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Il se releva et examina un par un tous les cahiers et les tiroirs d’Alice. Rien d’autre que des écrits scolaires. Il jeta un coup d’œil aux dissertations. 18/20, 17/20, 15/20, 19/20… Les appréciations étaient aussi élogieuses que les notes… Mais toujours pas d’écrits personnels.

Le père d’Alice avait-il fait le ménage ?

Il avait spontanément accueilli Servaz, il lui avait dit être convaincu que les enfants avaient mis fin à leurs jours pour une raison précise. Pourquoi aurait-il caché des éléments qui auraient pu aider à découvrir la vérité ? Servaz n’avait trouvé aucune mention d’un quelconque journal dans les rapports officiels. Rien n’indiquait qu’Alice en ait tenu un. Malgré tout, l’impression était plus forte que jamais : dans cette chambre, quelque chose manquait.

Une cachette… Toutes les jeunes filles en avaient une, non ? Où était celle d’Alice ?

Servaz se leva et ouvrit la penderie. Des manteaux, des robes, des blousons, des jeans et un kimono blanc avec une ceinture marron suspendus à des cintres. Il les écarta, fit les poches. Une rangée de chaussures et de bottes dans le fond, Servaz en scruta l’intérieur dans le faisceau de sa petite lampe électrique. Au-dessus des cintres, une étagère avec plusieurs valises et un sac à dos. Il les posa sur la moquette en libérant une véritable tornade pulvérulente et les fouilla méthodiquement.

Rien… Il réfléchit…

Cette chambre avait dû être épluchée par des enquêteurs chevronnés — et peut-être par les parents d’Alice eux-mêmes. Se pouvait-il qu’ils n’aient pas trouvé la cachette s’il y en avait une ? L’avaient-ils seulement cherchée ? De l’avis de tous, Alice était une fille brillante. Avait-elle découvert une planque insoupçonnable ? Ou bien était-il en train de faire fausse route ?

Que savait-il de ce que pensait et rêvait une jeune fille de seize ans ? Sa propre fille avait eu dix-sept ans quelques mois plus tôt et il aurait été incapable de dire à quoi ressemblait sa chambre. Pour la simple raison qu’il n’y avait jamais mis les pieds. À cette pensée, il se sentit mal à l’aise. À la périphérie de son cerveau, un détail le chatouillait, comme une démangeaison. Il avait loupé quelque chose dans son exploration de la chambre. Ou plutôt quelque chose aurait dû s’y trouver, qui ne s’y trouvait pas. Réfléchis ! C’était là, tout près, il le sentait. Son instinct lui soufflait que quelque chose manquait. Quoi ? Quoi ? Son regard fit de nouveau le tour de la chambre. Il passa toutes les possibilités en revue. Il avait tout examiné, même les plinthes et les lames du parquet sous la moquette blanche. Il n’y avait rien. Pourtant, son inconscient avait décelé quelque chose, il en était sûr — même s’il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

Il éternua à cause de toute la poussière qui flottait dans l’air, sortit un mouchoir.

Soudain, Servaz repensa au téléphone.

Pas d’appel ! Une heure écoulée et pas d’appel ! Il sentit son estomac se nouer. Bon sang, qu’est-ce qu’il foutait ? Pourquoi n’appelait-il pas ?

Servaz sortit son téléphone de sa poche et le regarda. Il réprima un mouvement de panique : l’appareil était éteint ! Il essaya de l’allumer : déchargé ! Merde !

Il se précipita hors de la chambre et se rua dans l’escalier, dévalant bruyamment les marches. Gaspard Ferrand sortit la tête par la porte de la cuisine lorsqu’il passa en courant dans le couloir.

— Je reviens ! lança-t-il en ouvrant la porte de la rue à la volée.

Dehors, la tempête faisait rage. Le vent avait forci. La chaussée était blanche et les flocons tourbillonnaient.

Il se dépêcha de déverrouiller la Jeep garée de l’autre côté de la rue, fouilla dans la boîte à gants pour récupérer le chargeur. Puis il revint au pas de course vers la maison.

— Ce n’est rien ! dit-il à un Ferrand abasourdi.

Il chercha des yeux une prise, en trouva une dans le couloir et brancha l’adaptateur.

Il attendit cinq secondes et alluma le portable. Quatre messages !

Il allait lire le premier lorsque la sonnerie retentit.

— Servaz ! cria-t-il.

— Qu’est-ce que vous foutiez, merde ?

Une voix totalement paniquée ; Servaz l’était à peine moins. Ses oreilles bourdonnaient à cause du sang qui battait à ses tempes. L’homme ne dissimulait pas sa voix, cette fois — mais elle ne lui était pas familière.

— Qui êtes-vous ?

— Je m’appelle Serge Perrault, je suis un ami de…

Perrault !

— Je sais qui vous êtes ! le coupa-t-il.

Il y eut un bref silence.

— Il faut que je vous parle, tout de suite ! lança Perrault.

La voix était hystérique.

— Où ça ? gueula Servaz. Où ?

— En haut des œufs, dans un quart d’heure. Faites vite !

Servaz sentit la panique s’emparer de lui.

— En haut des quoi ??

— Des télécabines, merde ! Là-haut, à Saint-Martin 2000, près des remonte-pentes ! J’y serai. Magnez-vous, bordel ! Vous ne comprenez donc pas : c’est mon tour ! Venez seul !

19

Le ciel était sombre et les rues blanches lorsque Servaz mit le contact. Dehors, la neige continuait de tourbillonner. Il mit en route les essuie-glaces. Puis il joignit Ziegler sur son portable.

— Où es-tu ? demanda-t-il dès qu’elle eut décroché.

— Chez les parents, répondit-elle en baissant la voix — et il comprit qu’elle n’était pas seule.

— Où ça ?

— À la sortie de la ville, pourquoi ?

En quelques mots, il lui résuma l’appel au secours de Perrault.

— Tu es plus près que moi, conclut-il. Fonce là-bas ! Il n’y a pas une minute à perdre ! Il nous attend là-haut.

— Pourquoi ne pas avertir la gendarmerie ?

— Pas le temps ! Fonce !

Servaz raccrocha. Il rabattit le pare-soleil marqué « POLICE », colla le gyrophare aimanté sur le toit et mit la sirène. Combien de temps pour monter là-haut ? Gaspard Ferrand n’habitait pas à Saint-Martin, mais dans un village à cinq kilomètres. Les rues étaient pleines de neige. Servaz compta un bon quart d’heure pour parvenir au parking des télécabines, en plein centre-ville. Combien de minutes les cabines mettaient-elles pour effectuer le trajet ? Quinze ? Vingt ?

Il démarra sur les chapeaux de roues, sirène hurlante, devant un Ferrand stupéfait debout sur le pas de sa porte. Il y avait un feu au bout de la rue. Il était rouge. Il avait l’intention de le griller lorsqu’il vit surgir sur sa droite la silhouette d’un énorme camion. Il écrasa la pédale de frein. Sentit aussitôt qu’il perdait le contrôle. La Jeep se mit en travers en plein milieu du carrefour ; le mastodonte d’acier la frôla en faisant barrir son avertisseur. Le mugissement déchira les tympans de Servaz en même temps que la peur le heurtait comme un coup de poing au plexus. Il en eut le souffle coupé. Ses jointures étaient blanches sur le volant. Puis il passa la première et repartit. Pas le temps de réfléchir ! Après tout, cela valait peut-être mieux. Ce n’étaient pas seulement trente-huit tonnes d’acier qui venaient de le frôler : c’était la mort dans une coque de métal !