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Je l’étreignis comme je pus. Elle est si imposante que même à nous deux, Yasmin et moi n’aurions sans doute pu l’embrasser entièrement. Elle nous fit aussitôt profiter de l’histoire qu’elle était en train de conter à un autre client. «… Alors Fouad revient me voir au pas de course en me disant :“Cette salope de Noire vient de me tondre !” Bon, tu sais aussi bien que moi que rien ne lui flanque tant les boules que de se faire tondre par une pute noire. » Jo-Mama me jeta un regard interrogatif, et je me crus forcé d’acquiescer. Fouad était ce mec incroyablement décharné qui avait cette fascination pour les prostituées noires ; plus elles étaient vicieuses et dangereuses, mieux c’était. Personne n’aimait Fouad mais on l’utilisait comme garçon de courses ; et il était si avide d’être aimé qu’il passait la nuit à faire le garçon de courses, sauf quand il tombait sur la fille qui se trouvait être son béguin de la semaine. « Alors, je lui ai demandé comment il s’était arrangé pour se faire tondre ce coup-ci, parce que j’avais l’impression qu’il connaissait tous les trucs, depuis le temps… Je veux dire, Bon Dieu, même Fouad n’est quand même pas si con, si tu vois ce que je veux dire. Alors, il m’explique : “C’est une serveuse du Big Al’s Old Chicago. Je me paie un verre et, quand elle me rapporte ma monnaie, elle avait mouillé son plateau avec une éponge et le tenait au-dessus d’elle, pour que je voie pas dedans, tu vois ? Ça fait que j’ai été obligé de faire glisser les billets un par un pour les récupérer et celui du fond est resté collé.” Alors, je le prends par l’oreille et lui secoue la tête comme un prunier. “Fouad, Fouad, que je lui dis, c’est un truc vieux comme le monde. T’as dû voir faire ça un million de fois. Je me rappelle encore quand Zaïnab t’a fait le coup l’an dernier.” Et cet imbécile de squelette hoche la tête, avec sa grosse pomme d’Adam qui joue à l’ascenseur, et voilà-t’y pas qu’il me répond : “Ouais, mais toutes ces autres fois, c’étaient des billets d’un kiam. Personne l’avait encore fait avec un billet de dix !” Comme si ça faisait une différence ! » Jo-Mama partit à rire, tel un volcan qui se met à gronder avant l’éruption, et quand elle se mit à rire vraiment, tout le bar trembla, les verres et les bouteilles posés dessus cliquetèrent, on pouvait tous sentir les vibrations traverser le comptoir jusqu’à nos tabourets. Quand elle riait, Jo-Mama pouvait causer plus de dégâts qu’un individu de gabarit plus réduit qui s’amuse à faire valser les chaises. « Bon, alors qu’est-ce que tu veux, Marîd ? Ouzo, et retzina pour la petite dame ? Ou juste une bière ? Décide-toi, j’ai pas toute la nuit, j’ai une foule de Grecs qui débarquent de Skorpios, les cales pleines de caisses d’explosifs pour les révolutionnaires de Hollande, et ils ont encore de la route à faire, alors ils sont aussi nerveux qu’un poisson rouge dans un congrès de chats et ils sont en train de boire mon fonds. Merde, qu’est-ce que tu veux, putain de bordel ? Te tirer une réponse, c’est comme de soutirer un pourboire à un Chinetoque. »

Elle s’arrêta juste le temps de me laisser en placer une. Je me pris mon gin-bingara et Rose, tandis que Yasmin prenait un Jack Daniel’s-coca. Puis Jo-Mama se lança dans une autre histoire et je la surveillai d’un œil d’aigle, parce que parfois elle entame une de ces histoires et vous êtes tellement pris que vous en oubliez de récupérer votre monnaie. Pas moi. « Tu me rendras la monnaie en billets d’un, Mama », dis-je, interrompant son récit pour lui rappeler ce qu’elle me devait, au cas où elle aurait oublié. Elle me lança un regard amusé, fit la monnaie, et je lui refilai un kiam en guise de pourboire. Elle fourra le billet dans son soutien-gorge. Il y avait là-dedans largement la place pour toute la monnaie qui m’était jamais passée entre les mains. Nous finîmes nos verres après encore deux ou trois autres histoires, et nous embrassâmes avant de reprendre nos déambulations dans la Rue. Nous nous arrêtâmes encore chez Frenchy et à deux ou trois autres endroits et quand nous arrivâmes à la maison, nous étions gentiment blindés.

Nous n’échangeâmes pas une parole ; nous ne prîmes même pas le temps d’allumer la lumière ou de passer par la salle de bains. Nous nous déshabillâmes pour nous jeter, serrés l’un contre l’autre, sur le matelas. Je fis courir mes doigts au revers des cuisses de Yasmin ; elle adore ça. Elle, elle me grattait le dos et la poitrine ; c’est ce qui me plaît. Du bout du pouce et des doigts, je lui caressai très doucement la peau, l’effleurant à peine, de l’aisselle au bras et à la main, puis je lui titillai de même la paume et les doigts. Je fis remonter mes doigts le long de son bras, les fis redescendre sur son flanc et passer par-dessus son petit cul sexy. Puis j’entrepris de caresser les replis sensibles de son entrejambe. Je l’entendis se mettre à pousser de petits soupirs ; elle ne s’était pas rendu compte que ses mains étaient retombées à ses côtés ; et puis elle se mit à se caresser les seins. Je me penchai et lui saisis les poignets, lui clouant les bras sur le lit. Elle ouvrit les yeux, surprise. Je grognai doucement et, du genou, lui écartai la jambe droite, un peu rudement, puis écartai de même la gauche. Elle tressaillit et gémit légèrement. Elle voulut dégager la main pour me toucher mais je ne lui lâchai pas les poignets. Je la maintins de la sorte immobile, éprouvant avec force, presque cruauté, une impression de maîtrise totale, même si cela s’exprimait avec le maximum de tendresse et de douceur. Cela peut paraître comme une contradiction ; s’il ne vous est jamais arrivé d’éprouver la même chose, je ne peux pas vous l’expliquer. Yasmin se donnait à moi, sans un mot, totalement ; et dans le même temps que je la prenais, elle désirait que je la prenne. Elle aimait bien que je la force un peu, de temps à autre ; la touche de violence que je me permettais ne faisait que l’exciter davantage. Puis j’entrai en elle et nous poussâmes de concert un soupir de plaisir. Nous commençâmes à bouger lentement et ses jambes se soulevèrent ; elle posa les talons sur mes hanches, les enfonçant et s’accrochant, aussi proche de moi que possible, tandis que je m’enfonçais en elle, aussi loin que possible. Nous avons joui ainsi, lentement, épuisant chaque infime caresse, chaque rude choc de surprise, un long moment. Yasmin et moi étions encore accrochés l’un à l’autre, le cœur battant la chamade, le souffle rauque et court. Nous sommes restés agrippés ainsi jusqu’à ce que nos corps se calment, et même encore après, dans les bras l’un de l’autre, l’un et l’autre satisfaits, l’un et l’autre enivrés par cette réaffirmation de notre besoin de présence, de confiance partagée et, par-dessus tout, d’amour partagé. Je suppose qu’à un moment nous avons dû nous séparer, et je suppose qu’à un moment nous avons dû nous endormir ; mais, tard dans la matinée, quand je m’éveillai, nos jambes étaient encore emmêlées et la tête de Yasmin reposait toujours contre mon épaule.