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— Façon peu commune de liquider quelqu’un. Peut-être un tueur en rapport avec le milieu médical. Ou, en tout cas, il s’y connaît en anatomie humaine. Il voulait d’abord le faire souffrir. Après lui avoir arraché les mots de la bouche, c’est-à-dire probablement l’emplacement des cassettes vidéo, il l’a purement et simplement éliminé, puis est parti juste avant que Terney rende son dernier souffle. Un travail propre, maîtrisé. Comme pour Louts, le tueur n’a pas paniqué.

— Il y a aussi des traces de tabac sur sa langue et ses gencives. L’assassin a dû le contraindre à fumer ces cigarettes, pour le brûler avec ensuite.

Le légiste s’écarta un peu et désigna le torse.

— Regardez sur la poitrine. L’ensemble des brûlures de cigarettes forme deux lettres côte à côte. X et Y…

— X et Y… Ce sont les marques de la masculinité, non ?

Le légiste acquiesça.

— Exactement. Sur les vingt-trois paires de chromosomes communes à chaque être humain, seule une paire est différente, suivant le sexe : XX ou XY. Les nouveau-nés portent toujours le chromosome X de leur mère, mais leur père leur lègue soit son chromosome X – et dans ce cas, le sexe est féminin – soit son chromosome Y.

Sharko se mit à réfléchir. L’assassin avait cruellement joué avec sa victime. D’un autre côté, il leur laissait, volontairement ou pas, un indice. Dubitatif, le commissaire se dirigea vers trois tableaux accrochés à l’un des murs, et disposés les uns à côté des autres. Le premier était la peinture d’un oiseau en flammes, au cœur d’un ciel en fusion : le légendaire phénix. Le second semblait représenter un placenta humain : une grosse bulle transparente et vascularisée. Les vaisseaux sanguins, d’un rouge cramoisi, ressemblaient à d’étranges serpentins et donnaient à l’ensemble de l’œuvre l’allure d’une araignée monstrueuse. Le troisième tableau contenait une photo agrandie d’une momie d’homme préhistorique, complètement desséchée, et allongée sur une table comme si on cherchait à l’autopsier. Le commissaire plissa le nez face au placenta.

— Ou je n’y connais rien à l’art, ou ce Terney avait de drôles de goûts.

Nicolas Bellanger s’approcha. Sous le phénix et le placenta, se trouvait la signature de l’artiste : « Amanda P. »

— Tu as vu comme moi. Tout, dans cette maison, est en rapport avec l’ADN, la naissance ou la biologie, jusqu’à la forme des meubles. Encadrer la photo d’une momie dégueulasse, franchement… Il habite même la rue Darwin, il faut le faire.

— Passionné jusque dans la mort, puisqu’il a fini avec un X et un Y sur la poitrine… Joli clin d’œil de l’assassin.

Le légiste les salua et mit les voiles, il avait encore du pain sur la planche. Sans un mot, les hommes de la morgue introduisirent le cadavre dans une housse noire. Le bruit de la fermeture Éclair résonna jusqu’au fond de la pièce. Seul à présent avec Sharko, Nicolas Bellanger se dirigea vers la petite pièce du fond.

— C’est là que se tenait le type en pyjama. Il s’y était enfermé, avec son bouquin. Trois cents pages soigneusement numérotées au stylo, mais toutes blanches. T’as déjà vu un truc pareil, toi ?

— Souvent, oui… Il suffit d’aller dans un HP.

Dans un soupir, Sharko rejoignit Levallois. Très vite, il se rendit compte que les livres étaient classés par thèmes : sciences, histoire naturelle, géographie. Puis, pour chaque thème, par ordre alphabétique.

— Terney était un méticuleux. S’il a désigné cet endroit, il y a peut-être quelque chose de remarquable. Un livre à l’envers, ou qui ne serait pas à sa place. Quelque chose qui trancherait avec le reste.

Dans sa propre recherche, Sharko remarqua un ensemble de livres aux titres évocateurs : L’Autorisation de mettre fin aux vies qui ne valent pas d’être vécues, L’Euthanasie, Solutions contre le vieillissement des populations… Des livres sur l’eugénisme et la pureté de la race s’étalaient par dizaines. Il y avait également, sur la droite, un pan complet d’ouvrages sur la virologie, l’immunologie. Rien de bien réjouissant.

