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Servaz observa que la jeune gendarme baissait les yeux.

Élisabeth Ferney avait l’air de quelqu’un d’autoritaire et de cassant. Servaz lui donna la quarantaine tout en se disant qu’elle en avait peut-être trente-cinq ou cinquante, car sa blouse ample et son air sévère ne permettaient pas d’en dire plus. Il devina une grande énergie et une volonté de fer. Et si le deuxième homme était une femme ? se demanda-t-il soudain. Puis il se fit la réflexion que cette question était la preuve de son désarroi : si tout le monde devenait suspect, c’est que personne ne l’était. Ils n’avaient aucune piste solide.

— Lisa est l’âme de cet établissement, dit Xavier. Elle le connaît mieux que quiconque — et aucun des aspects thérapeutiques ou pratiques ne lui échappe. Elle connaît aussi chacun des quatre-vingt-huit pensionnaires. Même les psychiatres doivent lui soumettre leur travail.

L’infirmière chef n’esquissa pas le moindre sourire. Puis elle fit un petit signe à Xavier qui s’interrompit aussitôt pour l’écouter. Elle lui murmura quelque chose à l’oreille. Servaz se demanda s’il ne venait pas d’être mis en présence de la personne qui détenait le véritable pouvoir en ces lieux. Xavier lui répondit de la même façon, tandis que, de leur côté, ils attendaient en silence la fin du petit conciliabule. Enfin, elle acquiesça, les salua d’un bref signe de tête et s’éloigna.

— Continuons, dit le psychiatre.

Tandis qu’ils partaient dans le sens opposé, Servaz s’arrêta et fit volte-face pour regarder Lisa Ferney s’éloigner, son dos large tendant sa blouse, ses hauts talons résonnant sur le carrelage. Au bout du couloir, avant de disparaître à l’angle, elle se retourna elle aussi et leurs regards se croisèrent. Servaz crut la voir sourire.

— L’important, dit Xavier, c’est d’éviter toute attitude qui pourrait générer des conflits.

Ils se tenaient devant l’ultime sas, celui qui donnait accès à l’unité A. Plus de laque sur les murs mais des murailles de pierre brute et l’impression de se trouver dans une forteresse médiévale, n’étaient les portes blindées en acier, les néons blafards et le sol en béton.

Xavier leva la tête vers la caméra fixée au-dessus du chambranle. Une lampe à deux diodes passa du rouge au vert et des verrous claquèrent dans l’épaisseur du blindage. Il tira le lourd battant et les invita à entrer dans l’étroit espace ménagé entre les deux portes blindées. Ils attendirent que la première se referme lentement d’elle-même et se verrouille en claquant, puis que les verrous de la seconde se libèrent à leur tour de leur gâche — non moins bruyamment. L’impression d’être dans la salle des machines d’un navire, dans cette obscurité que seule perçait la lumière des hublots. Une odeur de métal. Xavier les considéra un par un avec solennité et Servaz devina qu’il avait son petit gimmick prêt — qu’il devait servir à chaque visiteur franchissant ce sas :

— Bienvenue en enfer, déclara-t-il en souriant.

Une cage vitrée. Un garde à l’intérieur. Un couloir sur leur gauche. Servaz s’avança et vit un couloir blanc, une haute moquette bleue, une rangée de portes percées de hublots à gauche et des appliques murales à droite.

Le garde posa la revue qu’il lisait et sortit de la cage. Xavier lui serra la main avec cérémonie. C’était un balèze frôlant le mètre quatre-vingt-dix.

— Je vous présente M. Monde, dit Xavier. C’est ainsi que nos pensionnaires de l’unité A l’ont surnommé.

M. Monde rit. Il leur serra la main. Une poigne légère comme une plume, comme s’il craignait de leur briser les os.

— Comment sont-ils ce matin ?

— Calmes, dit M. Monde. Ce sera une bonne journée.

— Peut-être pas, dit Xavier en regardant les visiteurs.

