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Un jour passa, le soir revint. Un parfum de fleurs tout juste coupées dans la maison et, à un moment, la brûlure ténue d’une aiguille hypodermique. Tels les échos d’un lointain feu d’artifice, les dernières traînées de peur et de souffrance jaillissaient à l’horizon sans se rapprocher, sans jamais plus s’approcher. Elle était dans le jardin qu’est l’œil du cyclone.

— On se réveille. Tout est calme. On se réveille dans une chambre agréable, prononça quelqu’un.

De la musique, à peine audible.

Elle se sentait toute propre, une odeur de menthe montait de sa peau, un onguent qui procurait une chaleur rassurante, en profondeur.

Les yeux de Starling s’ouvrirent en grand.

Le docteur Lecter se tenait debout, immobile, comme elle l’avait découvert la première fois au milieu de sa cellule. Mais nous sommes habitués à le voir libéré de ses entraves, désormais. Dans un espace ouvert, aux côtés d’une autre créature mortelle. Cela n’a plus rien de choquant.

— Bonsoir, Clarice.

— Bonsoir, docteur Lecter.

Elle lui avait retourné son salut sans avoir vraiment conscience de l’heure.

— Si vous avez un peu mal, ce ne sont que des contusions superficielles. Pour le reste, tout ira bien. J’ai simplement besoin de m’assurer de quelque chose, encore. Pourriez-vous regarder cette lumière, s’il vous plait?

Il s’approcha d’elle avec une petite torche. Il sentait la soie fraîche.

Elle se força à ne pas cligner des paupières tandis qu’il examinait ses pupilles. Satisfait, il recula.

— Merci. Vous trouverez une salle de bain très plaisante par ici. Vous voulez essayer de marcher ? Il y a des pantoufles sous votre lit. J’ai été contraint de vous emprunter vos bottes, voyez-vous.

Veille et sommeil, elle connaissait les deux états en même temps. La salle de bain était en effet des plus confortables, rien n’y manquait. Les jours suivants, elle passa de longs moments dans la baignoire. Elle ne se regarda pas une seule fois dans la glace, tant elle était partie loin d’elle-même.

92

Des jours à parler, elle s’écoutait parfois et se demandait qui était en train d’exprimer une connaissance aussi intime de ses pensées. Jours de sommeil, et de bouillons reconstituants, et d’omelettes.

Et puis il arriva un matin où le docteur Lecter lui dit :

— Clarice, vous devez être lasse des pyjamas et des robes de chambre. Dans ce placard, il y a quelques vêtements qui pourraient vous plaire, si vous avez envie de les porter.

Il poursuivit d’un ton égal :

— J’ai rangé vos affaires personnelles dans le premier tiroir de la commode, si vous les voulez. Votre sac, votre revolver et votre porte-cartes.

— Merci, docteur Lecter.

Des tenues variées l’attendaient dans le placard, robes, tailleurs-pantalons et une longue robe du soir chatoyante, avec un gilet incrusté. Surtout tentée par les pantalons et les pulls en cachemire, elle choisit un ensemble tabac et des mocassins.

Dans le tiroir, elle trouva son fourreau yaqui, dépouillé du calibre 45 qu’elle avait perdu, mais le holster de cheville était là, à côté de son sac, avec le 45 automatique à canon court, son chargeur empli de cartouches, le magasin vide, exactement comme elle avait l’habitude de le porter à la jambe. Son couteau l’attendait dans son étui, et les clés de sa voiture.

Elle se sentait lucide et elle n’était plus elle-même, aussi. Lorsqu’elle pensait à des événements passés, elle avait l’impression de les appréhender de biais. Il y avait une grande distance entre son image et elle.

Quand le docteur Lecter la guida jusqu’au garage, elle fut heureuse de revoir sa Mustang. Ses yeux se posèrent sur les essuie-glaces et elle se dit qu’il était temps de les changer.

— D’après vous, Clarice, comment les hommes de Mason ont-il pu nous suivre au supermarché ?

Elle réfléchit un moment, le regard au plafond.

Il lui fallut moins de deux minutes pour trouver le fil d’antenne tendu en croix entre le dossier du siège et la plage arrière, et pour le suivre jusqu’à la balise dissimulée sous la caisse.

Elle l’éteignit et la rapporta dans la maison en la tenant par le fil, comme on saisit un rat mort par la queue.

— Très classe, constata-telle. Dernier cri, ce matériel. Et pas mal installé. Je suis sûre que les empreintes de Mr Krendler sont dessus. Je peux avoir un sac en plastique ?

— Ils ont pu la repérer depuis un avion ou un hélicoptère ?

— Elle est coupée. Non, pour qu’ils utilisent des moyens pareils, il faudrait que Krendler ait reconnu qu’il s’en est servi. Ce qui est exclu, vous le savez bien. Mais Mason, avec son hélico, est très capable de l’avoir fait.

— Mason est mort.

— Hummm, fit Starling. Vous voudriez me jouer un peu de musique ?

93

Les jours qui suivirent les meurtres, Paul Krendler fut partagé entre l’agacement et une peur grandissante. II veilla à ce que les rapports de l’antenne du FBI dans le Maryland lui parviennent directement.

Il était presque certain qu’un audit de la comptabilité de Mason ne pourrait pas l’inquiéter, les virements sur son compte numéroté ayant transité par une société-écran virtuellement sans faille aux îles Caïmans. Mason disparu, cependant, il se retrouvait avec de grands projets, mais sans protecteur. Quant à Margot, elle était au courant de l’argent qu’il avait reçu et elle savait qu’il avait violé la confidentialité du dossier Lecter au FBI. Il fallait qu’elle tienne sa langue, absolument.

Le moniteur qui avait servi à localiser la balise était également un sujet d’inquiétude pour lui. Il l’avait pris au service technique de Quantico sans signer de reçu mais son nom figurait sur la feuille de visite du bâtiment, à cette date-là.

Le docteur Doemling et cet infirmier costaud, oui, Barney… Ils l’avaient vu chez Mason, d’accord, mais dans un rôle qui n’avait rien de répréhensible, en train de s’entretenir avec lui des moyens de capturer Hannibal Lecter.

Le soulagement fut général le quatrième après-midi après la tuerie, lorsque Margot Verger repassa à l’intention des inspecteurs du shérif le message que son répondeur venait d’enregistrer.

Pétrifiés dans sa chambre à coucher, les yeux fixés sur le lit qu’elle partageait avec Judy, les policiers écoutèrent la voix du monstre. Le docteur Lecter se félicitait de la mort de Mason, en précisant à sa sœur que son agonie avait été extrêmement longue et douloureuse. Margot étouffa quelques sanglots dans sa paume pendant que Judy la soutenait. Finalement, Franks la conduisit hors de la pièce en lui disant :

— Vous n’avez pas besoin de réentendre ça.

Sous la supervision empressée de Krendler, le répondeur fut apporté à Washington, où une analyse vocale complète confirma que l’auteur du message était bien le docteur Lecter.

Mais c’est le soir, à la faveur d’un appel téléphonique, que les dernières angoisses de Krendler furent dissipées.

C’était Parton Vellmore en personne, représentant de l’Illinois au Congrès, qui désirait lui parler. Krendler ne l’avait rencontré qu’à deux ou trois reprises, mais il reconnut aussitôt sa voix grâce aux multiples interviews télévisées qu’il l’avait entendu donner. Le simple fait qu’il lui téléphone chez lui était rassurant : membre de la sous-commission des affaires juridiques et fouille-merde notoire, il aurait immédiatement oublié son existence si Krendler avait été dans la ligne de mire.