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Il se dirigea vers un grand couloir au fond du hall. L’interminable corridor semblait traverser tout le bâtiment dans le sens de la longueur ; ils étaient cependant arrêtés à intervalles réguliers par des grilles dont Servaz supposa qu’elles se verrouillaient la nuit venue. Il aperçut aussi des portes avec des plaques en cuivre au nom de plusieurs docteurs, dont une au nom de Xavier lui-même, puis une autre marquée : « Élisabeth Ferney, infirmière chef ».

— Mais je suppose que nous devons quand même nous estimer privilégiés, ajouta Xavier en leur faisant franchir une deuxième grille. Pour pallier le manque de personnel, nous disposons ici des systèmes de sécurité et de surveillance les plus sophistiqués qui soient. C’est loin d’être le cas ailleurs. En France, quand on veut masquer les réductions d’effectifs et de budgets, on multiplie les concepts fumeux : des escroqueries sémantiques, comme l’a très justement fait remarquer quelqu’un : « démarche qualité », « projets annuels de performance », « diagnostic infirmier »… Savez-vous ce que c’est que le diagnostic infirmier ? Cela consiste à faire croire aux infirmiers qu’ils sont capables de poser un diagnostic à la place du médecin, ce qui permet évidemment de réduire le nombre des médecins hospitaliers. Résultat : un de mes confrères a vu des infirmières envoyer un patient en psychiatrie après l’avoir étiqueté « paranoïaque dangereux » au motif qu’il était très énervé et en conflit avec son employeur, qu’il menaçait d’attaquer en justice ! Heureusement pour ce pauvre homme, mon confrère, qui l’a reçu à son arrivée à l’hôpital, a immédiatement infirmé le diagnostic et l’a renvoyé chez lui.

Le Dr Xavier s’arrêta au beau milieu du couloir et leva vers eux un regard étonnamment grave.

— Nous vivons une époque de violence institutionnalisée à l’égard des plus faibles et de mensonges politiques sans précédent, dit-il sombrement. Les gouvernements actuels et leurs serviteurs poursuivent tous un double but : la marchandisation des individus et le contrôle social.

Servaz regarda le psychiatre. Il n’était pas loin de penser la même chose. Mais il se demanda quand même si, à l’époque de leur toute-puissance, les psychiatres n’avaient pas scié la branche sur laquelle ils étaient assis en se livrant à toutes sortes d’expérimentations aux fondements moins scientifiques qu’idéologiques — des expérimentations aux conséquences souvent destructrices, dont les cobayes étaient des êtres humains.

Servaz vit en passant deux autres gardes en combinaison orange dans une cage de verre.

Puis apparut sur leur droite la cafétéria aperçue sur les écrans.

— La cafétéria du personnel, précisa Xavier.

Pas de fenêtres ici, mais de hautes baies vitrées donnant sur le paysage de neige et des murs peints de couleurs chaudes. Une demi-douzaine de personnes bavardaient en prenant un café. Ils découvrirent ensuite une pièce haute de plafond aux murs saumon décorés de grandes photos de paysages. Des fauteuils bon marché mais d’apparence confortable étaient disposés en plusieurs endroits, de façon à former de petits coins tranquilles et accueillants.

— Le parloir, dit le psychiatre. C’est ici que les familles s’isolent avec leurs proches hospitalisés à l’Institut. Bien entendu, ce dispositif ne concerne que les pensionnaires les moins dangereux, ce qui ici ne veut pas dire grand-chose. Une caméra surveille les rencontres en permanence, et des aides-soignants ne sont jamais très loin.

— Et les autres ? demanda Propp, ouvrant la bouche pour la première fois.

Xavier détailla le psy avec circonspection.

— La plupart ne reçoivent jamais de visites, répondit-il. Ce n’est ni un hôpital psychiatrique ni une prison modèle courant, ici. Nous sommes dans un établissement pilote unique en Europe. Il nous vient des patients d’un peu partout. Et tous nos patients sont des gens très violents : viols, sévices, tortures, meurtres… Sur leurs familles ou sur des inconnus. Tous multirécidivistes. Tous sur le fil du rasoir. Nous ne recevons que la crème de la crème, ajouta Xavier avec un sourire bizarre. Peu de gens ont envie de se souvenir que nos patients existent. C’est peut-être pour ça que cet établissement a été placé dans un lieu aussi isolé. Nous sommes leur dernière famille.

Servaz trouva cette dernière phrase un brin grandiloquente — comme presque tout, du reste, chez le Dr Xavier.

— Combien de niveaux de sécurité ?

— Trois. En fonction de la dangerosité de la clientèle : légère, moyenne et haute, qui détermine non seulement la quantité et les performances des systèmes de sécurité et le nombre des gardes, mais aussi la nature des soins et les rapports entre les équipes de soins et les pensionnaires.

— Qui juge de la dangerosité des arrivants ?

— Nos équipes. Nous combinons des entretiens cliniques, des questionnaires et bien sûr la lecture des dossiers rassemblés par les confrères qui nous les envoient à une nouvelle méthode d’évaluation révolutionnaire importée de mon pays. Tenez, nous avons justement un arrivant qui est évalué en ce moment même. Suivez-moi.

Il les entraîna vers un escalier fait de larges lames de béton ajourées qui vibrèrent sous leurs pas. Parvenus au premier étage, ils se retrouvèrent face à une porte de verre renforcé par un fin maillage métallique.

Cette fois, Xavier dut appliquer sa main sur un palpeur de reconnaissance biométrique en plus du code qu’il pianota sur un petit clavier.

Un écriteau au-dessus de la porte annonçait :

SECTEUR C : DANGEROSITÉ FAIBLE — RÉSERVÉ AUX PERSONNELS DES CATÉGORIES C, B ET A

— C’est le seul accès à cette zone ? demanda Ziegler.

— Non, il y a un deuxième sas au bout du couloir qui permet de passer de cette zone à la suivante, de sécurité moyenne, un sas par conséquent réservé aux seuls personnels habilités aux niveaux B et A.

Il les entraîna le long d’un nouveau couloir. Puis il s’arrêta devant une porte étiquetée « Évaluation », qu’il ouvrit.

Xavier s’effaça pour les laisser passer.

Une pièce sans fenêtres. Si exiguë qu’ils durent se serrer à l’intérieur. Deux personnes étaient assises devant un écran d’ordinateur. Un homme et une femme. L’écran affichait à la fois l’image d’une caméra et plusieurs autres fenêtres où défilaient des diagrammes et des lignes d’informations. La caméra filmait un homme assez jeune assis sur un tabouret dans une seconde pièce aveugle, guère plus grande qu’un placard à balais. Servaz vit que l’homme portait un casque de réalité virtuelle. Puis son regard fut attiré plus bas et il eut un léger tremblement : le pantalon de l’homme était baissé sur ses cuisses et un étrange tube d’où émergeaient des fils électriques était placé autour de son sexe.

— Cette nouvelle méthode d’évaluation des déviances sexuelles repose sur la réalité virtuelle, sur un système de suivi oculomoteur et sur la pléthysmographie pénienne, expliqua le psychiatre. C’est cet appareil que vous voyez au niveau de son sexe : il permet de mesurer la part physiologique de l’excitation en réponse à des stimuli variés, autrement dit son érection. Parallèlement à la réponse érectile, les réponses oculomotrices du sujet sont mesurées à l’aide d’un appareil de suivi à infrarouge, qui détermine les temps d’observation des images qui lui sont proposées dans le casque de réalité virtuelle. Ainsi que l’endroit exact de la scène où se fixe son attention.