Выбрать главу

Qui se rendait la nuit à l’unité A ? Qui était l’homme hurlant et sanglotant de la colonie ? Qui était impliqué dans les crimes commis à Saint-Martin ? Trop de questions… L’une après l’autre, elles battaient les rivages fiévreux de son cerveau comme une marée revient à heure fixe. Et elle brûlait de leur trouver des réponses…

Elle ouvrit le premier dossier. Chaque patient faisait l’objet d’un suivi précis, depuis les premières manifestations de sa pathologie et les premiers diagnostics jusqu’aux différents séjours hospitaliers qu’il avait effectués avant d’atterrir à l’Institut, la prise en charge médicamenteuse, les éventuels effets iatrogènes des traitements… L’accent était mis sur la dangerosité et les précautions à observer en sa présence, ce qui rappela à Diane, au cas où elle l’aurait oublié, qu’il n’y avait pas d’enfants de chœur à l’Institut.

Elle prit quelques notes dans son bloc et poursuivit sa lecture. Venaient ensuite les traitements proprement dits… Sans surprise, Diane constata que neuroleptiques et calmants étaient administrés à doses massives. Des doses très supérieures aux normes en vigueur. Cela confirmait ce que lui avait dit Alex. Une sorte d’Hiroshima pharmaceutique, songea-t-elle en frémissant. Elle n’aurait pas aimé voir son cerveau bombardé par ces substances… Elle connaissait les terribles effets secondaires de ces molécules… Rien que l’idée la rendit toute froide. Chaque dossier disposait d’une fiche annexe de distribution des médicaments : dosages, heures de distribution, changements dans le traitement, livraisons des produits dans le service concerné… Chaque fois que le service dont dépendait le patient recevait une nouvelle livraison de médicaments de la pharmacie de l’Institut, le bon de livraison était signé par l’infirmier responsable du service et contresigné par le gérant des produits pharmaceutiques.

Des neuroleptiques, des somnifères, des anxiolytiques… mais pas de psychothérapies — du moins jusqu’à son arrivée… Boum-boum-boum-boum… Elle eut l’image fugitive de gros marteaux s’abattant rythmiquement sur des crânes qui s’aplatissaient de plus en plus à chaque impact.

Elle ressentit un soudain besoin de caféine en attaquant son quatrième dossier mais elle décida d’aller au bout de sa lecture. Pour finir, elle parcourut la fiche annexe. Comme dans les dossiers précédents, les dosages lui firent courir un frisson glacé le long de l’échine :

Clozapine : 1 200mg/j (3 cp 100 mg 4fois/j).

Acétate de zuclopenthixol : 400 mg IM/j.

Tiapride : 200 mg toutes les heures.

Diazépam : Amp. IM 20 mg/j.

Méprobamate : cp sec. 400 mg.

Bon sang ! quelle sorte de légumes allait-elle récupérer comme patients ? Mais elle se souvint là encore de ce qu’Alex lui avait dit : après des décennies de traitements médicamenteux très lourds, la plupart des pensionnaires de l’Institut étaient chimio-résistants. Ces types se baladaient dans les couloirs avec dans leurs veines assez de substances pour faire planer un T-Rex et c’est à peine s’ils manifestaient quelques signes de torpeur. Alors qu’elle allait refermer le dossier, son œil tomba sur une brève note manuscrite dans la marge :

À quoi correspond ce traitement ? Interrogé Xavier. Pas de réponse.

