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— Oui. J’étais en larmes, j’étais terrorisée de vous raconter ce qui s’était passé entre Mason et moi. J’avais peur de m’asseoir, aussi, mais vous ne me l’avez pas demandé… Mes points de suture, vous étiez au courant, non ? On a marché un peu dans le jardin. Vous vous souvenez de ce que vous m’avez dit, à ce moment-là?

— Que ce qui était arrivé n’était pas plus votre faute…

— Que « si un chien enragé m’avait mordu le derrière ». Vos propres termes. Vous m’avez facilité les choses, cette fois-là, et les suivantes aussi. Je vous en ai été reconnaissante, pendant une période.

— Que vous ai je dit encore ?

— Que vous étiez encore plus bizarre que je ne pourrais jamais l’être. Et vous avez ajouté qu’il n’y avait rien de mal à ça, à être bizarre.

— Si vous essayez vraiment, vous êtes capable de vous rappeler tout ce que nous nous sommes dit, absolument. Allez, souvenez-vous et…

— Pas ça, non, s’il vous plait, ne me demandez rien maintenant…

Les mots avaient jailli de sa bouche à son insu. Elle n’avait jamais eu l’intention de formuler sa pensée de cette manière.

Quand le docteur changea de position, les liens qui l’emprisonnaient gémirent sur le bois. Tommaso se leva pour venir vérifier les nœuds.

— Attenzione alla bocca, signorina. Méfiez-vous de sa bouche.

Margot se demanda un instant si l’Italien la mettait en garde contre les dents du docteur ou contre ses paroles.

— Cela fait plusieurs années que je vous ai eue en traitement, Margot, mais j’aimerais vous dire quelque chose à propos de votre cas, sur un plan médical. — Son œil valide se fixa brièvement sur Tommaso. — En tête à tête.

Margot réfléchit quelques secondes.

— Vous pouvez nous laisser un moment, Tommaso ?

— Non, signorina, désolé. Mais je peux aller dehors si la porte reste ouverte.

Le fusil en main, il s’éloigna dans la grange sans quitter le docteur Lecter du regard.

— Je ne vous importunerai jamais en faisant pression sur vous, Margot, mais je serais intéressé de savoir pourquoi vous faites ça. Vous me le diriez ? Est-ce que vous vous êtes mise à « accepter le chocolat », pour reprendre l’image chère à Mason, après avoir résisté à votre frère si longtemps ? Inutile dé prétendre que vous voulez me faire payer ce qui est arrivé à sa figure.

Elle répondit. En moins de trois minutes, elle lui raconta Judy, l’enfant qu’elles désiraient avoir. La facilité avec laquelle elle résumait son désarroi l’étonna elle-même.

Au loin, quelque part dans la grange, un cri étouffé et l’amorce d’un hurlement. A côté de l’enclos qu’il avait fait construire sous l’auvent, Carlo réglait son magnétophone. Il s’apprêtait à attirer les bêtes pâturant dans le sous-bois avec les plaintes enregistrées de victimes depuis longtemps mortes ou libérées contre rançon.

Le docteur avait peut-être entendu, mais il resta impassible.

— Et vous croyez que Mason va vous donner ce qu’il vous a promis, Margot? Vous le suppliez, maintenant, mais est-ce que cela a servi à quelque chose au temps où il vous tordait le bras ? C’est la même logique que de prendre son chocolat et de le laisser faire. Mais enfin, là, ce sera Judy qui devra avaler son morceau. Et elle n’a pas l’habitude, je crois…

Si Margot ne répondit rien, ses traits se décomposèrent.

— Vous savez ce qui se passerait au cas où vous refuseriez de céder encore et où vous lui stimuleriez simplement la prostate avec l’aiguillon de Carlo ?Celui qui est posé sur l’établi, là-bas ?

Comme elle faisait mine de se lever, il ajouta en un murmure pressant :

— Écoutez, écoutez-moi ! Mason va vous abuser une nouvelle fois. Vous savez que vous n’avez pas d’autre choix que de le tuer, vous le savez depuis vingt ans. Depuis le jour où il vous a dit de mordre votre oreiller et de ne pas tant crier.

