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— Priorité : retrouver qui est le type au pyjama. On doit le faire parler, comprendre ce qu’il fichait là. Alors, Pascal… tu appelles les hôpitaux psychiatriques et les commissariats locaux, on cherche un fugueur… Tu épluches aussi le passé de Terney. Je veux savoir qui il est, avec qui il a bossé, s’il a des ennemis. Peut-être qu’il connaît ce barge, qu’il est de sa famille. Un petit cousin, un neveu, un môme qu’il aurait suivi plus jeune pour une raison X… Toi, Sharko, tu t’occuperas de son environnement professionnel et sentimental. Tu interrogeras ses collègues de la clinique de Neuilly et ses amis. Vu les messages sur son répondeur, c’était un homme à femmes. Creuse par là également. L’affaire prend de l’envergure, on n’y arrivera jamais seuls. Alors, dès demain, le gros des hommes de l’équipe de Manien va venir bosser avec nous à plein temps, pour nous prêter main forte. On a besoin de bras et de têtes pensantes.

Sharko serra les mâchoires.

— Ils ne sont pas sur l’affaire Hurault ?

— L’affaire Hurault ? Ils sont complètement secs. Pas l’ombre du début d’une piste. De ce fait, le patron a placé notre dossier en priorité haute et accroît encore plus nos effectifs.

— C’est Manien qui va faire la gueule.

— Je m’en fiche.

Bellanger s’orienta vers Levallois.

— Toi, Jacques, tu te farcis l’autopsie, elle débute dans une heure. T’es prêt pour une petite nuit blanche ?

Le jeune lieutenant acquiesça.

— Il faut bien quelqu’un.

— Très bien. J’ai aussi filé ton numéro de portable au responsable du labo de biologie, pour le livre sur l’ADN, La Clé et le Cadenas. En espérant qu’il t’appellera au beau milieu de la nuit pour t’annoncer une bonne nouvelle.

— On est au beau milieu de la nuit.

Bellanger parvint à sourire brièvement, considéra ses troupes puis donna un grand coup de brosse au tableau blanc, derrière lui.

— Allez… J’ai encore trois tonnes de paperasse à me farcir avant que le jour se lève. À tout à l’heure.

Sharko était furieux et inquiet. Assis au volant de sa voiture, il essayait de joindre Lucie, sans succès. Il était tard, certes, mais pourquoi diable ne répondait-elle pas ? Lui était-il arrivé quelque chose à Montmartre ou durant sa fuite ? Avait-elle eu un accident ? Il pila devant un feu rouge auquel il n’avait pas prêté attention. La petite Nordiste occupait à nouveau toutes ses pensées, au point de le rendre dingue. Les vannes intérieures qu’il avait tenté de cloisonner à double tour se rouvraient en grand, brisant toutes les barrières.

Lorsqu’il regagna le palier de son appartement, courbaturé, vidé, écrasé d’idées noires, une ombre, assise devant sa porte, se leva.

Lucie Henebelle, téléphone portable dans une main, livre de Terney dans l’autre, l’attendait avec une impatience non dissimulée. Elle se leva et le regarda dans les yeux :

— Dis-moi qu’ils n’ont rien trouvé sur moi.

25

Sharko fit entrer Lucie et referma la porte à clé derrière lui. Il l’entraîna par le poignet au milieu du salon et se précipita vers la fenêtre de la cuisine.

— Est-ce qu’on t’a vue entrer ici ? Est-ce que tu as parlé à quelqu’un ?

— Non.

— Mais pourquoi tu n’as pas répondu à mes appels ?

Lucie jeta un œil autour d’elle. La première fois qu’elle était venue dans cet appartement remontait à plus d’un an. À l’époque, elle avait dormi sur le canapé, lui dans sa chambre. Si le fauteuil était toujours là, les clichés de sa femme et de sa fille, si nombreux avant, avaient disparu. Plus aucun souvenir de sa vie passée, plus de décoration, ni de bibelots. Pourquoi Lucie avait-elle la froide impression que cet appartement était devenu sans vie, sans âme, comme ceux que l’on visite après le décès du propriétaire ? Elle observa Sharko, qui accrochait son arme de service sur un portemanteau, comme il l’avait toujours fait. Depuis combien d’années répétait-il ce même geste ? Malgré sa coupe en brosse, ses cernes avaient encore enflé, ses traits semblaient s’effriter comme du mauvais plâtre. La fatigue le consumait, telle une drogue sournoise.