Levallois redescendit les barreaux très lentement, l’œil sur les livres à sa portée. De sa main gantée, il tira un ouvrage de son emplacement.

— Bingo ! Un livre sur l’ADN, rangé au beau milieu de livres de géographie. Il s’appelle La Clé et le Cadenas. Et devinez quoi ?

— Accouche.

— C’est Terney en personne qui l’a écrit.

Sharko tendit la main, Levallois y déposa l’ouvrage et observa attentivement la couverture. On y voyait un dessin de Léonard de Vinci : un homme nu, debout, représenté successivement dans un cercle et un carré. Sous le titre, un texte aguicheur : « Les codes cachés de l’ADN. »

— C’est l’homme de Vitruve, expliqua le jeune lieutenant. Il représente la distribution des mesures du corps humain par la nature, ainsi que les rapports harmonieux de l’anatomie humaine. Un homme aux bras et jambes écartés peut être inscrit dans les figures géométriques parfaites du cercle et du carré. Vous saviez que Léonard de Vinci était gaucher ?

— Tu peux nous dire à quoi ça nous servirait de le savoir ?

— À rien. C’est juste de la culture générale.

Alors que Sharko lisait mentalement la quatrième de couverture de l’ouvrage, Bellanger s’approcha.

— De quoi ça parle ?

— Je ne comprends même pas le résumé. Écoute ça : « Pourquoi les nombres 26 et 13 sonnent et ordonnent l’harmonique majeur du rapport entre le milliard de codons du génome humain entier, et le codon le plus fréquent, parmi les 64 types de codons possibles ? Pourquoi, dans les 3 milliards de bases formant un simple brin d’ADN, chacun des codons possède-t-il quelque part son codon miroir ? Pourquoi le génome humain entier obéit-il aux proportions du nombre d’or ? Destiné aux spécialistes ou aux passionnés, cet ouvrage apportera les réponses que vous vous posez depuis longtemps sur le travail implacable de la nature dans la construction de la vie. »

Bellanger resta sans voix. Sharko feuilleta les premières pages.

— Ça a l’air compliqué, et procédural. Il y a des pages et des pages de séquence ADN, des formules mathématiques partout, des courbes, assez peu de texte… Pourquoi Terney nous aurait-il orientés vers ce livre ?

— C’est écrit dans le titre : le code caché de l’ADN… Pense au X et au Y sur la poitrine du cadavre. Ce livre va peut-être au-delà de ce qu’on peut y lire ?

Bellanger ausculta quelque temps l’ouvrage, l’œil morne, et le fourra dans un sachet transparent.

— Je refile ça immédiatement à nos biologistes du laboratoire de PS. Qu’ils y passent la nuit s’il le faut. J’ai besoin de comprendre dans quel merdier on se trouve.

De retour au 36, Sharko s’approcha de l’une des cellules de garde à vue. Assis dans un coin, le type en pyjama tournait avec mollesse les pages les unes après les autres. Ses yeux étaient vifs, brillaient d’une petite lueur, comme s’il cherchait quelque chose dans ces feuillets vierges. Il avait peut-être juste vingt ans, des cheveux blonds, hirsutes, et de longues mains osseuses, avec les pouces légèrement recourbés vers l’extérieur. Ses lèvres murmuraient des mots que Sharko ne parvenait à comprendre.

— Qui es-tu ? demanda le flic. Qu’est-ce que tu marmonnes entre tes dents ? Et que cherches-tu dans ces pages blanches ?

Le jeune homme ne releva pas la tête. Les mâchoires serrées, Sharko se redressa et se dirigea vers une petite salle de réunion, au troisième étage. Les visages étaient crayeux, les traits tirés. Des gobelets vides et quelques cadavres de cigarettes traînaient sur la vieille table. Il était une heure du matin et plus personne n’avait envie de parler. Pascal Robillard triturait mollement un élastique, Jacques Levallois n’arrêtait pas de bâiller, tandis que Nicolas Bellanger donnait les dernières directives :