas, grommela Desjani pour la centième fois en prenant place sur la passerelle.

— Le règlement relatif à l’entrée dans le Système solaire ne tolère aucune exception, lui rappela Geary, au moins pour la cinquantième fois. Et Sol est démilitarisé. Aucune arme et aucune menace.

— Aucun monde ni artefact occupé par des hommes ne correspond à cette description, grogna-t-elle.

— Deux minutes avant sortie de l’hypernet », annonça le lieutenant Castries.

Près d’elle, les trois sénateurs se disputaient la meilleure place d’observateur sur la passerelle. Rione et Charban étaient également présents pour cet instant historique, mais très en retrait, là où le lieutenant Yuon leur avait ménagé un peu de place.

La dernière minute s’écoula dans le silence général ; chacun était perdu dans ses pensées.

Le néant fut brusquement remplacé par le Grand Tout. Très à l’écart, une lointaine étincelle marquait sur les écrans la position de Sol, le berceau de l’humanité.

Mais Geary n’eut pas le temps d’admirer le paysage. Son regard se porta sur un autre secteur de l’écran, où clignotaient des signaux d’alerte balisant une douzaine de vaisseaux de conception inconnue.

Seize

« Je vous l’avais bien dit ! s’exclama Desjani. Une chance qu’ils soient trop éloignés pour représenter une menace directe.

— Ce ne sont pas des Syndics », rapporta Yuon, éberlué.

Les inconnus orbitaient sans doute à trente minutes-lumière du portail, trop loin donc pour attaquer, mais leur présence restait inexplicable.

Hormis ces vaisseaux, toute la circulation spatiale du système semblait parfaitement normale. Des cargos cabotaient entre les planètes, tandis que des vaisseaux estafettes et des transports de passagers adoptaient des trajectoires plus rectilignes et que, près de la plupart des mondes colonisés gravitant autour de Sol, on voyait de plus petits appareils plonger dans l’atmosphère ou en émerger.

Les yeux rivés sur son écran, Geary laissait son esprit se détendre et s’imprégner du spectacle, en s’efforçant d’interdire aux noms de ces planètes passées dans la légende – Mars, Jupiter, Vénus et la Vieille Terre elle-même – de le distraire. L’Indomptable cinglait au milieu de ces monuments élevés aux premiers exploits de l’Homme, aux premiers pas de l’humanité dans l’espace. Mais, parmi ces mondes et ces noms fabuleux, croisaient des vaisseaux d’origine inconnue dont les intentions ne l’étaient pas moins. « Quelqu’un saurait-il à qui nous avons affaire ? » finit-il par demander.

Tant la voix que l’expression de Suva trahissaient sa stupeur. « Le système stellaire de Sol est neutre et démilitarisé. Seules… Seules y sont autorisées des forces militaires de parade.

— Ceux-là n’ont pas l’air de parader, rétorqua Rione. Vous les reconnaissez, amiral ?

— Non. Nos systèmes de combat non plus. » Les senseurs de l’Indomptable évaluaient tout ce qu’ils réussissaient à capter des mystérieux vaisseaux, mais, bien que des identifications d’armes et de senseurs fissent de timides apparitions sur les symboles de leurs coques, les vignettes MODÈLE DU VAISSEAU et ALLÉGEANCE restaient vides.

« Des Syndics, affirma Costa. Ils ont en partie modifié la conception de…