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Borza glissa sur le plancher. Il essaya de se redresser, mais son corps ne lui obéissait plus.

Dans un dernier sursaut, il leva quand même la main et frappa la vitre. La dernière chose que sa conscience enregistra ce fut le bruit que firent des carreaux en tombant.

Quant à la fraîcheur de la nuit, Borza ne la sentit pas.

CHAPITRE 3

Le XXXIIe siècle

L’équipage de l’Orion s’habituait à sa nouvelle résidence. Les premiers jours sur Terre, qui avaient été pleins de surprises, étaient déjà loin. Néanmoins, les hommes se déplaçaient encore timidement à travers les salles, ne fréquentaient que rarement la serre et marchaient avec précaution sur le sol transparent, sous lequel des ombres passaient.

Le long des murs, il y avait toutes sortes d’appareils… A quoi étaient-ils destinés ? A recueillir des renseignements sur les voyageurs du passé ? A l’intention de qui ?

Il y avait un grand nombre de choses insolites dans l’immense bâtiment. Les gens de l’Orion s’y faisaient peu à peu.

Le matin, ils se rassemblaient dans la salle centrale. A heures fixes, une petite trappe placée dans le plafond éjectait douze briquettes, une pour chaque membre de l’équipage. Elles tombaient, puis, à un mètre et demi du sol, s’immobilisaient dans l’espace, oscillant autour d’un point d’équilibre. Le navigateur affirmait que les briquettes étaient en chlo-relle. Certains n’étaient pas d’accord. De toute façon, la masse blanche et élastique avait une saveur agréable et était nourrissante.

— Il n’y a aucun doute : nous sommes prisonniers de machines, dit un jour Brock au déjeuner.

— Tu te répètes, dit Lioubava. Trouve autre chose.

— Du moins, on pourrait nous donner de la nourriture normale, marmonna Brock.

— Qu’entends-tu par « nourriture normale », Brock ? demanda tranquillement le commandant.

— Enfin quoi… tout le monde le sait, articula Brock.

— Chacun d’entre nous, soit. Mais pas eux, intervint Piotr Braga.

— N’oublie pas qu’ils nous devancent de dix siècles, dit le commandant.

— Et si ces briquettes étaient pour eux leur aliment habituel ? ajouta Lioubava.

— Mais qui ça, eux ? Qui ? ! fit en criant Brock, et il sortit précipitamment.

Peu à peu, les hommes de l’Orion en arrivèrent à la conclusion que le bâtiment était dirigé sinon par un homme, du moins par un système hautement sophistiqué. A condition de ne pas dépasser les limites du raisonnable, tous les désirs des membres de l’équipage étaient satisfaits. On pouvait boire à la fontaine qui fonctionnait jour et nuit dans un coin de la salle centrale. L’eau était froide et avait un goût agréable, bien qu’elle fût légèrement amère. Mais comme il n’y avait rien d’autre à boire…

Un seul désir, pourtant exprimé fréquemment et sans ambiguité, n’était pas réalisé, celui de quitter le bâtiment.

La porte par laquelle les hommes de l’Orion étaient entrés le jour de leur retour sur Terre ne pouvait être atteinte : plus on s’en approchait, plus la résistance était puissante. Le champ de forces repoussait tout simplement celui qui insistait. On expérimenta diverses ruses. Gagner la porte en courant, y parvenir en se tenant par la main et en avançant en file indienne. Sans résultat.

Sur une idée de Grigo, l’équipage baptisa l’invisible maître Sept-Yeux.

Le temps passait, et les voyageurs commençaient à ressentir avec toujours plus d’acuité le besoin de faire quelque chose pour meubler leurs loisirs forcés.

Brock s’intéressait à Lioubava. Avec les années, son sentiment d’abord presque enfantin s’affermit. Seulement, depuis un certain temps, il lui semblait que Lioubava était indifférente à son égard. Non, elle ne l’évitait pas, elle le traitait amicalement, comme tousses autres compagnons. « Est-ce de l’amour ? » se demandait Brock. La réponse ne venait pas.