— Vous êtes en train d’insinuer que vous le feriez pour moi? Je ne pourrai jamais vous croire.

— Non, bien sûr que non. Mais vous pouvez être assurée d’une chose au moins, c’est que je ne nierai jamais m’en être chargé moi-même. En fait, il serait préférable que vous le fassiez vous, ce serait meilleur pour votre thérapie. Vous vous rappelez sans doute que je vous l’avais conseillé quand vous étiez encore une enfant.

— « Attendez jusqu’à ce que vous puissiez vous en tirer sans encombre », vous aviez dit. Ça m’avait remonté le moral, d’une certaine manière.

— C’est le genre de catharsis que je me devais de recommander, professionnellement parlant. Et maintenant, vous êtes assez grande pour ça. D’ailleurs, une accusation de meurtre de plus ou de moins, qu’est-ce que cela change pour moi ? Vous savez que vous serez forcée de le tuer. Et après, la justice suivra l’argent, l’une comme l’autre iront à vous et au bébé. Je suis le seul suspect que vous ayez sous la main, Margot. Si je meurs avant Mason, qui d’autre pourrait prendre ce rôle ? Vous pouvez passer à l’action quand cela vous conviendra. Moi, je vous enverrai une lettre pour me vanter de tout le plaisir que j’ai pris à le tuer.

— Non, docteur Lecter. Je regrette, c’est trop tard. J’ai déjà pris mes dispositions. — Elle le dévisagea de ses yeux d’un bleu implacable. — Ça ne m’empêchera pas de dormir après, vous le savez très bien.

— Oui, je le sais. C’est un aspect de vous qui m’a toujours plu. Vous êtes beaucoup plus intéressante, vous avez bien plus de… ressources que votre frère.

Elle se leva, prête à partir.

— Je suis désolée, docteur Lecter, même si ce ne sont que des mots…

Avant qu’elle ait atteint la porte, il lança :

— La prochaine ovulation de Judy, Margot, c’est pour quand ?

— Comment? Euh, dans deux jours, je crois.

— Vous avez tout ce qu’il vous faut ? Les diluants, le matériel pour la congélation instantanée ?

— J’ai tout l’équipement d’une clinique de pointe.

— Alors, rendez-moi un service.

— Lequel?

— Injuriez-moi, tirez-moi les cheveux, arrachez-en une touffe. Pas trop devant, si vous voulez bien. Qu’il y ait un peu de cuir chevelu avec. Prenez ça avec vous quand vous retournerez là-bas. Et pensez à le glisser dans la main de Mason. Une fois qu’il sera mort. Dès votre retour à la maison, demandez-lui ce qu’il vous a promis. Écoutez bien ce qu’il répond. Vous m’avez livré à lui, vous avez rempli votre partie du contrat. Avec mes cheveux entre les doigts, exigez ce que vous attendez. Vous allez voir comment il réagit. Quand il va vous rire au nez, revenez ici. Tout ce que vous aurez à faire, c’est d’envoyer une dose de somnifère au type qui est derrière vous avec ce fusil. Ou de l’assommer d’un coup de marteau. Il a un couteau dans sa poche. Vous me coupez les cordes d’un seul bras, vous me donnez le couteau et vous vous en allez. Je me charge du reste.

— Non.

— Margot ?

Elle attrapa la poignée de la porte, réunit ses forces pour repousser une dernière demande.

— Vous êtes toujours capable de casser une noix dans votre poing, Margot?

Elle en sortit deux de sa veste. Les muscles de son avant-bras se gonflèrent. Craquement des coquilles, suivi d’un gloussement amusé du docteur Lecter.

— Bravo, excellent ! Toute cette force pour deux malheureuses noix. Vous pourrez toujours les donner à Judy, histoire de lui faire passer le goût de Mason.

Margot était déjà revenue vers lui, les traits indéchiffrables. Elle lui cracha au visage et lui arracha une touffe de cheveux au-dessus de l’oreille. Il était difficile de discerner les raisons qui l’animaient.