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Saint-Cyr le regarda avec attention.

— Oui. Quel est le vôtre, commandant ?

Servaz lui servit son sourire de lapin énigmatique.

— Les suicidés, enchaîna-t-il. Ça vous dit quelque chose ?

Cette fois, il lut une authentique surprise dans les yeux du juge.

— Qui vous a parlé de ça ?

— Vous ne me croiriez pas si je vous le disais.

— Dites toujours.

— Julian Hirtmann.

Gabriel Saint-Cyr le dévisagea longuement. Il avait l’air perplexe.

— Vous êtes sérieux ?

— Absolument.

Pendant une demi-seconde, le vieux juge resta muet.

— Vous faites quoi ce soir aux alentours de vingt heures ? demanda-t-il.

— Je n’ai rien de prévu.

— Eh bien, dans ce cas, venez dîner. À en croire mes invités, je suis un vrai cordon-bleu. 6, impasse du Torrent. Vous ne pouvez pas vous tromper : c’est un moulin, tout au bout de la rue, juste avant la forêt. À ce soir.

— J’espère que tout va bien, dit Servaz.

Chaperon se retourna avec un geste d’embarras. Il avait déjà la main sur la portière de sa voiture. Il avait l’air tendu et préoccupé. En voyant Servaz, son visage s’empourpra.

— Pourquoi me demandez-vous ça ?

— J’ai essayé de vous joindre toute la journée d’hier, répondit Servaz avec un sourire amical. En vain.

Pendant une fraction de seconde, le maire de Saint-Martin eut l’air contrarié. Il essayait visiblement de conserver son sang-froid, mais sans y parvenir tout à fait.

— La mort de Gilles m’a secoué. Ce meurtre horrible… Cet acharnement… C’est terrible… J’avais besoin de faire une pause, d’être seul. Je suis parti marcher dans la montagne.

— Seul dans la montagne ? Et vous n’avez pas eu peur ?

La question fit tressaillir le maire.

— Pourquoi devrais-je avoir peur ?

En dévisageant le petit homme bronzé, Servaz eut la certitude que non seulement celui-ci avait peur, mais qu’il était littéralement terrifié. Il se demanda s’il devait lui parler des suicidés maintenant, mais il décida que mieux valait éviter d’abattre toutes ses cartes en même temps. À l’issue du dîner chez Saint-Cyr, ce soir, il en saurait davantage. Il sortit néanmoins le cliché de sa poche.

— Cette photo, elle vous dit quelque chose ?

— Où avez-vous trouvé ça ?

— Chez Grimm.

— Une vieille photo, commenta Chaperon en évitant son regard.

— Oui, octobre 1993, précisa Servaz.

Chaperon fit un geste de la main droite, comme pour signifier que ces temps-là étaient très loin. Pendant un court instant, sa main hâlée, au dos piqué de petites taches brunes, flotta devant les yeux de Servaz. La surprise pétrifia le flic. Le maire ne portait plus la chevalière, mais il l’avait ôtée récemment : une étroite bande de peau plus claire faisait le tour de l’annulaire.

L’espace d’une seconde, Servaz fut assailli par une tonne de questions.

On avait coupé le doigt de Grimm, Chaperon avait retiré sa chevalière, cette chevalière que portaient les quatre hommes sur la photo. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Le tueur, visiblement, le savait. Les deux autres personnages de la photo avaient-ils un lien, eux aussi, avec la mort du pharmacien ? Si oui, comment Hirtmann était-il au courant ?

— Vous les connaissiez bien ? demanda Servaz.

— Oui, assez. Même si, avec Perrault, on se voyait davantage à cette époque qu’aujourd’hui.

— C’étaient aussi vos partenaires de poker.

— Oui. Et de randonnée. Mais je ne vois pas ce que…

— Merci, le coupa Servaz. Je n’ai pas d’autres questions pour le moment.

— Qui est-ce ? demanda Ziegler dans la voiture en désignant l’homme qui se dirigeait à petits pas vers une Peugeot 405 presque aussi fatiguée que lui.

— Gabriel Saint-Cyr, juge d’instruction honoraire à la retraite. Je l’ai croisé hier matin au palais.

— De quoi avez-vous parlé ?

— De Grimm, Chaperon, Perrault et un dénommé Mourrenx.

— Les trois joueurs de poker… Et Mourrenx, c’est qui ?

— Le quatrième membre de la bande. Mort il y a deux ans. Cancer. D’après Saint-Cyr, ils ont fait l’objet d’une plainte pour chantage il y a trente ans. Ils ont saoulé une fille, puis ils l’ont photographiée nue. Ensuite, ils l’ont menacée de faire circuler les photos si…

— … si elle ne faisait pas certaines choses…

— Exact.

Servaz remarqua une lueur fugace dans les yeux de Ziegler.

— Ça pourrait être une piste, dit-elle.

— Quel rapport avec le cheval de Lombard ? et avec Hirtmann ?

— Je ne sais pas.

— C’était il y a trente ans. Quatre jeunes gens ivres et une fille qui l’était aussi. Et après ? Ils étaient jeunes, ils ont fait une connerie. Où ça nous mène ?

— Ce n’est peut-être que la partie émergée de l’iceberg.

Servaz la regarda.

— Comment ça ?

— Eh bien, il y a peut-être eu d’autres « conneries » du même genre. Peut-être qu’ils n’en sont pas restés là. Et l’une d’elles a peut-être mal fini.

— Ça fait beaucoup de « peut-être », observa Servaz. Il y a autre chose : Chaperon a retiré sa chevalière.

— Quoi ?

Servaz lui décrivit ce qu’il venait de voir. Ziegler fronça les sourcils.

— Qu’est-ce que ça veut dire, d’après vous ?

— Aucune idée. En attendant, j’ai quand même quelque chose à vous montrer.

— La cabane ?

— Oui. On y va ?

À 5 heures, la sonnerie du réveil avait retenti sur la table de nuit et Diane s’était traînée en frissonnant jusqu’à la salle d’eau. Comme les autres matins, la douche commença par un jet brûlant avant de s’achever par un filet d’eau froide et Diane s’empressa de se sécher et de s’habiller. Elle passa l’heure suivante à réviser ses notes avant de descendre à la cafétéria du rez-de-chaussée.

La cafétéria était déserte, il n’y avait même pas un employé. Elle avait toutefois repéré le percolateur à dosettes et elle passa derrière le comptoir pour se préparer un espresso. Elle reprit la lecture de ses notes jusqu’au moment où elle entendit des pas dans le couloir. Le Dr Xavier entra dans la salle, lui adressa un petit signe de tête puis passa à son tour derrière le comptoir pour se faire un café. Après quoi, sa tasse à la main, il se dirigea vers elle.

— Bonjour, Diane. Vous êtes matinale.

— Bonjour, monsieur. Une vieille habitude…

Elle remarqua qu’il avait l’air de bonne humeur. Il plongea ses lèvres dans son café en la regardant sans cesser de sourire.

— Vous êtes prête, Diane ? J’ai une bonne nouvelle. Ce matin, on va rendre visite aux pensionnaires de l’unité A.

Elle s’efforça de dissimuler son excitation et de garder un ton professionnel.

— Très bien, monsieur.

— Je vous en prie, appelez-moi Francis.

— Très bien, Francis.

— J’espère que je ne vous ai pas trop effrayée la dernière fois. Je voulais simplement vous mettre en garde. Vous allez voir, ça va très bien se passer.

— Je me sens tout à fait prête.

Il lui jeta un regard qui indiquait clairement qu’il en doutait.