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— Ça, je n’en suis pas certain, Audran. Mais enfin, je n’ai pas envie d’essayer voir.

— Alors, accouchez : pour qui travaillait James Bond ? »

Son regard se déroba à nouveau. Quand il revint vers moi j’y lus de l’angoisse. « Il travaillait pour moi, Audran. »

Pour dire vrai, ce n’était pas ce que je m’étais attendu à entendre. Je ne savais comment réagir. « Wallâhî il-’azîm », murmurai-je. Je lui laissai le soin de m’expliquer cela comme ça lui chantait.

« Vous êtes en train de mettre les pieds dans un truc bien plus gros que quelques meurtres en série. Je suppose que vous le savez, seulement vous n’avez pas idée de la taille de la chose. Très bien. J’étais payé par un gouvernement européen pour localiser quelqu’un venu se réfugier dans notre cité. Cette personne était dans la course à la succession au pouvoir dans un autre pays. Une faction politique dans le pays natal du fugitif voulait l’assassiner. Le gouvernement pour lequel je travaille désirait le récupérer et le ramener sain et sauf. Vous n’avez pas besoin de connaître tous les détails de l’intrigue mais enfin, c’est l’idée directrice. J’ai engagé “James Bond” pour trouver cet homme et également pour entraver les tentatives d’assassinat de l’autre parti. »

Il me fallut quelques secondes pour assimiler tout cela. Ça faisait quand même un sacré gros morceau à avaler. « Bond a tué Bogatyrev. Et Devi. Et Sélima, après être devenu Xarghis Khan. J’étais donc depuis le début sur la bonne piste : Bogatyrev a été refroidi délibérément. Ce n’était pas un accident malencontreux, comme vous, Papa et tout le monde persistait à le dire. Et c’est pour cela que vous ne montrez pas une grande ardeur à mener l’enquête en profondeur. Vous savez parfaitement qui est l’auteur de tous ces meurtres.

— J’aurais bien voulu, Audran. » Okking avait l’air las, et un peu écœuré. « Je n’ai pas la moindre idée de l’identité de celui qui travaille pour l’autre camp. Ce ne sont pas les indices qui me manquent – les mêmes épouvantables rapports d’autopsie : ecchymoses et empreintes sur les corps torturés, une assez bonne description de la taille et du poids du tueur, toute une série de petits détails médico-légaux de cet ordre. Mais je ne sais toujours pas qui c’est, et ça me fout la trouille.

— Vous, avoir la trouille ? Vous êtes sacrément gonflé. Tout le monde dans le Boudayin se planque sous les couvertures depuis des semaines, chacun se demande s’il ne va pas être le prochain sur la liste de ces deux psychopathes et vous, vous avez la trouille. Et qu’est-ce qui vous fout la trouille, bordel, Okking ?

— L’autre camp a gagné, le prince s’est fait assassiner ; mais les meurtres n’ont pas cessé pour autant. J’ignore pourquoi. L’assassinat aurait dû clore l’affaire. Les tueurs sont sans doute en train d’éliminer tous ceux qui pourraient les identifier. »

Je me mordillai la lèvre et réfléchis. « Attendez que je récapitule un peu… Bogatyrev travaillait pour la légation de l’un des royaumes russes. Quel rapport a-t-il avec Devi et Sélima ?

— Je vous ai dit que je ne voulais pas vous donner tous les détails. Ça devient sordide, Audran. Vous ne pouvez pas vous satisfaire de ce que je vous ai déjà révélé ? »

Je sentis ma fureur revenir. « Okking, c’est moi qui suis sur la liste de votre putain de tueur. J’ai besoin de savoir tout de suite le fin mot de l’histoire. Pourquoi n’êtes-vous pas fichu de lui dire d’arrêter ?

— Parce qu’il a disparu. Après que les autres ont liquidé le prince, Bond a disparu de la circulation. J’ignore où il se trouve ou comment entrer en contact avec lui. Il travaille désormais pour son compte.

