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Je le connais ! Il a peur que je le reconnaisse, même avec une cagoule !

Il pianota désespérément sur son cellulaire. « Pas de couverture réseau »… Pris de panique, il chercha des yeux un signal d’alarme, un interphone, quelque chose… Rien ! Putain de merde ! On pouvait crever dans ces cabines à la vitesse de cinq mètres seconde ! Servaz se retourna vers la cabine qui s’éloignait. Son regard croisa une dernière fois celui, terrifié, de Perrault. S’il avait eu un flingue, il aurait au moins pu… Pu quoi ? Qu’aurait-il fait ? Il était nul en tir de toute façon. Lors des tests qui avaient lieu une fois l’an, il suscitait chaque fois le découragement incrédule de son moniteur devant l’incroyable médiocrité de ses résultats. Il vit la cabine et les deux hommes se fondre dans le brouillard.

Un rire nerveux l’étrangla. Puis il eut envie de hurler.

De rage, il donna un grand coup de poing dans l’une des vitres. Les minutes qui suivirent furent parmi les plus longues de sa vie. Il en fallut encore cinq — cinq interminables minutes ponctuées par le défilement fantomatique des sapins alignés comme des fantassins dans la brume — pour que la gare supérieure apparaisse. Un petit bâtiment trapu. Posé sur de gros piliers en béton, comme celui du bas. Au-delà, Servaz aperçut des pistes de ski désertées, des remonte-pentes immobilisés et des édifices noyés dans le brouillard. Sur la plate-forme, un type le regardait approcher. Dès que la porte s’ouvrit, Servaz bondit. Il manqua s’étaler sur le béton. Il se rua vers l’homme en uniforme, sa carte à la main.

— Stoppez tout ! Tout de suite ! Bloquez les cabines !

L’employé lui jeta un regard abasourdi sous sa casquette.

— Quoi ?

— Vous pouvez bloquer les télécabines, oui ou non ?

Le vent hurlait. Servaz était contraint de hurler encore plus fort. Sa rage et son impatience semblèrent impressionner l’homme.

— Oui, mais…

— Alors, stoppez tout ! Et appelez en bas ! Vous avez une ligne téléphonique ?

— Oui, bien sûr !

— STOPPEZ TOUT ! TOUT DE SUITE ! ET PASSEZ-MOI LE TÉLÉPHONE ! VITE !

L’employé se précipita à l’intérieur. Il parla fébrilement dans un micro, jeta une œillade inquiète à Servaz puis abaissa une manette. Les cabines s’immobilisèrent sur leur erre avec un dernier grincement. Après coup, Servaz se rendit compte du vacarme qui régnait sur la plate-forme auparavant. Il attrapa le téléphone et composa le numéro de la gendarmerie. Un planton lui répondit.

— Passez-moi Maillard ! De la part du commandant Servaz ! VITE !

Une minute plus tard, Maillard était en ligne.

— Je viens de croiser le tueur ! Il descend à bord d’une télécabine avec sa prochaine victime ! J’ai fait stopper les œufs. Prenez des hommes et foncez à la gare des télécabines ! Dès que vous serez en position, on les remettra en route.

Il y eut un instant d’absolu saisissement au bout du fil.

— Vous êtes sûr ? bafouilla Maillard.

— Certain ! La victime, c’est Perrault. Il m’a appelé au secours il y a vingt-cinq minutes. Il m’a donné rendez-vous là-haut. Je viens de le croiser dans une cabine qui descendait avec une corde autour du cou et il y avait un type cagoulé avec lui !

— Seigneur ! Je donne l’alerte ! Dès qu’on est prêts, on vous rappelle !

— Essayez aussi de joindre le capitaine Ziegler. Mon portable ne passe pas !

Maillard revint en ligne au bout de douze minutes. Servaz les avait passées à piétiner de long en large sur la plate-forme en regardant sa montre et en fumant cigarette sur cigarette.

