Выбрать главу

— Des infos sur le bonhomme ?

— Ça remonte tranquillement, on débroussaille demain. À première vue, il était médecin accoucheur, spécialiste des problèmes néonatals, et auteur du bouquin que tu tiens entre les mains. Un pluridisciplinaire.

— Raconte-moi tout ce que vous avez découvert. Dis-moi comment, vous, vous avez atterri chez la victime.

— Pars, Lucie.

Elle le foudroya du regard, faisant claquer sa canette sur la table.

— Va te faire foutre, Sharko. Si tu veux me mettre dehors, alors tu devras le faire à coups de pompes.

Elle resta droite, face à lui, les poings le long du corps. Sharko se laissa choir dans son sofa.

— Bois ta bière et calme-toi…

La poitrine serrée, Lucie s’installa en face de lui et liquida un tiers de sa canette avec une grimace. Elle devait à tout prix décompresser, l’alcool allait l’aider. Le commissaire serrait les mains autour de sa petite bouteille.

— Écoute bien à présent.

Il relata les grandes lignes de son enquête. La thèse traitant de la latéralité, et le rapport avec la violence. L’enquête de la jeune femme sur les sportifs, les peuples féroces, son voyage au Mexique, puis celui, incompréhensible, à Manaus. Sa demande, dès son retour du Brésil, de rencontrer des criminels violents français, dont Grégory Carnot semblait être l’aboutissement. Il répéta que le Brésil avait changé quelque chose dans la quête de Louts, et qu’elle devait y retourner. Côté technique, il expliqua brièvement que l’éclat d’émail récupéré dans le corps de Louts avait permis de remonter jusqu’à Terney qui, pour le moment, représentait le dernier maillon de la chaîne.

Même si elle n’avait pas encore tout assimilé, même s’il lui manquait les détails, les odeurs, les images que laisse une affaire criminelle, Lucie se laissa guider par ses simples déductions :

— Grégory Carnot, gaucher d’origine, se met à faire des dessins à l’envers en même temps qu’il devient violent. On ne connaît rien de ses antécédents familiaux. Enfant abandonné à la naissance, adopté, sans problèmes particuliers, hormis une intolérance au lactose.

— C’est un bon résumé.

— Trente mille ans en arrière, un homme de Cro-Magnon, gaucher lui aussi, massacre une famille complète, et dessine également à l’envers. Deux personnes ont remarqué ces similitudes et fait le lien. D’un côté, Stéphane Terney, chercheur et médecin parisien, qui semble surtout intéressé par le génome du Cro-Magnon, au point de le voler. De l’autre côté, Éva Louts, étudiante en biologie, plutôt motivée par sa thèse et ses découvertes sur la latéralité et la violence, si j’ai bien compris.

— C’est ça.

— Tous les deux morts, probablement tués par le même individu. L’une, cherchant un rapport entre la latéralité et la violence, et l’autre, un fondu de l’ADN, cherchant ou protégeant quelque chose dans le génome de Cro-Magnon. Le tueur a cru bon de les liquider tous les deux, ce qui doit vouloir dire qu’il y a un point commun…

— Éva Louts revient du Brésil… Immédiatement, elle part voir des prisonniers gauchers, violents. Elle récupère des données sur eux, des photos… Puis prévoit de retourner au Brésil… Comme si…

— On lui avait confié un travail. Collecter des données, et les ramener là-bas.

— Exactement.

Lucie agita le livre de Terney devant elle.

— Les gauchers, le génome de Cro-Magnon, l’ADN, ce bouquin, qui parle de codes cachés… Tout a l’air lié.

— Mais il nous manque le lien.

Lucie but encore un coup et se frotta les lèvres. Ses boyaux chauffaient déjà.

— Réfléchissons. Qu’est-ce qui pourrait donner les mêmes caractéristiques à deux individus espacés de quelques millénaires ?

— L’ADN ? Les gènes ?

Lucie acquiesça avec conviction.

