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— Vous avez une piste ?

— Pas la moindre.

— Et les deux vigiles ?

Tiens, il avait quand même pris la peine de lire les rapports. Sans doute en vitesse, juste avant d’appeler — à la manière d’un collégien qui bâcle ses devoirs avant d’entrer en classe.

— Ça n’est pas eux.

— Comment pouvez-vous en être si sûr ?

Parce que je passe mon temps au milieu des victimes et des assassins pendant que tu restes assis le cul sur ta chaise, songea-t-il.

— Ils n’ont pas le profil. Maintenant, si vous voulez vous en assurer par vous-même, je vous invite à descendre jusqu’ici et à vous joindre à nous.

— Allons, commandant, du calme. Personne ne met en doute votre compétence, tempéra son interlocuteur. Menez l’enquête à votre convenance, mais ne perdez pas de vue que nous voulons savoir qui a tué ce cheval.

Le message était clair : on pouvait toujours assassiner un pharmacien et le pendre à poil sous un pont, mais on ne pouvait pas décapiter le cheval d’un des hommes les plus puissants de France.

— Très bien, dit Servaz.

— À bientôt, commandant, dit l’homme avant de raccrocher.

Servaz l’imagina derrière son bureau, souriant de son ascendant sur les petits commis de province, un beau costume et une jolie cravate, une eau de toilette de prix, rédigeant quelque note sans réelle importance mais pleine de mots ronflants puis allant gaiement soulager sa vessie et s’admirer dans la glace avant de descendre refaire le monde à la cantine en compagnie de ses semblables.

— Une belle cérémonie et un bel endroit, dit quelqu’un à côté de lui.

Il tourna la tête. Gabriel Saint-Cyr lui souriait. Servaz serra la main que l’ex-magistrat lui présentait. Une poignée de main franche et sans chichi ni tentative d’intimidation, à l’image du bonhomme.

— J’étais justement en train de me dire que c’était un bel endroit pour y passer l’éternité, dit Servaz en souriant.

Le juge à la retraite l’approuva d’un hochement de tête.

— C’est précisément ce que j’ai l’intention de faire. Il est probable que je vous précéderai mais si le cœur vous en dit, je suis sûr que vous ferez un mort de bonne compagnie : ma place est là-bas.

Saint-Cyr montrait du doigt un coin du cimetière. Servaz éclata de rire et alluma une cigarette.

— Comment le savez-vous ?

— Quoi donc ?

— Que je ferai un mort de bonne compagnie.

— À mon âge et avec mon expérience, on se fait vite une idée des gens.

— Et on ne se trompe jamais ?

— Rarement. Et puis, j’ai confiance dans le jugement de Catherine.

— Elle ne vous a pas demandé votre signe ?

Ce fut au tour de Saint-Cyr de rire.

— Du zodiaque ? C’est la première chose qu’elle a faite quand on a été présentés ! Ma famille a un caveau ici, ajouta-t-il. J’ai acheté il y a trois ans une concession à l’autre bout du cimetière, le plus loin possible.

— Pourquoi ?

— Devoir subir pour l’éternité certains voisinages me terrorisait.

— Grimm, vous le connaissiez ? demanda Servaz.

— On a décidé de recourir a mes services ?

— Peut-être.

— Un type très secret. Vous devriez demander à Chaperon, dit Saint-Cyr en montrant le maire qui s’éloignait. Ils se connaissaient bien.

Servaz se remémora les paroles d’Hirtmann.

— C’est ce qu’il m’a semblé, dit-il. Grimm, Chaperon et Perrault, c’est ça ? La partie de poker du samedi soir…

— Oui. Et Mourrenx. Le même quatuor depuis quarante ans. Inséparables depuis le lycée…

Servaz pensa à la photo dans la poche de sa veste. Il la montra au juge.

— Ce sont eux ?

Gabriel Saint-Cyr sortit une paire de lunettes et les chaussa avant de se pencher sur le cliché. Servaz remarqua que son index était déformé par l’arthrose et qu’il tremblait lorsqu’il le pointa sur les quatre hommes : Parkinson.

— Oui. Là, c’est Grimm… Et là, Chaperon…

Le doigt se déplaça.

— Celui-là, c’est Perrault. (Le grand type maigre à l’épaisse tignasse et aux grosses lunettes.) Il tient un commerce d’équipement sportif à Saint-Martin. Il est aussi guide de haute montagne.

Son doigt glissa ensuite vers le colosse barbu qui tendait sa gourde vers l’objectif en riant dans la lumière de l’automne.

— Gilbert Mourrenx. Il travaillait à l’usine de cellulose de Saint-Gaudens. Mort d’un cancer à l’estomac il y a deux ans.

— Vous dites que ces quatre-là étaient inséparables ?

— En effet, répondit Saint-Cyr en rangeant ses lunettes. Inséparables, oui… on peut dire ça…

Servaz fixa le juge. Quelque chose dans la voix de Saint-Cyr… Le vieux juge ne le quittait pas des yeux. L’air de rien, il était en train de lui faire passer un message.

— Il y a eu… des histoires les concernant ?

Le regard du retraité avait la même intensité que celui de Servaz. Celui-ci retint sa respiration.

— Plutôt des rumeurs… Et une fois, il y a une trentaine d’années, une plainte… Déposée par une famille de Saint-Martin. Une famille modeste : père ouvrier à la centrale, mère au chômage.

La centrale : les sens de Servaz furent aussitôt en éveil.

— Une plainte contre eux ?

— Oui. Pour chantage. Quelque chose comme ça… (Le vieux juge fronça les sourcils, essayant de rassembler ses souvenirs.) Si ma mémoire est bonne, des Polaroid avaient été pris. De la fille de ces pauvres gens, une gamine de dix-sept ans. Des clichés où elle était nue et visiblement ivre. Et, sur l’une des photos, elle était… avec plusieurs hommes, je crois. Apparemment, les jeunes gens menaçaient de faire circuler les photos si la gamine ne leur faisait pas certaines choses… À eux et à leurs copains. Mais les nerfs ont fini par craquer et elle a tout dit à ses parents.

— Et qu’est-ce qui s’est passé ensuite ?

— Rien. Les parents ont retiré leur plainte avant même que les gendarmes aient pu interroger les quatre jeunes gens. Un arrangement a sans doute été trouvé en douce : pas de plainte et en échange plus de chantage. Les parents n’avaient sans doute pas très envie que ces clichés circulent…

Servaz fronça les sourcils.

— C’est bizarre. Maillard ne m’en a pas parlé.

— Il est probable qu’il n’ait jamais entendu parler de cette histoire. Il n’était pas encore en poste.

— Mais vous si.

— Oui.

— Et vous y avez cru ?

Saint-Cyr afficha une moue dubitative.

— Vous êtes flic : vous savez comme moi que tout le monde a des secrets. Et qu’ils sont généralement peu reluisants. Pourquoi cette famille aurait-elle menti ?

— Pour extorquer de l’argent aux familles des quatre jeunes.

— Pour que la réputation de leur fille soit salie à jamais ? Non. Je connaissais le père : il avait fait quelques travaux chez moi du temps où il était au chômage. Un type droit, de la vieille école. Je dirais que ce n’était pas le genre de la maison.

Servaz repensa à la cabane et à ce qu’il avait découvert dedans.

— Vous venez de le dire : tout le monde a des secrets.