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— Vous y avez flanqué votre part de population, Okking. Vous allez avoir droit à un super comité d’accueil. »

Il frissonna. « Je crois que dès que j’aurai récupéré mes affaires personnelles, je vais faire mes valises et m’éclipser dans la nuit. J’aurais quand même bien aimé qu’ils me filent un bon certificat. Je veux dire, agent étranger ou pas, j’ai quand même fait du bon boulot pour cette ville. Je n’ai jamais compromis mon intégrité, sauf peut-être deux ou trois fois.

— Combien d’autres peuvent honnêtement en dire autant ? Des comme vous, Okking, y en a pas deux. » C’était le genre de type à se sortir de cette affaire en la transformant en recommandation dans son curriculum. Il aurait vite fait de retrouver un boulot.

« Ça vous plaît bien de me voir dans la merde, pas vrai, Audran ? »

Pour tout dire, oui. Mais, plutôt que lui répondre, je me retournai, récupérai mon sac de sport et remis dedans mes affaires ; la leçon avait porté : je glissai le paralysant sous ma robe. De la conversation d’Okking, je déduisis que l’interrogatoire officiel était terminé, que je pouvais à présent disposer. « Comptez-vous rester en ville jusqu’à ce que l’assassin de Nikki soit capturé ? lui demandai-je. Vous ferez au moins ça ? » Je fis demi-tour pour le regarder dans les yeux.

Il était surpris. « Nikki ? Qu’est-ce que vous racontez ? Nous avons eu l’assassin, il est en route pour le billot. Vous êtes obsédé, Audran. Vous n’avez aucune preuve de l’existence de ce second tueur. Écrasez un peu ou vous n’allez pas tarder à apprendre à quelle vitesse les héros peuvent devenir des ex-héros. Vous devenez lassant. »

Si ce n’était pas un raisonnement de flic ! J’avais capturé Khan et l’avais remis à Okking ; et maintenant, ce dernier allait clamer sur les toits que Khan les avait tous rectifiés, de Bogatyrev à Seipolt. Bien sûr, Khan avait effectivement tué Bogatyrev et Seipolt ; mais j’étais certain qu’il n’avait pas tué Nikki, Abdoulaye ou Tami. En avais-je une preuve quelconque ? Non, rien de tangible ; mais autrement, rien dans cette histoire ne tenait debout. C’était un panier de crabes international ; un camp essayait d’enlever Nikki pour la ramener vivante dans son pays natal, tandis que le camp adverse voulait la tuer pour éviter le scandale. Si Khan avait assassiné des agents des deux parties, cela n’avait de sens que s’il était un simple psychotique qui découpait les gens de manière stupide, insensée, sans schéma préétabli. Ce qui n’était absolument pas le cas. Khan était un assassin dont les victimes avaient été éliminées pour accomplir les desseins de ses employeurs et protéger son propre anonymat. L’homme qui avait poignardé Seipolt n’était pas un fou, il n’était pas vraiment Khan : il portait simplement un mamie de Khan.

Et cet homme-là n’avait rien à voir dans la mort de Nikki. Il y avait un autre tueur en liberté dans la ville, même si Okking trouvait plus pratique de l’ignorer.

À peu près dix minutes après que nous nous fûmes séparés, Okking, ses hommes et moi, mon téléphone se mit à sonner. C’était Hassan qui rappelait pour m’informer de ce qu’avait dit Papa. « Moi aussi, j’ai des nouvelles, Hassan.

— Friedlander bey veut te voir au plus tôt. Il t’envoie une voiture d’ici un quart d’heure. Je suppose que tu es chez toi ?

— Non, mais j’attendrai au pied de l’immeuble. J’étais en intéressante compagnie mais tout le monde est reparti maintenant.

— Bien, mon neveu. Tu méritais un peu de détente avec tes amis…»

Je lorgnai le ciel couvert, songeant à ma confrontation avec Khan et me demandant si je devais rire de la remarque d’Hassan. « Je ne me suis pas détendu des masses. » Et je lui narrai ce qui était arrivé depuis notre dernière conversation jusqu’au moment où les flics avaient embarqué le tueur à gages d’Okking.

Hassan en bégayait d’ahurissement. « Audran…, dit-il quand il eut enfin repris ses esprits, il plaît à Allah que tu sois sauf, que ce dément ait été capturé et que la sagesse de Friedlander bey ait triomphé.

