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Carlo lança quelques mots par-dessus son épaule et disparut à l’intérieur.

Un véhicule gris surgit sous l’auvent, que Starling identifia sans hésitation : le van sur le parking du supermarché. Il s’arrêta près de l’enclos, à un angle. Cordell en sortit et alla ouvrir la porte latérale coulissante. Avant même qu’il ait allumé le plafonnier, Starling aperçut Mason à l’arrière, emprisonné dans son poumon artificiel, la tête relevée par des coussins, sa queue de cheval lovée sur la coque d’acier. Il allait être aux premières loges. L’entrée de la grange s’illumina.

Carlo ramassa un objet posé par terre qu’elle ne reconnut pas immédiatement. De loin, on aurait dit une paire de jambes, ou la moitié inférieure d’un corps humain. Si tel était le cas, Carlo devait être très fort, pour le soulever ainsi sans effort… Un instant, elle craignit qu’il ne s’agisse des restes du docteur Lecter. Mais non, les jambes étaient pliées d’une manière grotesque, impossible. Ce ne pouvait être celles de Lecter que s’ils lui avaient brisé les articulations, pensa-t-elle un bref, éprouvant moment. Carlo aboya un ordre vers le fond de la grange. Elle entendit un moteur démarrer, puis un chariot élévateur apparut, conduit par Piero. Le docteur Lecter était suspendu dans les airs sur la fourche, les bras en croix sur une pièce de bois, deux bouteilles de transfusion se balançant au-dessus de ses mains à chaque manœuvre du chariot. Il était assez haut pour voir les bêtes affamées dehors, pour faire face à ce qui l’attendait.

Avec l’atroce lenteur d’une procession, le chariot élévateur se dirigea vers la barrière, encadré d’un côté par Carlo et de l’autre par Johnny Mogli, armé d’un revolver. Starling remarqua l’insigne sur la chemise immaculée de ce dernier. Une étoile de shérif adjoint : ce n’était pas l’insigne des policiers locaux. Il avait les cheveux blancs, tout comme le conducteur du van lors de l’enlèvement du docteur.

La voix grave de Mason retentit dans la cabine. Il était en train de fredonner Pomp and Circumstance, la marche solennelle d’Elgar. Et de glousser.

Habitués au bruit, les cochons n’étaient pas intimidés par l’avancée de la machine. Au contraire, ils semblaient s’en réjouir.

Le chariot s’immobilisa devant l’enclos. Mason adressa quelques phrases au docteur Lecter, qu’elle ne put saisir de sa place. Le docteur ne bougea pas la tête, ne manifesta d’aucune manière qu’il avait entendu. Il surplombait même Piero juché aux commandes. Est-ce qu’il porta son regard dans la direction de Starling ? Elle n’aurait pu le dire, car elle s’élançait déjà le long de la clôture, contournait la grange et trouvait la porte par laquelle le van était entré.

A cet instant, Carlo jeta le pantalon « farci » dans l’enclos. D’un bloc, épaule contre épaule, les porcs se lancèrent en avant. Ils déchiraient, tiraient, arrachaient, grognaient. Les carcasses de poulets explosaient sous leurs dents, les entrailles volant en tout sens tandis qu’ils secouaient la tête en dévorant. On ne voyait plus qu’une mer d’échines mouvantes.

Carlo ne leur avait donné là qu’une petite mise en bouche : trois volailles et quelques légumes d’accompagnement.

Quand le pantalon ne fut plus qu’un haillon informe, les cochons levèrent leur groin baveux et leurs petits yeux avides vers la barrière.

Piero abaissa la fourche à quelques centimètres du sol. Le battant supérieur du portillon allait protéger les organes vitaux du docteur Lecter, pour l’instant. Pendant que Carlo lui retirait ses chaussures et ses chaussettes, la voix de Mason s’éleva de son poste d’observation

— « Crouinc, crouinc, chantait le petit cochon en rentrant chez lui… »

Starling arrivait dans leur dos. Ils étaient tous tournés vers l’enclos, face aux porcs. Après avoir traversé la sellerie, elle se glissa au centre de l’auvent.

