Выбрать главу

La personne tourna sur elle-même puis se décida brusquement et marcha dans sa direction. La panique gagna Diane. Pas longtemps cependant : la personne s’était à nouveau arrêtée et Diane l’entendit faire demi-tour, repartant en sens inverse. Elle en profita pour risquer un regard au-delà de l’angle qui la dissimulait. Ce qu’elle vit ne la rassura pas : une longue cape noire avec une capuche, qui battait dans le dos du visiteur comme une aile de chauve-souris. Une cape de pluie — dont le tissu imperméable et rigide crissait à chaque pas.

Vue de dos, avec ce vêtement trop ample, Diane n’aurait pu dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme… Il y avait cependant dans la façon d’agir de la silhouette quelque chose de dissimulé, de sournois qui lui fit courir comme un doigt froid sur la nuque.

Elle profita de ce que la personne s’éloignait pour sortir de sa cachette mais la pointe de sa botte rencontra un objet métallique, lequel émit un raclement sonore contre le béton. Diane replongea dans l’ombre, le cœur battant. Elle entendit la personne s’immobiliser de nouveau.

— Il y a quelqu’un ?

Un homme… Une voix fluette, haut perchée, mais un homme…

Diane avait l’impression que son cou se gonflait et se dégonflait tant le sang pompé par son cœur affolé puisait dans ses carotides. Une minute passa.

— Il y a quelqu’un ???

La voix avait quelque chose de singulier. Il y avait une nuance de menace en elle, mais aussi une note plaintive, fragile, écorchée. Sans savoir pourquoi, Diane pensa à un chat qui a peur et qui, en même temps, fait le gros dos.

Ce n’était pas une voix qu’elle connaissait, en tout cas.

Le silence lui parut interminable. L’homme ne bougeait pas. Elle non plus. Tout près d’elle, de l’eau tombait goutte à goutte dans une flaque. Le moindre son prenait une résonance perturbante dans cette bulle de silence qu’entourait le bruissement assourdi des feuillages à l’extérieur. Une voiture passa sur la route, mais c’est à peine si elle y prêta attention. Et, tout à coup, elle tressaillit quand l’homme poussa une longue plainte aiguë et rauque qui se répercuta sur les murs comme une balle de squash.

— Salauds, salauds, salauuuuuds ! l’entendit-elle sangloter. Ordures ! Pourritures ! Vous pouvez crever ! Vous cramerez en enfer ! Ouahhhhhhhhhhh !

Diane osait à peine respirer. Elle avait la chair de poule. L’homme éclata en sanglots. Elle entendit le froissement de sa cape de pluie lorsqu’il tomba à genoux sur le sol. Il pleura et gémit un long moment et elle hasarda un nouveau coup d’œil, mais pas moyen de voir son visage sous la capuche. Puis, tout à coup, il se redressa et partit en courant. L’instant d’après, elle entendit la portière de la voiture, le moteur, et le véhicule s’éloigna sur la route. Elle sortit de sa cachette et s’efforça de respirer normalement. Elle ignorait ce qu’elle avait vu et entendu. Est-ce que cet homme venait souvent ici ? S’était-il passé quelque chose dans ces lieux qui expliquait son comportement ? Un comportement qu’elle se serait plutôt attendue à trouver à l’Institut.

En tout cas, il lui avait flanqué une trouille de tous les diables. Elle décida de rentrer et de se préparer quelque chose de chaud dans la kitchenette mise à la disposition du personnel. Cela lui calmerait les nerfs. Lorsqu’elle sortit des bâtiments, le vent avait encore fraîchi et elle se mit à trembler violemment. Elle savait que ce n’était pas uniquement à cause du froid.

Servaz se rendit directement à la mairie. Une grande place rectangulaire le long de la rivière. Un square avec un kiosque à musique, des terrasses de cafés et, au beau milieu, les drapeaux français et européen pendant mollement à un balcon. Servaz se gara sur un petit parking entre le square et la rivière, qui coulait, large, turbulente et claire, en contrebas d’un mur de béton.

Il contourna les parterres de fleurs, puis se faufila entre les voitures garées devant les terrasses avant de pénétrer dans la mairie. Au premier étage, il apprit que le maire n’était pas là et qu’il se trouvait sans doute à l’usine d’embouteillage d’eau minérale qu’il dirigeait. La secrétaire fit quelques difficultés pour lui donner son téléphone portable et, lorsque Servaz composa le numéro, il tomba sur un répondeur. Il se rendit compte qu’il avait faim, consulta encore une fois sa montre. 15 h 29. Ils avaient passé plus de cinq heures à l’Institut.

En ressortant de la mairie, il s’assit à la première terrasse venue, face au square. De l’autre côté de la rue, des adolescents rentraient du collège, cartable sur le dos ; d’autres passaient sur des deux-roues au pot d’échappement assourdissant.

Un serveur se présenta. Servaz leva la tête. Grand, brun, un type proche de la trentaine qui devait plaire aux femmes avec son début de barbe et ses yeux bruns. Servaz commanda une pression et une omelette.

— Il y a longtemps que vous êtes dans le coin ? demanda-t-il ensuite.

Le serveur le regarda avec défiance. Une défiance amusée. Servaz comprit soudain qu’il se demandait s’il était en train de se faire draguer. Cela avait déjà dû lui arriver.

— Je suis né à vingt kilomètres d’ici, répondit-il.

— Les suicidés, ça vous dit quelque chose ?

Cette fois, la défiance l’emporta sur l’amusement.

— Vous êtes qui ? Un journaliste ?

Servaz exhiba sa plaque.

— Brigade criminelle. J’enquête sur le meurtre du pharmacien Grimm. Vous avez dû en entendre parler ?

Le serveur hocha la tête prudemment.

— Alors ? Les suicidés, ça vous dit quelque chose ?

— Comme à tout le monde ici.

À ces mots, Servaz ressentit un brusque coup d’aiguillon qui le fit se redresser sur son siège.

— C’est-à-dire ?

— C’est une vieille histoire, je ne sais pas grand-chose.

— Dites-moi le peu que vous savez.

L’embarras se peignait de plus en plus sur les traits du serveur qui parcourut la terrasse des yeux en se balançant d’un pied sur l’autre.

— Ça s’est passé il y a longtemps…

— Quand ?

— Il y a une quinzaine d’années.

— « Ça s’est passé »… Qu’est-ce qui s’est passé ?

Le serveur lui jeta un regard étonné.

— Eh bien… la vague de suicides.

Servaz le regarda sans comprendre.

— Quelle vague de suicides ? dit-il, agacé. Expliquez-vous, bon Dieu !

— Plusieurs suicides… Des adolescents… Des garçons et des filles, entre quatorze et dix-huit ans, je crois.

— Ici, à Saint-Martin ?

— Oui. Et dans les villages de la vallée.

— Plusieurs suicides ? Combien ?

— Ce qu’j’en sais, moi. J’avais onze ans à l’époque ! Peut-être cinq. Ou bien six. Ou sept. Moins de dix, en tout cas.

— Et ils se sont tous donné la mort en même temps ? demanda Servaz, stupéfait.

— Non. Mais rapprochés. Ça a quand même duré quelques mois.