— Votre ADN, il a été trouvé là où on a tué ce cheval, dit-elle. Vous le saviez ?
Il l’observa un long moment.
— Et vous, comment le savez-vous ?
— Peu importe. Alors, vous le saviez ou pas ?
Il eut un petit rictus qui était peut-être un sourire.
— Je sais ce que vous cherchez, dit-il. Mais vous ne le trouverez pas ici. Et la réponse à votre question est : JE SAIS TOUT, DIANE. Tout ce qui se passe à l’extérieur comme à l’intérieur. Rassurez-vous : je ne dirai rien à personne de votre visite. Pas sûr que M. Monde en fasse autant, en revanche. Contrairement à moi, il n’est pas libre de ses mouvements. C’est ça le paradoxe. Et maintenant, allez-vous-en. L’infirmière chef devrait être là d’ici un quart d’heure. Allez-vous-en ! Fuyez cet endroit. Fuyez loin d’ici, Diane. Vous êtes en danger ici.
Assis à son bureau, Espérandieu réfléchissait. Une idée lui était venue après l’appel de Marissa. Il n’avait cessé de repenser à la somme évoquée le matin même au téléphone : 135 000 dollars. À quoi pouvait-elle bien correspondre ? À première vue, ces 135 000 dollars n’avaient rien à voir avec leur enquête. À première vue… Et puis, il avait eu cette idée.
Une idée si farfelue qu’au début il la repoussa.
Mais elle avait tenu bon. Elle s’obstinait. Qu’est-ce qu’il lui en coûtait de vérifier ? À 11 heures, il s’était décidé et il avait cherché une information sur son ordinateur. Puis il avait décroché son téléphone. La première personne qu’il avait eue au bout du fil s’était d’abord montrée très réticente à lui fournir une réponse claire. On ne discutait pas de ces questions au téléphone, même avec un flic. Lorsqu’il cita le chiffre de 135 000 dollars, il reçut cependant confirmation que c’étaient à peu près les tarifs qu’ils pratiquaient pour la distance considérée.
Espérandieu sentit son excitation croître asymptotiquement.
Il passa une demi-douzaine de coups de fil au cours de la demi-heure suivante. Les premiers ne donnèrent rien. Chaque fois, il obtenait la même réponse : non, il n’y avait rien eu de tel à la date indiquée. De nouveau, son idée lui parut ridicule. Ces 135 000 dollars pouvaient correspondre à un tas de choses. Et puis il venait de passer un dernier coup de fil et là : bingo ! Il écouta la réponse de son interlocuteur avec, de nouveau, un mélange d’incrédulité et d’excitation croissante. Et s’il avait mis dans le mille ? Était-ce possible ? Une petite voix essayait de tempérer son enthousiasme : il pouvait s’agir, bien sûr, d’une coïncidence. Mais il n’y croyait pas. Pas à cette date-là, précisément. Quand il raccrocha, il n’en revenait toujours pas. Incroyable ! En quelques coups de fil, il venait de faire faire à l’enquête un prodigieux bond en avant.
Il regarda sa montre : 16 h 50. Il songea à en parler à Martin puis il changea d’avis : il lui fallait une confirmation définitive. Il saisit son téléphone et composa fébrilement un nouveau numéro. Cette fois, il tenait une piste.
— Comment tu te sens ?
— Pas terrible.
Ziegler le fixait. Elle avait l’air presque aussi bouleversée que lui. Des infirmières entraient et sortaient de la chambre. Un médecin l’avait examiné et on lui avait fait passer plusieurs radios avant de le ramener dans sa chambre sur une civière roulante bien qu’il fût parfaitement en état de marcher.
Xavier attendait dans le couloir de l’hôpital, assis sur une chaise, que Ziegler prenne sa déposition. Il y avait aussi un gendarme devant sa porte. Laquelle s’ouvrit soudain en grand.