— L’important, c’est de ne pas les provoquer, leur expliqua M. Monde, faisant écho aux paroles du psychiatre. De garder ses distances. Il y a une limite à ne pas franchir. Au-delà, ils pourraient se sentir agressés et réagir violemment.

— J’ai bien peur que ces personnes ne soient là pour la franchir, justement, dit Xavier. Elles sont de la police.

Le regard de M. Monde se durcit. Il haussa les épaules et rentra dans sa cage.

— Allons-y, dit Xavier.

Ils avancèrent le long du corridor, le bruit de leurs pas absorbé par la haute moquette bleue. Le psychiatre désigna la première porte.

— Andréas nous vient d’Allemagne. Il a tué son père et sa mère pendant leur sommeil de deux coups de fusil. Puis, comme il avait peur de la solitude, il leur a coupé la tête et les a placées dans le congélateur. Il les sortait tous les soirs pour regarder la télé en leur compagnie — en les posant sur deux mannequins décapités assis avec lui dans le canapé du séjour.

Servaz écoutait attentivement. Il visualisa la scène et tressaillit : il venait de penser à la tête du cheval retrouvée derrière le centre équestre.

— Le jour où le médecin de famille a débarqué pour demander des nouvelles de ses parents, qu’il s’étonnait de ne plus voir à son cabinet, Andréas l’a tué à coups de marteau. Puis il lui a coupé la tête à lui aussi. Il a dit que c’était formidable que ses parents aient de la compagnie, car le docteur était un homme si gentil et avec de la conversation. Bien entendu, la police a enquêté sur la disparition du toubib. Quand elle est venue interroger Andréas et ses parents qui figuraient sur la liste des patients, Andréas a fait entrer les policiers en leur disant : « Ils sont là. » Et effectivement, ils étaient là : dans le congélateur, attendant d’être sortis pour la soirée — trois têtes.

— Charmant, dit Confiant.

— Le problème, poursuivit Xavier, c’est que dans l’hôpital psychiatrique où il a été interné, Andréas a essayé de décapiter une infirmière de nuit. La malheureuse n’est pas morte, mais elle ne pourra plus jamais parler sans l’aide d’un appareil et elle portera toute sa vie des foulards et des cols roulés pour masquer l’horrible cicatrice que le coupe-papier utilisé par Andréas lui a laissée.

Servaz croisa le regard de Ziegler. Il vit que la gendarme pensait la même chose que lui. Voilà quelqu’un qui avait visiblement une vocation de coupeur de têtes. Et dont la cellule se trouvait non loin de celle d’Hirtmann. Il regarda par le hublot. Andréas était un colosse qui devait peser dans les cent cinquante kilos, faire du cinquante-deux de tour de taille et du quarante-six ou du quarante-huit de pointure ; son énorme tête était enfoncée dans ses épaules comme s’il n’avait pas de cou et une expression renfrognée était plaquée sur son visage.

Xavier montra la deuxième porte un peu plus loin.

— Le docteur Jaime Esteban nous vient d’Espagne. Il a tué trois couples en l’espace de deux étés de l’autre côté de la frontière, dans les parcs nationaux d’Ordesa y Monte Perdido et d’Aigüestortes. Auparavant, c’était un citoyen estimé de tous, célibataire mais très respectueux des femmes qu’il recevait dans son cabinet, conseiller municipal de son village, ayant toujours un mot aimable pour chacun.

Il s’approcha du hublot, puis s’écarta et les invita à s’approcher.

— On ne sait toujours pas pourquoi il a fait ça. Il s’en est pris à des randonneurs isolés. Toujours des couples, toujours des jeunes gens. Il fracassait d’abord le crâne des hommes avec une pierre ou un bâton, puis violait et étranglait les femmes avant de jeter leurs corps dans un ravin. Ah oui, et il buvait leur sang. Aujourd’hui, il se prend pour un vampire. Il a mordu dans le cou deux infirmiers dans l’hôpital espagnol où il était placé.