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Question qui, comme Sharko s’y attendait, sembla déstabiliser le militaire.

— Gaucher ? Heu… Faudrait demander à la SR, mais si je me souviens bien, ça n’était pas stipulé dans le rapport d’autopsie. L’arme utilisée pour le crime était à bords symétriques, donc il n’y a aucun moyen de le savoir en observant les plaies. Pourquoi cette question ?

— Parce que votre tueur est probablement gaucher. Il doit aussi être grand, fort, âgé de vingt à trente ans. Ces empreintes de pas, imprimées dans la terre, sont les siennes ?

— Oui. Il chausse du 45. Mais comment vous…

— Un grand gaillard, d’une taille sans doute supérieure à 1,85 mètre. Avez-vous pu reconstituer les circonstances exactes du crime ?

Sharko observait attentivement les alentours, surtout les troncs. Il y cherchait des gravures. Peut-être que, comme pour Carnot ou le Cro-Magnon, le tueur avait fait des dessins inversés ? Malgré son œil inquisiteur, il ne dénicha rien de particulier.

— À peu près, oui, répondit le gendarme. L’estimation du décès remonte à 8 heures du matin, il y a six jours. Nous sommes arrivés environ un quart d’heure après l’appel du cavalier, aux alentours de 9 h 30. Une casserole était posée sur le réchaud à gaz allumé, toute l’eau s’était évaporée. On pense que les victimes préparaient leur petit déjeuner. Elles étaient en tenue de sport, short et tee-shirt. La tente était encore montée, et les duvets dépliés. Des VTT étaient enchaînés à l’arbre.

Le capitaine s’avança et remua quelques feuilles du pied.

— Les victimes ont été retrouvées juste là, près de leur tente. Elles n’ont pas eu le temps de fuir, ou n’ont pas cherché à le faire. Le tueur venait assurément par le chemin que nous venons d’emprunter. Un chemin relativement fréquenté par les promeneurs, les cyclistes, les cavaliers. Il a quitté la voie, a traversé les fougères. Il s’est approché, il a frappé. A-t-il utilisé un prétexte pour les aborder, ou s’est-il précipité sur eux ? À ce stade, la SR est dans le flou.

Sharko se dit qu’il avait eu du flair : l’homme suivait l’enquête de près. Un moyen, pour lui, de prouver qu’il restait maître de son territoire et, surtout, de s’arracher à sa monotonie quotidienne.

— Pas de témoins ?

— Aucun. C’était un peu tôt pour les promeneurs, qui restent de toute façon sur le sentier. Les circonstances du meurtre ont été détaillées dans la presse locale, c’est moi qui m’en suis chargé, je connais du monde. Un appel à témoins a été lancé.

— Très bien. Et ça a donné quelque chose ?

— Non, personne ne s’est manifesté. L’assassin a eu de la chance.

— Ils en ont souvent. Jusqu’à ce qu’on les arrête.

Sharko enjamba quelques branchages et revint sur le chemin. Il haussa le ton :

— Je me trompe ou on ne pouvait pas voir la tente depuis le chemin ?

Le gendarme réajusta ses petites lunettes rondes.

— Vous avez raison. Ces jeunes devaient savoir qu’ils n’avaient pas le droit de camper dans le bois, ils se sont mis à l’abri des regards. Comment l’assassin les a-t-il trouvés s’il passait par hasard dans le coin ? Au son de leur voix, car il était probable que les jeunes parlaient. Et n’oubliez pas que de l’eau chauffait, il devait s’élever un panache de fumée dans l’humidité du petit matin. Facile alors de les repérer.

Ce gendarme était un adepte du détail. Sharko se frotta le menton, scrutant à nouveau les alentours. La végétation était dense, on n’y voyait pas à dix mètres. Levallois se frottait les mains, comme s’il avait froid.

— Une idée sur le profil du tueur ? demanda-t-il.

Lignac acquiesça, s’empressant de livrer les détails et de montrer ses compétences.

— Physiquement, on sait que ce bâtard chausse du 45 et avait des chaussures de marche. La présence du chromosome Y dans l’ADN confirme qu’il s’agit d’un homme… Un homme de belle corpulence, à voir la profondeur des empreintes de semelle. Comme vous dites, sûrement aux alentours de 1,85 mètre, facile. Il n’a rien volé ni dérangé. Les victimes n’ont pas été agressées sexuellement, les corps n’ont pas été déplacés après leur mort. Tout est resté en plan. Aucune volonté d’effacer les traces. On a affaire à un crime complètement désorganisé…

Exactement comme avec Carnot, pensa Sharko.