— On est prêts, annonça le gendarme dans le téléphone.

— Très bien ! Je fais repartir les œufs. Perrault et l’assassin sont dans une des cabines ! Je vous rejoins !

Il fit signe au machiniste, puis il sauta dans une cabine. Au moment où elle s’éloignait, il lui vint à l’esprit que quelque chose clochait. Le tueur avait prévu de pousser Perrault dans le vide et de le regarder pendre au bout d’une corde. Mais il n’avait certainement pas l’intention d’atteindre la gare du bas en si voyante compagnie. Servaz se demanda s’il y avait un endroit où le tueur pouvait sauter de la cabine en marche et à peine se fut-il posé la question qu’il eut la certitude que oui.

Maillard et ses hommes avaient-ils prévu cette éventualité ? Contrôlaient-ils tous les accès à la montagne ?

Il tenta de composer une nouvelle fois le numéro de Ziegler mais obtint la même réponse que précédemment. Comme à l’aller, il avançait à travers le brouillard, sans distinguer autre chose que les silhouettes des sapins et les cabines vides qui croisaient sa route. Il entendit soudain le flap-flap des pales d’un hélicoptère, mais l’appareil demeura invisible. Il lui sembla cependant que le bruit ne provenait pas d’au-dessus mais d’en dessous de lui.

Que se passait-il en bas ? Le nez collé à la vitre, il essayait de percer le brouillard. Mais il n’y voyait pas à vingt mètres. Tout à coup, les cabines s’immobilisèrent. Ce fut si brutal qu’il perdit l’équilibre. Bon Dieu ! Il s’était cogné le nez dans la vitre, la douleur lui fit monter les larmes aux yeux. Qu’est-ce qu’ils foutaient en bas ? Il regarda autour de lui. Les cabines se balançaient doucement le long de leurs câbles, comme des lampions dans une fête foraine ; le vent était un peu tombé et les flocons descendaient presque à la verticale, à présent. Le manteau neigeux était très épais au pied des sapins. Une fois de plus, il tenta d’appeler avec son portable. Sans plus de résultat.

Pendant les trois quarts d’heure qui suivirent, il demeura prisonnier de sa coque de plastique à scruter le cercle des sapins et le brouillard. Au bout d’une demi-heure, la cabine eut une brusque embardée, avança de trois mètres et s’immobilisa de nouveau. Servaz jura. À quoi jouaient-ils ? Il se levait, se rasseyait, se relevait… Il n’y avait même pas assez d’espace pour se dégourdir les jambes ! Quand enfin les télécabines se remirent en marche, il y avait beau temps qu’il s’était assis et résigné à attendre.

Alors qu’il approchait de la gare inférieure, le brouillard se dissipa d’un coup et les toits de la ville apparurent. Servaz vit le clignotement des gyrophares et les nombreux véhicules de gendarmerie sur le parking. Des gendarmes en uniforme allaient et venaient. Il distingua aussi les silhouettes vêtues de blanc des techniciens en identification criminelle et le corps étendu sur une civière roulante, sous une bâche argentée, près d’une ambulance au hayon ouvert.

Il se figea.

Perrault était mort.

Ils avaient immobilisé les cabines pour pouvoir faire les premières constatations. Ensuite, ils l’avaient décroché et avaient remis les cabines en marche. Il eut aussitôt la conviction que le tueur avait réussi à s’enfuir. Dès que le bras pivotant eut retiré la porte, il jaillit de la cabine et prit pied sur le béton. Il découvrit Ziegler, Maillard, Confiant et d’Humières en bas des marches. Ziegler était en combinaison de cuir, mais le cuir était déchiré en plusieurs endroits, laissant voir un genou et un coude tuméfiés, couverts d’hématomes et de croûtes de sang séché. Visiblement, elle n’avait pas eu le temps de panser ses plaies. Elle tenait encore son casque à la main, la visière était fendue.