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Elle ouvrit le dossier qu’elle avait à la main et lui montra la note manuscrite en marge de la fiche annexe.

— C’est votre écriture, n’est-ce pas ?

Elle le vit froncer les sourcils.

— C’est exact, répondit-il après un temps d’hésitation.

— Vous n’avez pas l’air d’accord avec le traitement que suit ce patient…

— Eh bien… je… euh, je ne voyais pas l’utilité de… lui prescrire deux anxiolytiques ou de l’acétate de zuclopenthixol et de la clozapine en même temps… Je… hum… c’est un peu… technique…

— Et vous avez posé la question au Dr Xavier.

— Oui.

— Qu’est-ce qu’il a répondu ?

— Que j’étais gestionnaire du stock, pas psychiatre.

— Je vois. Tous les patients ont des traitements aussi lourds ?

— La plupart, oui. Vous savez, après des années de traitements, presque tous sont devenus…

— Chimio-résistants… oui, je sais… Ça vous ennuie si je jette un coup d’œil à ça ? (Elle désignait le livre-journal et le classeur contenant les fiches individuelles des produits.)

— Non, bien sûr. Allez-y. Tenez : asseyez-vous là.

Il disparut dans la pièce voisine et elle l’entendit téléphoner à voix basse. Sans doute à sa petite amie. Il ne portait pas d’alliance. Elle ouvrit le livre-journal et se mit à tourner les pages. Janvier… février… mars… avril…

L’inventaire du mois de décembre tenait sur deux pages. En page 2, elle eut l’œil attiré par une ligne au milieu : « Livraison commande Xavier », en date du 7 décembre. La ligne était complétée par trois noms de médicaments. Ils ne lui étaient pas familiers. Elle était sûre qu’il ne s’agissait pas de psychotropes. Elle les nota par curiosité dans son bloc et elle appela Dimitri. Elle l’entendit qui murmurait « je t’aime » puis il réapparut.

— C’est quoi ça ?

Il haussa les épaules.

— Aucune idée. Ce n’est pas moi qui ai écrit ça. J’étais en congé à ce moment-là.

Il fouilla dans le classeur des fiches-produits et fronça les sourcils.

— Tiens, c’est bizarre… Il n’y a pas de fiches individuelles de stock pour ces trois produits. Il y a juste les factures… Probable que celui qui a rempli le livre-journal ne savait pas qu’il fallait en faire…

Ce fut au tour de Diane de hausser les épaules.

— Laissez tomber. Ça n’a pas d’importance.

20

Ils s’installèrent dans la même salle que la dernière fois. Étaient présents Ziegler, Servaz, le capitaine Maillard, Simon Propp, Martial Confiant et Cathy d’Humières. À l’invitation de Servaz, Ziegler résuma brièvement les faits. Il remarqua qu’elle les présentait sous un jour qui le lavait de toute erreur de jugement et qu’elle se reprochait au contraire d’avoir été négligente en prenant sa moto ce matin-là sans tenir compte de la météo. Elle attira ensuite l’attention sur le détail qui reliait ce meurtre au précédent : la pendaison. Mais elle ne mentionna pas les suicidés. Elle souligna en revanche que Grimm et Perrault avaient fait l’objet d’une plainte pour une histoire de chantage sexuel en compagnie de Chaperon et d’un quatrième homme décédé deux ans plus tôt.

— Chaperon ? dit Cathy d’Humières, incrédule. Je n’ai jamais entendu parler de ça.

— D’après Saint-Cyr, cette histoire date de plus de vingt ans, précisa Servaz. Bien avant que M. le maire ne se présente aux élections. Et la plainte a été retirée presque aussitôt.

Il lui répéta ce que lui avait dit Saint-Cyr. La proc leur jeta un regard sceptique.

— Vous croyez vraiment qu’il y a un rapport ? Une fille ivre, des jeunes gens qui l’étaient aussi, quelques photos compromettantes… Je ne voudrais pas avoir l’air de défendre ce genre de choses — mais il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

— Selon Saint-Cyr, il y a eu d’autres rumeurs autour de ces quatre-là, dit Servaz.

— Quel genre de rumeurs ?

— Des histoires plus ou moins similaires, des histoires d’abus sexuels, des rumeurs disant qu’une fois ivres ils avaient tendance à devenir mauvais et violents avec les femmes. Cela dit, aucune plainte officielle à part celle-là — qui, je le répète, a été retirée très vite. Et puis, il y a ce que nous avons trouvé dans la cabane de Grimm. Cette cape et ces bottes… Les mêmes ou peu s’en faut que celles trouvées sur son cadavre…

Servaz savait par expérience qu’il valait mieux ne pas trop en dire aux procureurs et aux magistrats instructeurs tant qu’on ne disposait pas d’éléments solides, car ils avaient tendance à émettre des objections de principe dans le cas contraire. Cependant, il ne résista pas à la tentation d’aller plus loin.

— Selon Saint-Cyr, Grimm, Perrault, Chaperon et leur ami Mourrenx formaient depuis le lycée un quatuor inséparable. Nous avons aussi découvert que les quatre hommes portaient tous la même chevalière : celle qui aurait dû se trouver sur le doigt coupé de Grimm…

Confiant posa sur eux un regard perplexe, sourcils froncés.

— Je ne comprends pas ce que cette histoire de bagues vient faire là-dedans, dit-il.

— Eh bien, on peut supposer qu’il s’agit d’une sorte de signe de reconnaissance, suggéra Ziegler.

— Un signe de reconnaissance ? De reconnaissance de quoi ?

— À ce stade, c’est difficile à dire, admit Ziegler avec un œil noir en direction du juge.

— Perrault n’a pas eu le doigt coupé, objecta d’Humières sans cacher son scepticisme.

— Exact. Mais la photo trouvée par le commandant Servaz prouve qu’il a bien porté cette chevalière à un moment donné. Si l’assassin n’a pas jugé bon de lui trancher le doigt, c’est peut-être parce que Perrault ne la portait plus à ce moment-là.

Servaz les regarda. Au plus profond de lui-même, il savait qu’ils étaient sur la bonne voie. Quelque chose était en train de remonter à la surface, comme des racines sortant de terre. Quelque chose de noir et de glaçant.

Et dans cette géographie de l’horreur, les capes, les bagues, les doigts coupés ou non, étaient comme des petits cailloux laissés par l’assassin sur son passage.

— Il est évident que nous n’avons pas assez fouillé dans la vie de ces hommes, intervint soudain Confiant. Si nous l’avions fait au lieu de nous focaliser sur l’Institut, peut-être aurions-nous trouvé quelque chose qui nous aurait alertés à temps — pour Perrault.

Tout le monde comprit que ce « nous » était purement rhétorique. C’était bel et bien « vous » qu’il voulait dire — et ce « vous » s’adressait à Ziegler et à Servaz. En même temps, Servaz se demanda si, pour une fois, Confiant n’avait pas raison.

— En tout cas, deux des victimes ont fait l’objet de cette plainte et elles portaient cette bague, insista-t-il. On ne peut pas ignorer ces coïncidences. Et la troisième personne visée par la plainte encore vivante n’est autre que Roland Chaperon…

Il vit la proc pâlir.

— Dans ce cas, il y a une priorité, s’empressa-t-elle de dire.

— Oui. Nous devons tout mettre en œuvre pour retrouver le maire et le mettre sous protection policière — sans perdre une minute. (Il consulta sa montre.) Aussi, je suggère que nous levions la séance.