— Qu’est-ce qui s’est passé, bon Dieu ? lança Cathy d’Humières en entrant dans la chambre d’un pas vif et en s’approchant du lit.
Servaz essaya de la faire aussi brève que possible.
— Et vous n’avez pas vu son visage ?
— Non.
— Vous en êtes certain ?
— Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est costaud. Et qu’il sait s’y prendre pour immobiliser quelqu’un.
Cathy d’Humières lui lança un long regard sombre.
— Là, ça ne peut plus durer, dit-elle. (Elle se tourna vers Ziegler.) Vous me suspendez toutes les missions non urgentes et vous me collez tout le personnel disponible sur cette affaire. On en est où pour Chaperon ?
— L’ex-femme de Chaperon n’a aucune idée de l’endroit où il se trouve, répondit Ziegler.
Servaz se souvint que la gendarme devait se rendre à Bordeaux pour rencontrer l’ex du maire.
— À quoi elle ressemble ? demanda-t-il.
— Le genre bourge. Snob, bronzée aux UV et trop maquillée.
Il ne put s’empêcher de sourire.
— Tu l’as interrogée sur son ex ?
— Oui. C’est intéressant : dès que j’ai abordé le sujet, elle s’est fermée comme une huître. Elle n’a émis que des banalités : l’alpinisme, la politique et les amis qui accaparaient son mari, leur divorce par consentement mutuel, leurs vies qui avaient fini par prendre des chemins divergents, etc. Mais j’ai senti qu’elle passait le principal sous silence.
Servaz repensa soudain à la maison de Chaperon : ils faisaient chambre à part… Comme Grimm et son épouse… Pourquoi ? Leurs épouses avaient-elles découvert leur terrible secret ? Servaz eut tout à coup la conviction que, d’une manière ou d’une autre, c’est ce qui s’était passé. Peut-être, sans doute même, n’avaient-elles fait que soupçonner une partie de la vérité. Mais le mépris de la veuve Grimm pour son mari et sa tentative de suicide, la répugnance de l’ex-Mme Chaperon à évoquer sa vie privée avaient une source commune : ces femmes connaissaient la profonde perversion et la noirceur de leurs époux, même si elles ignoraient sans doute l’étendue de leurs crimes.
— Tu lui as parlé de ce qu’on a trouvé dans la maison ? demanda-t-il à Ziegler.
— Non.
— Fais-le. Il n’y a plus une minute à perdre. Appelle-la et dis-lui que si elle cache quelque chose et que son ex est retrouvé mort, elle sera la première suspectée.
— D’accord. J’ai trouvé autre chose d’intéressant, ajouta-t-elle.
Servaz attendit.
— Dans sa jeunesse, l’infirmière chef de l’Institut, Élisabeth Ferney, a eu maille à partir avec la justice. Des problèmes de délinquance, des infractions et des délits. Vols de scooters, insultes à agent, drogue, coups et blessures, racket… Elle a quand même été plusieurs fois en correctionnelle, à l’époque.
— Et elle est entrée à l’Institut malgré ça ?
— C’était il y a longtemps. Elle est rentrée dans le rang, elle a suivi une formation. Elle a ensuite travaillé dans plusieurs hôpitaux psychiatriques avant que Wargnier, le prédécesseur de Xavier, ne la prenne sous son aile. Tout le monde a droit à une seconde chance.
— Intéressant.
— Et puis, Lisa Ferney est aussi une assidue d’un club de musculation de Saint-Lary, à vingt kilomètres d’ici. Et elle est inscrite dans un club de tir.
L’attention de Servaz et de d’Humières s’accrut subitement. Une pensée frappa Servaz : sa première intuition à l’Institut était peut-être la bonne. Lisa Ferney avait le profil… Ceux qui avaient accroché le cheval là-haut étaient très costauds. Et l’infirmière chef l’était plus que certains hommes.
— Continue à creuser, dit-il. Tu tiens peut-être quelque chose.