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Au carrefour suivant, il vira à droite et sortit du village. La plaine s’étendait, blanche, devant lui ; le ciel était toujours aussi menaçant mais il avait cessé de neiger. Il accéléra.

Il entra à Saint-Martin par l’est. Au premier rond-point, il se trompa de direction. Il fit demi-tour en pestant et en frappant le volant, s’attirant des regards incrédules de la part des autres conducteurs. Heureusement, il y avait peu de circulation. Deux nouveaux ronds-points. Il passa devant une église et se retrouva avenue d’Étigny, le cœur commercial et culturel de la ville avec ses hôtels, ses boutiques chic, ses platanes, son cinéma et ses terrasses de cafés. Des voitures garées des deux côtés. La neige se changeait en boue noirâtre au milieu, dans les ornières laissées par des dizaines de véhicules. Juste avant le cinéma, il vira à droite. Une flèche marquée : « TÉLÉCABINES ».

Le grand parking au bout de la rue. Une vaste esplanade dominée par la montagne. Face à lui, son flanc se dressait jusqu’au ciel et la longue tranchée blanche des télécabines montait au milieu des sapins. Il roula à toute vitesse entre les rangées de voitures jusqu’à la gare inférieure et freina brutalement, dérapant de nouveau. L’instant d’après, il était dehors en train de courir puis gravissait les marches du bâtiment posé sur deux gros piliers en béton, se précipitant vers les guichets. Un couple achetait des billets. Servaz brandit sa carte.

— Police ! Combien de temps il faut pour monter là-haut ?

L’homme derrière la vitre lui jeta un regard réprobateur.

— Neuf minutes.

— Il y a moyen d’accélérer un peu ?

L’homme le fixa comme si sa demande était insensée.

— Pour quoi faire ? dit-il.

Servaz s’efforça de garder son calme.

— J’ai pas le temps de discuter avec un petit malin dans ton genre. Alors ?

— La vitesse maximale de l’installation est de cinq mètres par seconde, dit l’homme en se renfrognant. Dix-huit kilomètres à l’heure.

— Alors, vas-y, vitesse maxi ! lança Servaz en sautant dans une cabine, une coque en matériau composite avec de grandes vitres de Plexiglas et quatre sièges minuscules.

Un bras pivotant referma la porte sur lui. Servaz avala sa salive. La cabine tangua un peu en quittant le rail de guidage et se retrouva dans les airs. Il jugea préférable de s’asseoir plutôt que de rester debout dans cette coquille instable qui s’élevait rapidement vers le premier pylône, laissant les toits blancs de Saint-Martin en dessous d’elle. Servaz jeta un bref coup d’œil derrière lui et, comme dans l’hélicoptère, il le regretta immédiatement. L’inclinaison du câble était telle qu’elle lui apparut comme une de ces audaces dont les hommes sont coutumiers et qui témoignent de leur irresponsabilité ; quant à son diamètre, il était beaucoup trop petit pour le rassurer. Les toits et les rues rapetissaient rapidement. Les cabines qui le précédaient étaient séparées les unes des autres par une trentaine de mètres et elles se balançaient sous l’effet du vent.

Il vit qu’en bas le couple avait renoncé à monter et qu’il retournait à sa voiture. Il était seul. Personne ne montait, personne ne descendait. Les cabines étaient vides. Tout était silencieux, hormis le vent qui gémissait de plus en plus fort.

Il s’était remis à neiger. Subitement, le brouillard apparut à mi-pente et, avant même d’avoir compris ce qui se passait, Servaz se retrouva plongé dans un univers irréel, aux contours imprécis, avec pour seule compagnie les sapins dressés dans la brume comme une armée de revenants et le blizzard qui faisait virevolter les flocons autour de la cabine.

Il avait oublié son arme ! Dans sa précipitation, il l’avait laissée dans sa boîte à gants. Que se passerait-il s’il se retrouvait nez à nez avec le tueur, là-haut ? Sans compter que si le tueur l’attendait en haut des télécabines et qu’il était armé, Servaz offrirait une cible parfaite. Aucun endroit où se cacher. Ce n’était pas cette coque de plastique qui allait arrêter les balles.

