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Le nom de la ville où Terney avait exercé, de 1986 à 1990, lui claqua à la figure.

Reims.

Là où était né Grégory Carnot, en janvier 1987.

Stupéfaite, Lucie se passa les mains sur le visage. La coïncidence était trop, bien trop grosse. Reims… Était-il possible que Terney ait travaillé dans l’hôpital où était né Carnot ? Elle se rua sur son téléphone portable, appela l’état civil de Reims. Après quelques détours administratifs, on lui annonça le nom de la maternité dans laquelle était né, sous X, Grégory Carnot.

L’hôpital de la Colombe.

Lucie raccrocha.

Elle se rendit compte qu’elle se trouvait dans un coin de la pièce, le front contre le mur comme une petite fille punie.

Une certitude lui martelait à présent l’esprit : aussi incroyable que cela puisse paraître, Stéphane Terney avait sans aucun doute mis au monde Grégory Carnot en 1987. Et vingt-trois ans plus tard, une enquête criminelle rapprochait à nouveau les deux hommes. Il ne pouvait pas s’agir d’un hasard. Impossible.

Pourtant, Lucie avait beau chercher, se creuser la tête, elle ne comprenait pas. Terney avait-il suivi la trace de Carnot, pendant toutes ces années ? L’avait-il surveillé ? Avait-il même cherché à le mettre au monde ? Mais pour quelle fichue bonne raison ?

Lucie termina l’article rapidement.

Après Reims, Terney ne fait plus fait beaucoup parler de lui. Il revient à Paris en 1990, se marie encore et divorce à plusieurs reprises, consumant ses liaisons comme des cigarettes, sans jamais avoir d’enfant. Il exerce dans une clinique de Neuilly, poursuit ses recherches sur la pré-éclampsie, se spécialise davantage en immunologie, laissant en arrière-plan l’obstétrique. En 2006, il rédige son fameux livre La Clé et le Cadenas, qu’il envoie par milliers d’exemplaires dans les écoles, chez des particuliers ciblés, ravivant ainsi, quelque temps, sa réputation et ses propos eugénistes. Avant que tout s’éteigne à nouveau et qu’il mène une carrière des plus classiques.

Lucie éteignit l’ordinateur et regarda ses clés de voiture, qui étaient posées sur la table du salon. Elle disposait d’un nom de maternité, d’une date de naissance. Même si la mère de Grégory Carnot avait accouché sous X, il devait forcément y avoir des dossiers, des gens avec qui Stéphane Terney avait travaillé à l’époque, qui pourraient, peut-être, parler de l’obstétricien, de son rapport avec la mère, le nouveau-né, ou même de l’accouchement. Peut-être cet enfant maudit, sa mère, son père, avaient-ils laissé une trace dans les mémoires ? Peut-être la mère biologique avait-elle abandonné son identité dans les dossiers ?

Il fallait tenter le coup, essayer d’ouvrir des pistes d’investigations pour comprendre ce qui pouvait relier Terney au tueur de sa fille. Elle mettrait à peine deux heures pour se rendre à Reims.

Avant de filer, Lucie réfléchit. Elle savait qu’elle risquait de se heurter à des murs, dans un milieu aussi administratif que l’hôpital. Se prétendre flic ne suffirait plus. Il lui fallait une fausse carte de police. Non pas une reproduction parfaite, mais un papier qu’elle montrerait rapidement. Après tout, personne ne savait à quoi ça ressemblait réellement.

Elle disposait d’une photo d’identité dans son portefeuille, et Sharko, d’une excellente imprimante couleur.

Lucie se connecta à Internet. Les sites pour fabriquer de faux papiers, « destinés à l’amusement », ne manquaient pas. Permis de conduire, diplômes, fiches d’état civil… Un quart d’heure plus tard, l’imprimante crachait la fausse carte de police sur une feuille cartonnée blanche. Elle avait décidé de s’appeler à nouveau Amélie Courtois. Mieux valait continuer à rester anonyme. Lucie découpa la feuille méticuleusement, la froissa légèrement pour la vieillir un peu, y apposa la photo d’identité décollée de sa carte de la médiathèque et glissa le tout derrière le petit carré en plastique, légèrement opaque, dans l’une des poches intérieures de son portefeuille.