Lucie resta debout.

— Je voulais t’expliquer en face, et non par téléphone.

Elle se tut un moment, la gorge serrée. Ses mains tordaient nerveusement le livre de Terney.

— Je voulais te remercier, aussi, pour ce que tu as fait, tout à l’heure. Tu t’es mis en danger pour moi. Tu n’étais pas obligé.

Sharko partit se décapsuler une bière. À 2 heures du matin, il avait besoin de décompresser, un peu d’alcool aiderait. Lucie refusa le verre qu’il lui proposa.

— Garde tes remerciements, répliqua-t-il sèchement, ce qui est fait est fait.

— Tu n’es pas obligé non plus de me parler si froidement. Maintenant, dis-moi : le type en pyjama… Qui est-il ? Est-ce lui qui a tué Terney ?

— On n’en sait rien pour l’instant. Étant donné son état mental, sa posture, on doute fort qu’il ait été capable de telles tortures. Est-ce qu’il t’a vue ?

— Non.

— Raconte-moi comment, en partant pour les Alpes, sans infos, sans rien, tu as atterri chez Terney avant quinze types de la Criminelle.

Il essayait de blinder son cœur et ses sentiments, mais ses organes saignaient. Lucie finit par s’asseoir au bord du fauteuil et se lissa les cheveux vers l’arrière. Après une telle journée, tant de kilomètres, à pied, en voiture, elle ne tenait plus sur ses jambes. Lentement, elle se mit à raconter :

— Quelques semaines avant de rencontrer Carnot, Éva Louts avait lu un article scientifique et remarqué un dessin inversé. Il s’agissait d’une fresque d’aurochs, réalisée dans une grotte préhistorique. Un cas unique qui n’a pas fait de bruit au niveau de la presse, et qui n’avait pas fait réagir Louts plus que cela à l’époque. Mais il y a dix jours, quand elle a vu le dessin à l’envers de Grégory Carnot, elle a immédiatement foncé vers la grotte originelle, histoire de voir la fresque des aurochs de ses propres yeux.

Lucie continua à expliquer calmement, n’épargnant aucun détail. Elle parla de la famille de Neandertal, massacrée par le sapiens avec un harpon. Du transport des corps au centre génomique de Lyon. Du vol du Cro-Magnon. Du scientifique rouquin, Arnaud Fécamp, qui lui avait paru suspect. Elle relata sa traque dans Lyon, son intervention musclée dans l’immeuble de la Duchère, puis sa remontée vers Montmartre avec une seule idée en tête : comprendre. Au fil de son récit, Sharko s’était crispé, son visage s’était tordu. Il se leva, furieux, et considéra Lucie d’un regard ferme.

— Tu aurais pu te faire tuer ! Qu’est-ce qui t’as pris ?

— Ma fille s’est fait tuer. Pas moi. Malchance, hasard ? Rien à foutre. Ce qui compte, c’est que je sois ici, en face de toi, et qu’on avance.

Un silence. Des muscles tendus, des nuques douloureuses, écrasées de fatigue nerveuse. Lucie se releva finalement et marcha vers la cuisine.

— Les bières sont dans le réfrigérateur ?

Sharko acquiesça. Il la regarda aller, décapsuler sa canette, revenir. Elle n’avait rien perdu de ses capacités de flic, elle était encore vive d’esprit, alerte, intelligente. Quelque chose, dans sa tête, l’avait épargnée de l’anéantissement total qu’aurait pu causer le drame.

La voix féminine l’arracha de ses pensées.

— Avez-vous retrouvé la trace du Cro-Magnon et de son génome chez Terney ?

— Non. Pas de labo secret ou de truc dans le genre. Une maison tout ce qu’il y a de plus clean. En revanche, cette momie, il l’avait prise en photo et accrochée dans sa bibliothèque, aux côtés de peintures d’un phénix et d’un placenta. Quant au génome… On n’a retrouvé aucun matériel informatique chez la victime. Dérobé, sans aucun doute.