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— Quand vous serez détaché, n’essayez pas de vous enfuir, vous n’arriveriez même pas à la porte. Je vais vous donner deux paires de menottes. Il y a deux gars allongés derrière vous. Faites-les ramper jusqu’au chariot et attachez-les dessus, qu’ils ne puissent pas donner l’alerte. Ensuite, vous vous passez les autres.

— Deux ? Attention, ils sont trois !

Il n’avait pas terminé que le dard jaillit du fusil de Tommaso, un éclair d’argent dans la lumière des projecteurs qui alla se planter au milieu du dos de Starling. Elle se retourna, mais elle chancelait déjà, sa vue se troublait tandis qu’elle cherchait à localiser une cible. Elle distingua le reflet du canon au bord du grenier et tira, tira, tira, tira. Dans les volutes bleues de la poudre brûlée, Tommaso roulait précipitamment en arrière, frappé d’éclats de bois. Elle fit feu encore une fois, le regard brouillé, sa main tâtonnant sur sa hanche à la recherche d’un nouveau chargeur alors que ses genoux se dérobaient sous elle.

Le vacarme semblait avoir excité encore plus les porcs, et le spectacle des hommes à terre, dans une position si tentante. Ils couinaient, grognaient, se pressaient contre la barrière.

Starling tomba tête en avant, son revolver vide vola loin d’elle, gâchette armée. Après avoir prudemment levé la tête pour inspecter la scène, Carlo et Piero s’agitèrent sur le sol et se mirent à ramper ensemble, avec la maladresse d’une chauve-souris à terre, en direction du cadavre de Mogli, de son pistolet et de ses clés de menottes. Ils entendirent le bruit que fit Tommaso en rechargeant son fusil dans le grenier. Il lui restait une dose. Il se leva, revint au bord de la plateforme et chercha de sa mire le docteur Lecter, de l’autre côté du chariot.

Il se déplaçait maintenant sur son perchoir. Quand il trouverait son angle, il serait impossible de se protéger.

Hannibal Lecter prit Starling dans ses bras et recula rapidement vers le portillon en s’efforçant de garder le chariot élévateur entre Tommaso et lui, Tommaso qui se déplaçait avec précaution au bord du vide, prenant garde de ne pas tomber. Le Sarde tira. Il avait visé le docteur à la poitrine, mais le projectile frappa Starling au tibia, contre l’os. Lecter poussa les loquets du portillon.

Piero s’acharnait sur le trousseau de clés de Mogli et Carlo tendait les doigts vers son revolver quand les cochons s’abattirent sur ce repas tout prêt qui s’agitait au sol. Carlo parvint à se servir du 357, une seule balle qui atteignit une des bêtes, mais les autres passèrent sur son corps pour attaquer les deux hommes et le cadavre de Mogli. D’autres encore continuèrent leur route et disparurent dans la nuit.

Le docteur Lecter, qui serrait toujours Starling contre lui, s’était rangé derrière les battants pour laisser passer la charge.

Du grenier, Tommaso aperçut le visage de son frère dans la mêlée. Une seconde après, ce n’était plus qu’une masse sanguinolente. Il laissa tomber son fusil dans la paille.

Droit comme un danseur, la jeune femme dans ses bras, le docteur Lecter quitta son abri et traversa la grange pieds nus, au milieu des porcs. Il fendait la mer d’échines empressées, d’où le sang jaillissait en embruns.

Deux des animaux les plus puissants, dont la truie pleine, s’immobilisèrent à son passage, tête baissée, prêts à charger. Mais il ne prenait pas la fuite, les cochons ne sentaient pas l’odeur de la peur, donc ils retournèrent à leurs proies faciles.

Sans voir de renforts arriver de la maison, le docteur Lecter s’enfonça sous les arbres du chemin de service. Là, il s’arrêta pour retirer les deux aiguilles et sucer les plaies de Starling. Le deuxième dard s’était tordu contre l’os du tibia.

Des porcs passèrent en trombe dans les taillis, tout près.

Il retira les bottes de la jeune femme, les enfila. Elles étaient un peu serrées pour lui. Il laissa le 45 attaché à sa cheville : en portant Starling dans ses bras, il pouvait s’en saisir à tout moment.