— … la SR dispose d’empreintes de pas, digitales, d’ADN plus qu’il n’en faut, sur les corps, l’arme du crime et dans le sac où il a pris le piquet d’escalade. L’intervention a été foudroyante, personne n’a rien vu. Le tueur fait preuve d’une certaine immaturité. Les coups relevés par le légiste sont parfois maladroits, désordonnés. Il est venu, il a tué comme il a pu, emporté par ce qui ressemble à une rage hors du commun. Ce couple a eu le malheur de se trouver sur son chemin.

Sharko et Levallois échangèrent un regard. Comme pour Carnot, ça rejetait l’hypothèse du tueur traquant ses victimes de longues heures, connaissant parfaitement leur emploi du temps, leurs déplacements. Les deux jeunes avaient croisé sa route au mauvais endroit, au mauvais moment.

En plein dans ses interrogations, le commissaire jeta un œil vers un oiseau, perché sur une branche, qui frottait son bec sur l’écorce. Il tenta d’en reconnaître l’espèce, en vain. À coup sûr, Lignac la connaissait, lui. Ce type était bon, finaud, plein de jugeote, comment pouvait-il croupir dans un bled pareil, à tamponner des PV ? Sharko creusa un peu plus, il obtenait davantage d’informations avec ce gendarme local qu’il ne l’aurait espéré avec la SR.

— Vous pensez qu’il est du coin ?

Le gendarme s’enfonça plus encore dans les fougères, s’arrêta à proximité d’un arbre.

— Oui, nous en avons tous la certitude. Il y a un élément très important et très curieux, dont je ne vous ai pas encore parlé. Venez…

Les flics s’approchèrent. Lignac désigna le sol.

— Ici, au pied de ce tronc, nous avons découvert une dizaine d’allumettes brûlées, avec une boîte d’allumettes à l’effigie d’une marque d’alcool pour jeunes, « Vitamin X ». La SR pense que l’assassin s’est assis là, après son crime, et s’est mis à gratter ces allumettes, les unes derrières les autres, en regardant les corps. La plupart des allumettes étaient cassées, ce qui prouve que l’assassin devait être dans un état de tension nerveuse extrême, en surpression comme une cocotte-minute. Assurément, il a eu besoin de s’asseoir, de décompresser, peut-être se sentait-il mal pour rentrer sur-le-champ ? Peut-être a-t-il complètement pété les plombs ? En tout cas, je le répète, il n’était pas du genre méticuleux, il n’a pas cherché à tout prix à effacer ses traces.

Il s’orienta en direction de la scène de crime et eut un soupir. Il ne se promènerait plus jamais dans cette forêt sans penser au massacre. Et plus jamais, il ne laisserait ses enfants jouer seuls, même dans son propre jardin. Ce drame allait le marquer à vie.

— Cette boîte d’allumettes, véritable cadeau du ciel, lui appartenait, car les jeunes avaient un briquet. Elle a en outre donné une information extrêmement précise à la SR. Elle n’existe pas dans le commerce et a été distribuée lors d’une opération promotionnelle, il y a environ un mois, dans une grosse discothèque à Fontainebleau, le Blue River. Il est certain que l’assassin se cache dans cette ville et qu’il fréquente ce club.

— Il pourrait également habiter une ville voisine, non ?

Lignac secoua la tête.

— C’était une soirée sélecte. L’entrée était exclusivement réservée aux habitants de Fontainebleau.

Sharko et Levallois se regardèrent brièvement. De telles informations, c’était inespéré.

— Et… la SR a quelque chose de sérieux concernant cette discothèque ? Des suspects potentiels ?

— Pour le moment, leurs investigations n’ont rien donné. Cette opération promotionnelle avait attiré énormément de monde, quasiment tous les jeunes de la ville. L’établissement était plein à craquer, plus de mille cinq cents personnes. La seule donnée fiable dont ils disposent, c’est l’ADN de l’assassin. Peut-être finiront-ils par faire des tests sur certains jeunes adultes qui fréquentent cette boîte de nuit et chaussent du 45. Mais ça risque d’être long et de coûter cher.