— C’est ce qui ressort de cette enquête depuis le début. On dirait qu’il y a une relation avec cette fichue molécule d’ADN. Pourtant, la directrice du centre de recherches de Lyon m’a certifié que la violence ne peut pas se propager dans les gènes. Ce fameux « gène de la violence » n’est qu’un mythe. Et puis, ce serait complètement stupide de parler d’un lien de parenté entre Carnot et un être ancestral séparé de lui par des centaines, des milliers de générations.

— Pourquoi stupide ? Nous ne sommes pas nés dans un chou, et ces Cro-Magnon sont forcément les ancêtres de certains d’entre nous. En tout cas, je pense que Terney était au courant de quelque chose. Quelque chose qui traverse les époques, et que le tueur l’a empêché de révéler.

— Tout comme Louts… Deux chemins différents, mais qui mènent au même résultat.

— La mort…

Sharko hocha le menton vers le livre.

— Son bouquin, tu as pu y jeter un œil ?

— Oui, rapidement. À mon sens, il n’a pas plus de valeur qu’un livre de recettes de cuisine. Grosso modo, tu prends les chromosomes humains, tu déroules leur ADN et tu le mets bout à bout. Ça te donne une série d’environ trois milliards de lettres A, G, T, C qui se suivent, et constituent notre patrimoine génétique, le fameux génome humain. Avec ça, tu fais des statistiques, des calculs, et tu cherches des coïncidences, que tu interprètes comme des messages cachés…

— T’as l’air d’être calée dans ce domaine.

Lucie crispa ses mains sur son pantalon. Elle soupira et lâcha des mots lourds :

— Je connais un peu, en effet. Il y a un an, c’est moi qui ai prélevé mon propre ADN pour comparaison avec celui du corps brûlé de la forêt.

Sharko s’aplatit dans son fauteuil, abasourdi. Lucie parlait avec lenteur. Ses mots pesaient comme des briques.

— J’ai suivi chaque étape qui permettait, à partir de cette molécule, de mener à une identité. J’ai passé mes jours et mes nuits avec les techniciens du laboratoire, masquée et gantée, jusqu’à ce que cette fichue succession de A, de T, de C et de G de mon ADN soit comparée à celle de… de…

— De la petite victime de la forêt.

— Oui. Je pourrais te décrire le processus par cœur.

Sharko tentait de garder un air impassible, de construire une muraille invisible autour de lui. Mais, lentement, un poison se glissait dans ses veines. Il voyait les visages des filles de Lucie, il entendait leurs rires, il sentait le sable de Vendée crisser sous leurs petits pieds. Les sons, les odeurs ne s’effacent jamais. Ce jour-là, sur la plage des Sables-d’Olonne, Sharko avait empêché Lucie d’accompagner les petites au marchand de glaces, parce qu’il était en train de lui confier ses sentiments. Il avait suffi d’une minute… Une petite minute pour que Clara et Juliette se fassent enlever. Tout avait été sa faute.

De son côté, Lucie réfléchissait en silence. Elle jeta finalement un œil en direction de l’ordinateur.

— Je voudrais faire quelques recherches sur ce Stéphane Terney. Il a écrit un bouquin, il est réputé, on doit pouvoir récupérer pas mal d’infos sur Internet.

Sharko se réfugia dans sa bière. L’alcool coulait bruyamment, lourdement dans sa gorge. Son esprit était tiraillé de tous les côtés. Il hocha le menton vers l’horloge.

— Il est plus de 2 heures du matin. Tu me refais exactement le même gag qu’il y a un an. Tu dois te reposer un peu.

— Toi aussi.

Sharko soupira et se lança :

— Tu vois un psy ? Quelqu’un qui… qui t’aide à traverser tout ça ?

Lucie serra les mâchoires, puis, contre sa volonté, se pencha vers Sharko et lui attrapa les mains. Elle caressa les os, enroba les doigts fins avec les siens.

— Et toi ? Tu as vu comment tu es abîmé ? Que t’est-il arrivé, Franck ? C’est moi qui devrais être dans ton état, c’est moi qui…

Il la coupa :