Le moindre instant sans Lioubava était pour lui insupportable. Orgueilleux au-delà de toute mesure, il se mit à dissimuler son sentiment sous une sorte de dédain acerbe. Il y parvenait… du moins, il le pensait.

Une fois Brock vouluts’expliquer avec Lioubava, restée seule dans la salle centrale.

— Écoute, Lioubava, dit-il, regardant de côté, gêné par le souvenir de la scène matinale. Que voudrais-tu le plus au monde ?

Les yeux vifs de la jeune fille s’assombrirent.

— Je voudrais que nous sortions tous d’ici, dit-elle, faisant un geste large en direction du mur transparent. Que les Terriens nous accueillent comme des frères… Bref, que nous soyons tous heureux…

— C’est ce que chacun de nous désire, interrompit Brock avec une peinte d’impatience. Mais toi-même, que voudrais-tu pour toi ?

Les lèvres charnues de Lioubava frémirent.

— Je ne te comprends pas, Brock, dit-elle.

— Voudrais-tu aimer quelqu’un ? demanda-t-il soudain.

Lioubava eut un sourire.

— Bien, je vais te révéler un secret, dit-elle. J’aime le commandant.

Brock jeta un coup d’œil rapide à Lioubava et, voyant un sourire dans ses yeux, éclata lui-même de rire. Il était difficile d’imaginer quelque chose de plus inepte. Le commandant Joy Argo et l’amour ? Allons donc, connaît-il ce sentiment ? Il semblait que toutes ses pensées étaient centrées sur le vol de l’Orion, sur la mission que le Conseil de coordination leur avait confiée. L’amour, la jalousie, les menus drames qui se jouaient de temps en temps à bord du pulsoplan, tout cela passait sans même l’effleurer.

Brock fit un signe de tête négatif.

— La candidature du commandant est déclinée.

— Tu peux en proposer une autre ? s’enquit Lioubava.

— Oui.

— Laquelle ?

— La mienne, lâcha Brock comme s’il se jetait à l’eau.

— Aimer une femmelette comme toi ? On ne peut que te plaindre.

— Eh bien, plains-moi.

Lioubava rajusta ses cheveux, et, sans répondre, alla à la fontaine.

— Aujourd’hui, elle est encore plus amère, dit-elle.

— Amère ! explosa Brock. Sept-Yeux n’arrête pas de nous empoisonner. Nous buvons un poison qui tue lentement.

— Pourquoi ferait-il traîner les choses ? Si Sept-Yeux avait décidé de nous empoisonner, il aurait pu le faire beaucoup plus simplement et rapidement, fit remarquer Lioubava.

— Des yeux, partout des yeux, murmura Brock.

— C’est-à-dire ?

— J’ai la sensation d’être suivi partout, par des centaines, des milliers de paires d’yeux, et de ne pouvoir leur échapper nulle part ! se plaignit Brock.

Lioubava hocha la tête :

— Ce sont les nerfs.

— Tu crois vraiment que nous trouverons une issue à cette impasse ? demanda Brock.

— J’ai confiance dans les intentions de la Terre, prononça Lioubava, un peu solennelle. Après un silence, elle ajouta : — Et en notre commandant aussi.

— Parfois, je me sens très vieux, dit tout bas Brock. C’est comme si je vivais depuis mille ans dans ce château enchanté. J’ai l’impression qu’il suffirait de trouver la formule magique pour que les portes du château s’ouvrent. Mais personne d’entre nous ne peut la trouver.

Brock avait raison. L’Orion n’était rentré à Terre que tout récemment, mais pour son équipage l’hospitalité despotique de Sept-Yeux semblait durer depuis une éternité.

Le plus difficile c’était d’évaluer correctement la situation pour définir une ligne de conduite.

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