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Il avait cesse de neiger mais la couche était très épaisse. Un peu plus loin, ils rejoignirent et dépassèrent le chasse-neige, dont le fanal tournoyant jetait une vive lueur orangée sur les sapins blancs, et la route devint difficile.

Ils roulèrent alors à travers un paysage pétrifié de hautes sapinières impénétrables et de tourbières gelées prises dans les méandres de la rivière. Au-dessus d’eux se levaient, formidables et gris, les flancs boisés de la montagne. Puis la vallée se resserra encore. La forêt surplomba la route qui surplomba le torrent, tandis qu’à chaque virage ils voyaient devant eux les grandes racines des hêtres mises à nu par les affouillements du talus. Au détour d’un virage, ils découvrirent plusieurs bâtiments en béton et en bois. Avec des rangées de fenêtres aux étages et de grandes baies vitrées au rez-de-chaussée. Un sentier traversait le torrent sur un pont rouillé puis une prairie blanche et menait jusqu’à eux. Servaz vit un écriteau rouillé en passant : « COLONIE DES ISARDS ». Les bâtiments avaient un aspect délabré. Ils étaient déserts.

Il se demanda qui avait bien pu coller une colonie de vacances dans un endroit aussi lugubre. Il sentit un courant d’air froid sur son échine en pensant au voisinage de l’Institut. Mais il était probable, vu son état d’abandon, que la colonie avait fermé bien avant que l’Institut Wargnier n’ouvre ses portes.

Cette vallée était d’une beauté terrassante, qui transit Servaz.

Une atmosphère de conte de fées.

C’était bien ça : une version moderne et adulte des sinistres contes de fées de son enfance. Car, au fond de cette vallée et de cette forêt blanche, songea-t-il en frissonnant, c’étaient bien des ogres qui les attendaient.

— Bonjour, je peux m’asseoir ?

Elle leva la tête et elle découvrit l’infirmier psy qui l’avait rembarrée la veille — comment s’appelait-il déjà ? Alex — debout devant sa table. La cafétéria était bondée, cette fois. On était lundi matin et tout le personnel était là. L’endroit bruissait de conversations.

— Bien sûr, répondit-elle, les dents serrées.

Elle était seule à sa table. Visiblement, personne n’avait jugé bon de l’inviter. De temps en temps, elle surprenait des regards dans sa direction. Elle se demanda une nouvelle fois ce que le Dr Xavier avait dit à son sujet.

— Euh… je voudrais m’excuser pour hier…, commença-t-il en s’asseyant, j’ai été un peu… brusque… Je ne sais pas pourquoi… Vos questions étaient légitimes, après tout… Veuillez accepter mes excuses…

Elle l’étudia attentivement. Il avait l’air sincèrement contrit. Elle hocha la tête, mal à l’aise. Elle n’avait pas envie de revenir là-dessus. Ni même de l’entendre s’excuser.

— Pas de problème… J’avais déjà oublié…

— Tant mieux. Vous devez me trouver bizarre…

— Pas du tout. Mes questions étaient elles-mêmes assez… impertinentes.

— C’est vrai, rigola-t-il. Vous n’avez pas votre langue dans votre poche.

Il mordit gaillardement dans son croissant.

— Que s’est-il passé en bas hier ? demanda-t-elle pour changer de sujet. J’ai surpris plusieurs conversations : apparemment, quelque chose de grave est arrivé…

— Un homme est mort, un pharmacien de Saint-Martin…

— Comment ?

— On l’a trouvé pendu sous un pont.

— Oh ! Je vois…

— Mmm, fit-il, la bouche pleine.

— Quelle horrible façon de mettre fin à ses jours !

Il releva la tête et avala la bouchée qu’il était en train de mastiquer.

— Il ne s’agit pas d’un suicide.

— Ah non ?

Il plongea son regard dans le sien.

— Meurtre.

Elle se demanda s’il plaisantait. Elle scruta son expression avec un sourire. Apparemment pas… Son sourire disparut. Elle sentit un léger froid lui courir entre les omoplates.

— C’est horrible ! On en est sûr ?

— Oui, dit-il en se penchant vers elle pour se faire entendre sans élever la voix malgré le brouhaha alentour. Et ce n’est pas tout…

Il s’inclina encore plus. Elle trouva que son visage était un peu trop près. Elle ne voulait surtout pas donner lieu à des rumeurs dès son arrivée. Elle recula légèrement.

— Selon ce qui se dit, il était nu à part une cape et des bottes… Et il aurait subi des sévices, des tortures… C’est Rico qui l’a trouvé. Un dessinateur de BD qui fait de la course à pied tous les matins.

Diane digéra l’information en silence. Un meurtre dans la vallée… Un crime de dément à quelques kilomètres de l’Institut

— Je sais à quoi vous pensez, dit-il.

— Oh, vraiment ?

— Vous vous dites : c’est un crime de dément et il y a plein de fous meurtriers ici.

— Oui.

— Il est impossible de sortir d’ici.

— Vraiment ?

— Oui.

— Il n’y a jamais eu d’évasion ?

— Non. (Il avala une autre bouchée.) Et, de toute façon, personne ne manque à l’appel.

Elle avala une gorgée de son cappuccino et essuya le chocolat sur ses lèvres avec une serviette en papier.

— Me voilà rassurée, plaisanta-t-elle.

Cette fois, Alex rit de bon cœur.

— Oui, j’avoue que c’est déjà assez flippant d’être ici en temps normal quand on est nouveau. Alors, ce truc affreux par-dessus le marché… Pas le genre de chose qui vous aide à décompresser, hein ? Désolé d’être le porteur de mauvaises nouvelles !

— Du moment que ce n’est pas vous qui l’avez tué…

Il rit de plus belle, si fort que quelques têtes se tournèrent.

— C’est de l’humour suisse ? J’adore !

Elle sourit. Entre sa sortie de la veille et sa bonne humeur d’aujourd’hui, elle ne savait toujours pas à quoi s’en tenir en ce qui le concernait. Mais il lui était plutôt sympathique. D’un mouvement de tête, elle désigna les gens autour d’eux.

— J’espérais un peu que le Dr Xavier me présenterait à l’ensemble du personnel. Pour l’instant, il n’en a rien fait. Pas facile de s’intégrer si… personne ne vous tend la main…

Il l’enveloppa d’un regard amical et hocha doucement la tête.

— Je comprends. Écoutez, voici ce que je vous propose : ce matin je ne peux pas, j’ai une réunion fonctionnelle avec mon équipe thérapeutique. Mais, un peu plus tard, je vous ferai faire la tournée des popotes et je vous présenterai au reste de l’équipe…

— C’est très gentil à vous.

— Non, c’est normal. Je ne comprends même pas pourquoi Xavier ou Lisa ne l’ont pas déjà fait.

Elle se dit qu’en effet c’était une bonne question.

Le légiste et le Dr Cavalier étaient en train de découper l’une des bottes à l’aide d’un costotome et d’un écarteur à deux griffes.

— À l’évidence, ces bottes n’appartenaient pas à la victime, annonça Delmas. Au moins trois pointures en dessous. Elles ont été enfoncées de force. J’ignore pendant combien de temps ce pauvre homme les a portées mais ça a dû être très douloureux. Bien sûr, moins que ce qui l’attendait…

Espérandieu le regarda, son bloc-notes à la main.

— Pourquoi lui mettre des bottes plus petites ? demanda-t-il.

— Ça, c’est à vous de le dire. Peut-être qu’il voulait simplement lui mettre des bottes et qu’il n’en avait pas d’autres sous la main.