Dix minutes plus tard, le vigile de service au poste de garde fut interrompu dans la lecture de son journal par un bruit lointain mais assourdissant, comme un avion de chasse entamant une attaque en piqué. C’était le moteur cinq litres de la Mustang, lancé à 5800 tours-minute sur la rampe d’accès à l’autoroute.

87

Mason Verger pleurnicha pour qu’on le ramène dans sa chambre, avec des larmes de rage comme au temps où les garçons et les filles les plus jeunes du camp arrivaient à lui résister et à lui décocher quelques coups vicieux avant qu’il ne puisse les écraser sous son poids.

Margot et Cordell le hissèrent dans l’ascenseur puis le réinstallèrent sur son lit et le reconnectèrent à ses sources de vie artificielle.

Elle n’avait jamais vu son frère dans un tel état de colère. Les vaisseaux sanguins se tordaient sur sa figure osseuse.

— Je ferais mieux de lui donner quelque chose, dit Cordell quand ils se retrouvèrent tous les deux dans la salle de jeux.

— Non, pas tout de suite. Qu’il réfléchisse un peu à tout ça. Filez-moi les clés de votre Honda.

— Pour quoi faire ?

— Il faut bien que quelqu’un aille voir s’ils ne sont pas tous morts, là-bas. Vous voulez vous en charger ?

— Non, mais…

— Avec votre voiture, je peux entrer directement dans la sellerie. Le van ne passera pas par la porte, lui. Allez, les clés, merde !

En bas, dans l’allée, elle vit Tommaso qui arrivait à travers la pelouse. Il courait péniblement tout en regardant derrière lui. « Vite, Margot ! » Elle consulta sa montre : huit heures vingt. « A minuit, la relève de Cordell arrive. Il reste assez de temps pour faire venir l’équipe de Washington en hélico, qu’ils fassent un peu de nettoyage… » Elle partit à la rencontre de Tommaso, en voiture sur l’herbe.

— J’essayais de les relever et un cochon m’a attaqué. Lui… — il prit la posture du docteur Lecter portant Starling dans ses bras — … et la femme. Ils partent dans la voiture qui fait beaucoup le bruit. Elle a due… — il leva deux doigts en l’air — due freccette — il montra son dos, puis sa jambe -, freccette, dardi… Plantés dans elle. Bang, bang. Due freccette.

Il fit mine de viser avec un fusil imaginaire.

— Des aiguilles ?

— Des aiguilles, oui. Peut-être trop de narcotico. Peut-être elle morte.

— Montez, répliqua Margot. On va aller voir ça.

Elle entra par la porte à double battant par laquelle Starling s’était faufilée plus tôt. Grognements, couinements, échines hirsutes qui moutonnaient… Elle avança en klaxonnant et parvint à faire suffisamment reculer les bêtes pour apercevoir les restes des trois hommes, méconnaissables.

Elle gagna la sellerie en voiture. Ils refermèrent les portes derrière eux.

Tommaso était le seul être encore en vie à l’avoir vue dans la grange, constata-t-elle. Sans compter Cordell, évidemment.

L’idée l’avait peut-être traversé, lui aussi, car il se tenait à prudente distance, sans la quitter de ses yeux aux aguets. Il y avait des traces de larmes séchées sur ses joues.

« Vite, Margot. Pas question de te laisser emmerder par le reste des Sardes. Ils savent que c’est toi qui tiens le fric, là-bas. Ils n’hésiteront pas une seconde à te faire chanter. »

Le regard de Tommaso suivit la main qu’elle plongea dans sa poche.

Elle en retira son téléphone portable. Un numéro en Sardaigne, le banquier de la Steuben, chez lui, à deux heures et demie du matin là-bas. Après lui avoir brièvement parlé, elle le passa à Tommaso qui écouta, hocha la tête à deux reprises, et lui rendit l’appareil. La récompense lui appartenait, désormais. Il grimpa en hâte au grenier, attrapa son sac de voyage ainsi que le chapeau et le manteau du docteur Lecter.