— Bon, vous ne le laissez pas trop saigner, surtout, rappela Cordell, qui était monté près de Mason pour lui essuyer son monocle avec une compresse. Dès que je vous fais signe, vous serrez les garrots.

— Vous avez quelque chose à dire, docteur Lecter ?

Comme en réponse, la détonation du 45 se répercuta contre le toit de la grange et Starling cria :

— Mains en l’air, plus un geste. Coupez ce moteur !

Piero paraissait ne pas avoir compris.

— Fermate il motore, traduisit Lecter obligeamment.

On n’entendit plus que les couinements impatients des bêtes.

Starling avait repéré au moins une arme, celle de l’homme aux cheveux blancs et à l’étoile de shérif. Un holster à dégainage rapide. « Avant tout, les faire se coucher mains sur la nuque… »

Cordell s’était jeté derrière le volant et la fourgonnette démarrait malgré les hurlements de protestation de Mason Verger. Starling pivota pour suivre le véhicule dans sa ligne de mire, mais elle perçut aussi le mouvement de l’homme aux cheveux blancs qui sortait déjà son revolver pour la tuer tout en criant : « Police ! » Elle l’abattit de deux balles à la poitrine, en rafale.

Son 357 cracha deux éclairs de feu au sol. Il tituba en avant, tomba sur les genoux, les yeux fixés sur son étoile transformée en tulipe écarlate par le gros projectile qui l’avait traversée avant d’entrer dans son cœur en biais.

Mogli s’écroula en arrière et resta immobile.

Tommaso, qui avait entendu les coups de feu dans la sellerie, attrapa le fusil à air comprimé et grimpa au grenier, où il rampa dans la paille jusqu’à l’extrémité qui ouvrait sur la grange.

— Au suivant, lança Starling d’une voix qu’elle ne se connaissait pas.

Elle devait agir vite, pendant qu’ils étaient encore sous le choc de la mort de Mogli.

— Par terre, vous deux, la tête tournée vers le mur! J’ai dit à terre, la tête par là. Par là !

— Girate dall’altra parte, expliqua le docteur Lecter de sa place.

Carlo releva les yeux vers Starling, comprit qu’elle le tuerait sans hésitation et s’étendit au sol sans broncher. Elle les menotta rapidement d’une seule main, tête-bêche, le poignet de Carlo attaché à la cheville de Piero et vice versa, sans cesser d’enfoncer le canon de son arme derrière l’oreille de l’un ou de l’autre.

Puis elle sortit le couteau de sa botte et s’approcha du chariot.

— Bonsoir, Clarice, fit-il, quand elle fut devant lui.

— Vous pouvez marcher ? Vos jambes sont en état ?

— Oui.

— Vous arrivez à voir ?

— Oui.

— Bon, je vais vous détacher mais, docteur, avec tout le respect que je vous dois, si vous essayez de me baiser, je vous bousille sur place, à la seconde. Vous comprenez ça ?

— Parfaitement.

— Conduisez-vous bien et vous allez vous sortir de là.

— Voilà qui est parler en vraie protestante.

Elle avait déjà attaqué les liens. Son couteau était bien aiguisé. Elle constata que le côté cranté était plus efficace sur la corde neuve, glissante.

Son bras droit était libre.

— Je peux terminer, si vous me le prêtez…

Elle hésita, recula un peu avant de lui confier la courte dague.

— Ma voiture est à une centaine de mètres sur le chemin de service.

Elle devait les surveiller sans cesse, lui et les deux hommes couchés au sol.

Il avait libéré une de ses jambes et s’occupait de l’autre, obligé de couper boucle après boucle. Le coin où Carlo et Piero étaient couchés sur le ventre n’était pas dans son champ de vision.