— C’est ça, t’as raison. Donnes-en tout le crédit à Papa. D’accord, il m’a fait profiter de sa sagesse. Maintenant que j’y réfléchis, je n’ai pas reçu beaucoup plus d’aide de sa part que de celle d’Okking… Évidemment, il m’a acculé dans un coin et m’a forcé à me faire triturer le crâne ; mais après ça, il s’est contenté de rester en retrait en me jetant des pièces. Papa est au courant de tout ce qui se passe dans le Boudayin, Hassan. Et tu veux me faire croire que lui et Okking sont restés plantés là, les doigts enfoncés dans les oreilles, complètement en dehors du coup ? Je ne marche pas. J’ai découvert quel rôle Okking avait joué dans toute cette histoire ; j’aimerais encore plus savoir ce qu’a fait Papa, en coulisse.

— Silence, fils de chienne malade ! » Hassan avait laissé tomber ses manières doucereuses et son vrai moi repointait le nez, un truc qui ne lui arrivait pas trop souvent. « Tu as encore beaucoup à apprendre en ce qui concerne le respect envers tes aînés et tes supérieurs. » Puis, tout aussi soudainement, le vieil Hassan, Hassan le presque bouffon mensonger, fut de retour. « Tu es encore sous le coup des tensions du conflit. Pardonne-moi d’avoir perdu patience à ton égard, c’est à moi d’être plus compréhensif. Tout doit être selon la volonté d’Allah, ni plus ni moins. Je disais donc, mon neveu, que la voiture viendrait te prendre sous peu. Friedlander bey sera extrêmement ravi.

— Je n’ai pas le temps de lui trouver un petit cadeau, Hassan. »

Il étouffa un rire. « Les nouvelles que tu apportes suffiront amplement. Va en paix, Audran. »

Je ne dis rien mais coupai la communication. Je me recalai le sac de sport à l’épaule et, à pied, reprit la direction de mon ancien immeuble. J’irais au rendez-vous de Papa, puis je retournerais me planquer dans le cagibi d’Ishak Jarir. Le côté positif de toute cette histoire, c’est que Khan avait désormais disparu du tableau. Khan avait été le seul des deux tueurs à avoir manifesté un quelconque désir de m’éliminer. Cela signifiait que l’autre ne voyait peut-être pas d’objection à me laisser la vie sauve. Enfin, j’espérais.

Tout en attendant l’arrivée de la limousine de Papa, je réfléchissais à ma bagarre avec Khan. Je détestais violemment cet homme – il me suffisait pour cela de me remémorer l’horreur du corps mutilé de Sélima, la répulsion que j’avais ressentie en tombant sur les corps démembrés dans la villa de Seipolt. Pour commencer, il avait tué Bogatyrev, le propre oncle de Nikki qui voulait sa mort. Nikki était la clé ; tous les autres homicides faisaient partie de cette entreprise effrénée de dissimulation censée couvrir le scandale russe. Je suppose que ça avait marché – oh ! bien des gens ici étaient au courant, mais sans un prince consort en vie pour gêner la monarchie, il n’y avait plus de scandale, là-bas en Russie blanche. Le roi Vyatcheslav pouvait être tranquille sur son trône, les loyalistes avaient gagné. En fait, en se débrouillant habilement, ils pouvaient exploiter l’assassinat de Nikki pour renforcer leur emprise sur cette nation instable.

Peu m’importait. Après ma bagarre avec Khan, j’étais prêt à lui laisser la vie sauve – quelque temps. Il avait à présent rendez-vous avec le président du tribunal de la mosquée de Shimâal. En attendant, qu’il revive ses brutalités dans la terreur d’Allah.

La limousine arriva et me conduisit à la propriété de Friedlander bey. Le majordome m’escorta jusqu’à la même salle d’attente que j’avais déjà vue les deux fois précédentes. J’attendis que Papa eût achevé ses prières. Friedlander bey ne faisait pas trop étalage de sa dévotion, ce qui en un sens le rendait d’autant plus remarquable. Par moments, sa foi m’emplissait de honte ; en ces occasions, je n’avais qu’à me remémorer les crimes et les cruautés dont il était responsable : je ne faisais que m’illusionner ; Allah sait que nul n’est parfait. Je suis sûr que Friedlander bey n’entretenait lui-même aucune illusion de cet ordre. Au moins demandait-il à son Dieu de lui pardonner. Papa me l’avait expliqué une fois déjà : il avait charge d’un grand nombre de parents et d’associés, et parfois le seul moyen de les protéger était de se montrer excessivement dur envers les étrangers. Vu dans cette perspective, il était un grand chef et un père aimant et ferme pour les siens. Moi, d’un autre côté, je n’étais qu’un rien du tout qui faisait de même quantité de choses illicites, et au profit de personne ; et je n’avais même pas la grâce salvatrice d’implorer le pardon d’Allah.