— À moins que quelqu’un d’autre ne lui ait donné de nouveaux ordres. » Je ne pus réprimer un frisson quand le premier nom à me traverser l’esprit ne fut pas celui de Seipolt – le choix logique – mais celui de Friedlander bey. Je sus aussitôt que je m’étais bercé d’illusions quant aux motifs réels de Papa : la peur pour sa vie et un souci louable de protéger les autres citoyens de la cité. Non, Papa n’était jamais aussi direct. Mais pouvait-il, d’une façon quelconque, être derrière ces terribles événements ? C’était une possibilité que je ne pouvais plus négliger.

Okking lui aussi était perdu dans ses pensées, une lueur de crainte dans les yeux. Il tripota encore sa petite sirène. « Bogatyrev n’était pas un vulgaire petit fonctionnaire à la légation russe. C’était le grand-duc Vassili Petrovitch Bogatyrev, frère cadet du roi Vyatcheslav de Biélorussie et d’Ukraine. Son neveu, le prince consort, était devenu trop gênant pour la cour et il avait fallu le mettre à l’écart. Des partis néo-fascistes allemands voulaient retrouver le prince et le ramener en Biélorussie, estimant pouvoir l’utiliser pour renverser son père du trône et remplacer la monarchie par un “protectorat” contrôlé par l’Allemagne. Les survivants des communistes soviétiques les soutenaient ; ils voulaient eux aussi détruire la monarchie mais pour y substituer leur propre forme de gouvernement.

— Une alliance temporaire de l’extrême droite et de l’extrême gauche. »

Okking eut un sourire désabusé. « Ça s’est déjà vu…

— Et vous travailliez pour les Allemands.

— C’est exact.

— Par l’entremise de Seipolt ? »

Okking acquiesça. Tout cela ne l’enthousiasmait pas à l’excès. « Bogatyrev voulait que vous retrouviez le prince. Cela fait, l’homme du duc, quel qu’il soit, l’aurait tué. »

J’étais ébahi. « Bogatyrev ourdissait l’assassinat de son propre neveu ? Le fils de son frère ?

— Pour préserver la monarchie dans son pays, oui. Ils avaient décidé que c’était malheureux mais nécessaire. Je vous ai dit que c’était une histoire sordide. Quand on commence à se balader dans les hautes sphères de la politique internationale, ça l’est presque toujours.

— Pourquoi Bogatyrev avait-il besoin de moi pour retrouver son neveu ? »

Okking haussa les épaules. « Au cours de ses trois dernières années d’exil, le prince avait fort bien réussi à se déguiser et se cacher. Il avait dû tôt ou tard se douter que sa vie était en danger.

— Le “fils” de Bogatyrev n’a donc pas été tué dans un accident de la circulation. Vous m’avez menti ; il était encore en vie quand vous m’avez annoncé que l’affaire était close. Mais vous dites que ce sont quand même les Biélorusses qui l’ont tué, en fin de compte…

— Il était cette sexchangiste de vos amies, Nikki. Nikki était en réalité le prince consort Nicolaï Konstantin.

— Nikki ? » dis-je d’une voix atone. J’étais vidé par le poids accumulé de toutes ces vérités que j’avais exigé d’entendre et par le poids du regret. Je me souvins de la voix terrifiée de Nikki durant ce bref coup de fil interrompu. Aurais-je pu la sauver ? Pourquoi n’avait-elle pas eu plus confiance en moi ? Pourquoi ne m’avait-elle pas dit la vérité, dit ce qu’elle devait soupçonner ? « Puis Devi et les deux autres Sœurs ont été tuées…

— Uniquement parce qu’elles étaient trop proches d’elle. Ça ne faisait pas de différence qu’elles aient réellement su ou non quelque chose de dangereux. Le tueur des Allemands – Khan à présent – et les Russes ne veulent prendre aucun risque. C’est la raison pour laquelle vous êtes également sur leur liste. C’est la raison… de ceci. » Le lieutenant ouvrit un tiroir et sortit quelque chose qu’il fit glisser vers moi sur son bureau.

C’était un autre billet sorti sur imprimante, tout comme le mien. Sauf qu’il était adressé à Okking.