L’écriture était penchée et hâtive. Rien qu’en lisant, elle devina la frustration et l’agacement de celui qui avait rédigé la note. Elle fronça les sourcils et examina de nouveau la liste des médicaments et les dosages. Elle comprit aussitôt l’étonnement de la personne qui avait écrit ces mots. Elle se souvint que la clozapine était utilisée quand les autres neuroleptiques s’avéraient inefficaces. Dans ce cas, pourquoi prescrire du zuclopenthixol ? Et qu’il n’y avait pas lieu, dans le traitement de l’anxiété, d’associer deux anxiolytiques ou deux hypnotiques. Or, c’était le cas ici. Il y avait peut-être d’autres anomalies qui lui échappaient — elle n’était ni médecin ni psychiatre — mais elles n’avaient pas échappé à l’auteur de la note. Apparemment, Xavier n’avait pas daigné répondre. Perplexe, Diane se demanda si cela la concernait. Puis elle se dit que, désormais, ce dossier était celui d’un de ses patients. Avant d’entreprendre une quelconque psychothérapie, elle devait savoir pourquoi on lui avait prescrit ce cocktail démentiel. Le dossier parlait de psychose schizophrénique, d’états délirants aigus, de confusion mentale — mais il manquait singulièrement de précision.

Interroger Xavier ? La personne l’avait déjà fait. Sans succès. Elle reprit les dossiers précédents et examina une par une les signatures des chefs de service et du gérant de la pharmacie. Elle finit par trouver ce qu’elle cherchait. Au-dessus de l’une d’elles, quelqu’un avait inscrit : « livraison retardée cause grève transports ». Elle compara les mots « transports » et « traitement ». La forme des lettres était identique : la note dans la marge avait été rédigée par l’infirmier qui gérait le stock des médicaments.

C’était lui qu’elle devait interroger en premier.

Elle prit l’escalier pour monter au deuxième étage, le dossier sous le bras. La pharmacie de l’Institut était tenue par un infirmier d’une trentaine d’années en jean délavé, blouse blanche et baskets usagées. Il ne s’était pas rasé depuis trois jours et ses cheveux se dressaient sur sa tête en épis rebelles. Il avait aussi des cernes sous les yeux et Diane le soupçonna d’avoir une vie nocturne intense et amusante en dehors de l’Institut.

La pharmacie était constituée de deux pièces, l’une servant de réception avec un comptoir et une sonnette et encombrée de paperasses et de cartons vides, l’autre où étaient entreposés les stocks de médicaments dans des armoires vitrées sécurisées. L’infirmier qui, à en croire l’étiquette brodée sur sa poche de poitrine, se prénommait Dimitri, la regarda entrer avec un sourire un peu trop large.

— Salut, dit-il.

— Salut, répondit-elle, j’aimerais avoir quelques renseignements sur la gestion des produits pharmaceutiques.

— Bien sûr. Vous êtes la nouvelle psy, c’est ça ?

— C’est ça.

— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?

— Eh bien, comment ça marche.

— Bon, bon, dit-il en jouant avec le stylo glissé dans sa poche de poitrine. Venez par ici.

Elle passa derrière le comptoir. Il attrapa un grand cahier à couverture cartonnée qui ressemblait à un livre de comptes.

— Ça, c’est le livre-journal. On y note toutes les entrées et toutes les sorties de médicaments. Les activités de la pharmacie consistent à recenser les besoins de l’Institut et à établir les commandes d’une part, à réceptionner et à stocker les médicaments puis à les distribuer dans les différents services d’autre part. La pharmacie a un budget propre. Les commandes sont renouvelées en gros tous les mois, mais il peut y avoir des commandes exceptionnelles.

— Qui à part vous est au courant de ce qui entre et de ce qui sort ?

— N’importe qui peut consulter le livre-journal. Mais tous les bons de livraison et toutes les commandes doivent être obligatoirement contresignés soit par le Dr Xavier lui-même, soit la plupart du temps par Lisa ou par le Dr Lepage, le médecin-chef. En outre, chaque produit fait l’objet d’une fiche individuelle de stock. (Il attrapa un gros classeur et l’ouvrit.) Tous les médicaments utilisés à l’Institut sont là-dedans et, grâce à ce système, on sait exactement quels sont les stocks disponibles. Ensuite, on distribue les produits dans les différents services. Chaque distribution de médicaments est contresignée à la fois par l’infirmier à la tête du service et par moi.