Il se surprit à prier pour que Ziegler l’eût devancé. Normalement, elle devait être devant. Elle n’est pas du genre à oublier son calibre. Comment allait réagir Perrault en la voyant ? Il avait demandé à Servaz de venir seul.

Il aurait dû demander au petit malin du guichet s’il l’avait vue. Trop tard. Il avançait dans l’inconnu au rythme exaspérant de cinq mètres par seconde. Il sortit son portable et composa le numéro de Perrault. Il tomba sur le répondeur.

Merde ! Pourquoi a-t-il coupé son portable ?

Il aperçut deux silhouettes sombres qui descendaient dans une cabine à environ deux cents mètres en amont. C’était la première présence humaine depuis qu’il avait quitté la gare en bas. Il composa le numéro de Ziegler.

— Ziegler.

— Tu es là-haut ? demanda-t-il.

— Non, je suis en route. (Elle marqua un temps d’arrêt.) Je suis désolée, Martin, mais ma moto a dérapé sur la neige et je me suis pris un trottoir. Rien que des égratignures, mais j’ai dû emprunter un autre véhicule. Où es-tu ?

Merde !

— À peu près à mi-parcours.

À mesure qu’elle se rapprochait, la cabine avec les deux occupants à son bord semblait avancer de plus en plus rapidement. Servaz se fit la réflexion que si les deux cabines avançaient l’une vers l’autre à dix-huit kilomètres heure, cela équivalait à une vitesse totale de… trente-six kilomètres heure.

— Tu sais que c’est la tempête à la station ?

— Non, dit-il. Je l’ignorais. Perrault ne répond pas…

— Tu es armé ?

Même à cette distance, il voyait que l’un des occupants l’observait fixement — tout comme il les regardait.

— J’ai oublié mon arme dans la voiture.

Le silence qui suivit lui parut accablant.

— Sois prud…

Coupé ! Il regarda son portable. Plus rien ! Il composa à nouveau le numéro. « Pas de couverture réseau. » Il ne manquait plus que ça ! Il fit deux nouvelles tentatives. Sans résultat. Servaz n’en croyait pas ses yeux. Lorsqu’il les releva, il vit que la cabine occupée s’était encore rapprochée. L’un des occupants portait une cagoule noire. Servaz ne distinguait que ses yeux et sa bouche. L’autre était tête nue, il portait des lunettes. Tous deux le fixaient à travers la vitre et le brouillard. L’un durement, lui sembla-t-il. L’autre…

l’autre avait peur

En une fraction de seconde, Servaz comprit — et la situation lui apparut dans toute son horreur.

Perrault ! Le grand type maigre sur la photo, avec les cheveux en broussaille et des lunettes de myope.

Servaz sentit son cœur bondir dans sa poitrine. La cabine s’avançait comme dans un rêve, avec une effrayante rapidité à présent. Moins de vingt mètres. Elle croiserait la sienne dans deux secondes. Un autre détail attira son attention : du côté opposé au sien, une vitre manquait…

Perrault fixait Servaz, bouche grande ouverte, les yeux écarquillés par la peur. Il hurlait. À présent, Servaz pouvait entendre le hurlement même à travers les vitres — malgré le vent, le bruit des poulies et celui des câbles. Il n’avait jamais lu une telle terreur sur un visage. C’était comme s’il allait se craqueler, se fendre d’un instant à l’autre.

Servaz eut un mouvement de déglutition involontaire. Au moment où la cabine croisait la sienne, puis s’éloignait dans l’autre sens, tous les détails lui apparurent : Perrault avait une corde passée autour du cou, et cette corde passait ensuite par la fenêtre dont on avait retiré le Plexiglas — dans une sorte de crochet qui se trouvait à l’extérieur, juste au-dessus. Un crochet peut-être prévu pour descendre des blessés en rappel jusqu’au sol à partir d’une cabine immobilisée, se dit Servaz en un éclair. L’autre bout de la corde était tenu par l’homme cagoulé. Servaz tenta de voir ses yeux. Mais l’homme s’était jeté derrière sa victime au croisement des deux cabines. Une pensée surgit :