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Elle tournait l’angle de celui menant à son bureau lorsqu’elle s’immobilisa. Elle eut l’impression qu’on lui versait un fluide réfrigérant dans l’estomac. Xavier était dans le couloir. Il refermait lentement la porte de son bureau — son bureau à elle… Il jeta un coup d’œil rapide à droite et à gauche et elle se rejeta vivement derrière le mur. À son grand soulagement, elle l’entendit partir dans l’autre sens.

Des cassettes audio…

Ce fut le détail qui attira ensuite son attention. Parmi les papiers en vrac sur le bureau du maire se trouvaient des cassettes audio, des cassettes comme plus personne n’en utilisait mais que, semble-t-il, Chaperon avait conservées. Il les prit et regarda les étiquettes : CHANTS D’OISEAUX 1, CHANTS D’OISEAUX 2, CHANTS D’OISEAUX 3… Servaz les reposa. Il remarqua aussi, dans un coin, une mini-chaîne stéréo avec un compartiment pour cassettes.

L’alpinisme, les oiseaux… Cet homme avait vraiment une passion pour la nature.

Et pour les choses anciennes vieilles photos, vieilles cassettes… Des vieilleries dans une vieille maison, quoi de plus normal ?

Pourtant, Servaz sentait qu’un signal l’alertait dans un coin de son cerveau. Cela avait quelque chose à voir avec ce qu’il y avait dans cette pièce. Et plus précisément avec ces chants d’oiseaux. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Il avait tendance à faire confiance à son instinct en général, celui-ci l’avertissait rarement en vain.

Il réfléchit intensément, mais rien ne vint. Ziegler était en train d’appeler la gendarmerie pour qu’on mette la maison sous scellés et qu’on fasse venir la police scientifique.

— On s’approche de la vérité, dit-elle quand elle eut raccroché.

— Oui, confirma-t-il gravement. Mais nous ne sommes visiblement pas les seuls.

L’inquiétude lui serrait de nouveau les tripes. Il ne doutait plus à présent que le nœud de l’enquête fût le quatuor Grimm-Perrault-Chaperon-Mourrenx et leurs « exploits » passés. Mais le ou les tueurs avaient au moins deux longueurs d’avance. Contrairement à Ziegler et à lui, ils savaient tout ce qu’il y avait à savoir — et ils le savaient depuis longtemps… Et que venaient faire le cheval de Lombard et Hirtmann là-dedans ? De nouveau, Servaz se dit qu’il y avait une partie du problème qu’il ne voyait pas.

Ils redescendirent et émergèrent sur le perron éclairé. La nuit était froide et humide. Les arbres brassaient des ombres et peignaient le jardin de ténèbres et quelque part dans cette obscurité un volet grinçait. En s’attardant sur le perron, il se demanda pourquoi les chants d’oiseaux le préoccupaient à ce point. Il sortit les cassettes de sa poche et les tendit à Ziegler.

— Fais écouter ça à quelqu’un. Pas juste quelques secondes. Dans leur intégralité.

Elle lui jeta un regard surpris.

— Je veux savoir si c’est bien des chants d’oiseaux qu’on entend là-dessus. Ou s’il y à autre chose…

Le téléphone vibra dans sa poche. Il le sortit et regarda l’origine de l’appel : Antoine Canter, son patron.

— Excuse-moi, dit-il en descendant les marches. Servaz, répondit-il en piétinant la neige du jardin.

— Martin ? C’est Antoine. Vilmer veut te voir.

Le commissaire divisionnaire Vilmer, patron de la police judiciaire toulousaine. Un homme que Servaz n’aimait pas et qui le lui rendait bien. Aux yeux de Vilmer, Servaz était le type même du flic qui a fait son temps : rétif aux innovations, individualiste, fonctionnant à l’instinct, refusant de suivre à la lettre les nouvelles consignes venues du ministère. Vilmer rêvait de fonctionnaires lisses, formatés, dociles et interchangeables.

— Je passerai demain, dit-il en jetant un coup d’œil vers Ziegler qui l’attendait devant le portail.

