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Soudain, après un large virage, Servaz vit le départ de la piste que lui avait indiquée la veuve dans la lueur de ses phares. Il ralentit et engagea la Jeep sur la sente forestière. Secoué par les cahots, il se cramponna à son volant en roulant à quinze kilomètres heure. La nuit était tombée et les arbres noirs se profilaient sur un ciel à peine plus clair. Il parcourut encore quelques centaines de mètres, puis le chalet ou la cabane apparut.

Servaz coupa le moteur, laissa les phares allumés et descendit. Aussitôt, le bruit de la rivière toute proche emplit l’obscurité. Il regarda autour de lui, mais il n’y avait pas la moindre lumière à des kilomètres à la ronde.

Il marcha jusqu’à la cabane dans l’incendie de ses phares qui embrasaient les arbres et projetaient son ombre devant lui comme si un géant fait de ténèbres le précédait. Puis il grimpa les marches de la véranda et sortit le trousseau de clefs. Il y avait bien trois serrures — la serrure centrale correspondant à la plus grosse des clefs et deux plus petites, au-dessus et en dessous. Il lui fallut un moment pour trouver quelle clef allait où, d’autant plus que les deux petites avaient la même taille et que le verrou du haut avait été fixé à l’envers. Puis il poussa la porte, qui résista avant de céder en couinant. Servaz chercha l’interrupteur à tâtons près du chambranle. Il le trouva à gauche. Il l’actionna et la lumière jaillit du plafonnier.

Pendant quelques secondes, il demeura immobile sur le seuil, paralysé par ce qu’il voyait.

L’intérieur de la cabane se réduisait à un comptoir sur la droite avec peut-être une kitchenette derrière, une banquette-lit dans le fond, une table en bois et deux chaises droit devant lui. Mais sur le mur de gauche était suspendue une cape de pluie taillée dans un tissu imperméable noir. Il s’était rapproché du cœur…

Espérandieu ouvrit sa messagerie instantanée. Il attendit trois minutes avant qu’un message accompagné d’une icône représentant un chien de dessin animé reniflant une piste ne surgisse dans le coin inférieur droit de son écran :

kleim162 vient de se connecter

Une fenêtre de dialogue accompagnée de la même icône s’ouvrit trois secondes plus tard.

Kleim162 dit :

pourquoi tu t’intéresses à Éric lombard ?

vince.esp dit :

désolé peux pas en parler pour le moment

kleim162 dit :

je viens de fouiner un peu avant de me connecter. On a tué son cheval. L’information est reprise par plusieurs journaux. Ça a un rapport ??

vince.esp dit :

no comment

kleim162 dit :

vince tu es à la brigade criminelle. Ne me dis pas qu’on vous a chargés d’enquêter sur la mort d’un cheval !!!!!

vince.esp dit :

tu peux m’aider ou pas ???

kleim162 dit :

je gagne quoi dans l’affaire ?

vince.esp dit :

l’affection d’un ami

kleim162 dit :

pour les câlins on verra une autrefois. Et à part ça ?

vince.esp dit :

tu seras le premier informé des résultats de l’enquête

kleim162 dit :

donc il y a enquête. C’est tout ?

vince.esp dit :

le premier informé si cette affaire cache qqchose de plus important

kleim162 dit :

OK je cherche

Espérandieu referma sa messagerie en souriant.

« Kleim162 » était le pseudo cybernétique d’un journaliste d’investigation travaillant en free lance pour plusieurs grands hebdomadaires. Un vrai fouineur. Qui adorait mettre le nez là où on ne l’avait pas invité. Espérandieu avait fait sa connaissance dans des circonstances un peu particulières et il n’avait jamais parlé de ce « contact » à quiconque — pas même à Martin. Officiellement, il était comme les autres membres de la brigade : il se défiait de la presse. Mais il estimait secrètement que, comme les hommes politiques, les flics gagnent beaucoup à avoir un ou plusieurs journalistes dans leur manche.

Assis au volant de sa Jeep, Servaz composa le numéro du portable de Ziegler. Il tomba sur son répondeur et il raccrocha. Il composa ensuite celui d’Espérandieu.

— J’ai trouvé une photo chez Grimm, dit-il. J’aimerais que tu la retravailles.

La brigade disposait d’un logiciel de traitement d’images, Espérandieu et Samira étaient les seuls à savoir s’en servir.

— Quel genre de photo ? Numérique ou argentique ?

— Papier. Un vieux cliché. On y voit un groupe d’hommes. L’un d’eux est Grimm, un autre est Chaperon, le maire de Saint-Martin. On dirait que tous ces hommes portent la même chevalière. C’est un peu flou, mais il y a quelque chose de gravé dessus. J’aimerais que tu essaies de voir ce que c’est.

— Tu crois qu’il s’agit d’un genre de club, style Rotary ou francs-maçons ?

— Je ne sais pas mais…

— … l’annulaire coupé…, se souvint brusquement son adjoint.

— Exactement.

— D’accord, tu peux la scanner et me l’envoyer depuis la gendarmerie ? Je regarde ça. Mais le logiciel est surtout fait pour traiter des photos numériques. Il est moins performant avec de vieilles photos scannées.

Servaz le remercia. Il allait démarrer lorsque le téléphone sonna. C’était Ziegler.

— Vous m’avez appelée ?

— J’ai trouvé quelque chose, dit-il d’emblée. Dans une cabane appartenant à Grimm.

— Une cabane ??

— C’est la veuve qui m’en a parlé. J’ai trouvé les clefs dans le bureau de Grimm. Visiblement, elle n’y a jamais mis les pieds. Il faut que vous voyiez ça…

— Que voulez-vous dire ?

— Une cape… Semblable à celle qui se trouvait sur le cadavre de Grimm. Et des bottes. Il est tard, je vais verrouiller la porte et donner les clefs à Maillard. Je veux qu’une équipe de l’identité judiciaire passe l’endroit au peigne fin demain matin à la première heure.