Ni vu, ni connu. Son expérience et son aplomb feraient 90 % du travail.

Cette fois, elle était redevenue flic, enquêtant dans un espace parallèle où personne n’aurait le réflexe de creuser, pas même Sharko. Parce que personne ne connaissait aussi bien Grégory Carnot qu’elle : le rapprochement entre ce tueur né à Reims et la clinique où Stéphane Terney avait exercé il y a plus de vingt ans était indétectable.

Elle embarqua les photos de la scène de crime de Terney, son blouson, et sortit, claquant la porte derrière elle.

Elle ne remarqua pas l’homme assis au volant de sa voiture, devant la résidence. Après qu’elle eut disparu, Bertrand Manien s’alluma une cigarette et prit en souriant la direction du 36, quai des Orfèvres.

29

La 407 de fonction conduite par Levallois venait de rejoindre l’autoroute A6a, direction Fontainebleau. En cette fin de matinée, la circulation était fluide – une notion toute relative lorsqu’on habitait à Paris – et les flics n’avaient pas eu à utiliser le gyrophare deux tons pour se frayer leur chemin.

Auparavant, Sharko était repassé au 36, afin de faire part de leurs découvertes et de refiler ses tâches – à savoir, interroger les proches et collègues de Stéphane Terney – à d’autres coéquipiers.

À présent, les deux flics fonçaient en direction de La Chapelle-la-Reine, un bled paumé au sud de la forêt de Fontainebleau. Ils avaient rendez-vous avec le capitaine de gendarmerie Claude Lignac, qui avait tenu, l’espace de quelques heures, les rênes d’une enquête particulièrement sordide : un double crime de sang dans les bois, commis par un tueur dont l’ADN figurait dans un bouquin rédigé en 2006 par Terney. Devant la nature immonde et inhabituelle de l’acte, ce gendarme avait finalement perdu l’enquête au profit de la prestigieuse section de recherche de Versailles.

Évidemment, hormis les officiers du 36, tout le monde ignorait que le code génétique de l’auteur de ce double homicide datant de six jours, figurait dans les pages d’un livre somme toute banal, sorti quatre ans plus tôt : La Clé et le Cadenas. Afin d’éviter les fuites, notamment avec la presse, les flics devaient garder, pour le moment, l’information secrète. Officiellement, ils s’intéressaient à ce meurtre ayant un rapport avec l’une de leurs enquêtes dont ils ne pouvaient, pour l’instant, divulguer la moindre information.

Sharko changea la station de radio, basculant sur une chanson des Cranberries, Zombie. Bellanger lui sourit.

— Ces derniers jours, tu essaies de te redonner une bonne allure. Ton costume… Tes cheveux… Et puis tu as l’air un peu moins triste aussi. Il y a une femme dans ta vie ?

— Pourquoi vous me dites tous ça, bon sang ?

— On m’a dit que depuis la mort de ta femme, c’était le grand désert pour toi. Alors je…

— Laisse tes suppositions de côté. Ça vaut mieux.

Levallois haussa les épaules.

— On est collègues. Les collègues, ils se disent ce genre de choses. On dirait que je bosse avec un poteau électrique. Personne ne sait réellement ce que t’as fichu à l’OCRVP. Et pourquoi on ne parle jamais d’autre chose que des affaires ? Pourquoi tu ne me poses aucune question sur… sur ma vie par exemple ?

— Parce que c’est mieux ainsi. Le métier entre suffisamment dans ta vie, ne fais pas entrer ta vie dans le métier. Laisse ta femme, tes gosses si tu en as, en bas du 36, c’est préférable.

— Je n’ai pas encore de gosse mais… – il hésita – mais ma femme est enceinte. On va avoir une petite fille.

— Tant mieux.

Réponse froide, sèche. Levallois secoua la tête de dépit et se concentra sur la route, sur leur enquête. L’affaire le happait chaque jour davantage, et chaque jour, il rentrait un peu plus tard. Il se surprit à ressentir une excitation croissante, au fur et à mesure qu’il sombrait dans les ténèbres. Finirait-il un jour comme Sharko, lui aussi ? Préférant revenir dans le concret, il tira ses dernières conclusions à voix haute :