— Non. Vilmer te veut dans son bureau ce soir. Il t’attend. Pas d’entourloupe, Martin. Tu as deux heures pour rappliquer.

Servaz quitta Saint-Martin peu après 20 heures. Une demi-heure plus tard, il laissait la D 825 et s’élançait sur l’A 64. La fatigue lui tomba dessus alors qu’il filait sur l’autoroute, feux de croisement allumés, ébloui par les phares des voitures qui venaient en face. Il se gara sur une aire, entra dans la supérette et se servit un café aux distributeurs. Après quoi il prit une canette de Red Bull dans un grand frigo, la paya à la caisse, la décapsula et la but entièrement en regardant les couvertures des magazines et la une des journaux sur les présentoirs avant de rejoindre sa voiture.

Quand il parvint à Toulouse, il tombait une pluie fine. Il salua le planton, se gara sur le parking et fila vers les ascenseurs. Il était 21 h 30 quand il pressa le bouton du dernier étage. D’ordinaire, Servaz l’évitait. Ses couloirs lui rappelaient un peu trop le séjour qu’il avait effectué, à ses débuts, à la direction générale de la police nationale — laquelle était pleine de gens qui ne connaissaient d’autre police que celle qui concernait les caractères de leur traitement de texte et qui accueillaient toute demande émanant des policiers de base comme s’il s’agissait d’une nouvelle souche du virus Ébola. À cette heure, la plupart des employés étaient rentrés chez eux et les couloirs étaient déserts. Il fit le rapprochement entre ces couloirs feutrés et l’atmosphère chaotique de tension permanente qui régnait à l’étage de sa brigade. Bien sûr, Servaz avait aussi croisé un grand nombre de gens compétents et efficaces à la direction générale. Ceux-là se mettaient rarement en avant. Et ils arboraient encore plus rarement la dernière mode en matière de cravates. Il se remémora en souriant la théorie d’Espérandieu : son adjoint estimait qu’à partir d’un certain taux de costards-cravates au mètre carré on entrait dans ce qu’il appelait la « zone de compétence raréfiée », encore nommée par lui « zone des décisions absurdes », « zone du tirage de couverture à soi » ou « zone des parapluies ouverts ».

Il consulta sa montre et décida de faire attendre Vilmer cinq minutes de plus. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait l’occasion de faire patienter un type qui passait son temps à se regarder le nombril. Il en profita pour entrer dans le local où se trouvaient les distributeurs de boissons et glissa une pièce dans la machine à café. Trois personnes — deux hommes et une femme — bavardaient autour d’une table. À son entrée, les conversations baissèrent de quelques décibels ; quelqu’un fit une blague à voix basse. L’humour, se dit Servaz. Son ex-femme lui avait dit un jour qu’il en manquait. Peut-être était-ce vrai. Était-ce pour autant la preuve d’un manque d’intelligence ? Pas s’il en croyait le nombre d’imbéciles qui excellaient dans ce domaine. Mais c’était certainement le signe d’une faille psychologique. Il poserait la question à Propp. Servaz commençait à trouver le psy sympathique, malgré son côté pontifiant. Son énième café avalé, il ressortit du local où les conversations reprirent. La femme éclata de rire derrière lui. Un rire artificiel, sans grâce, qui lui mit les nerfs à vif.

Le bureau de Vilmer se trouvait quelques mètres plus loin. Sa secrétaire accueillit Servaz avec un sourire affable.

— Entrez. Il vous attend.

Servaz se dit que ça n’augurait rien de bon tout en se demandant si la secrétaire de Vilmer récupérait ses heures supplémentaires. Vilmer était un type mince, avec un bouc bien taillé, une coupe de cheveux impeccable et un sourire de commande perpétuellement collé aux lèvres comme un herpès tenace. Il arborait toujours le nec plus ultra en matière de chemises, de cravates, de costumes et de chaussures, avec un penchant pour les tons chocolat, marron glacé et violet. Servaz le considérait comme la preuve vivante qu’un imbécile peut grimper haut s’il a d’autres imbéciles au-dessus de lui.